(En rappel) L’étoile filante de Catherine Dorion

Vous ne pouvez vous imaginer, chers lecteurs, combien il est difficile, en politique, de faire comprendre à l’électorat quel est votre message principal, vos idées, votre couleur. Surtout entre les campagnes électorales, alors que les citoyens suivent très peu l’actualité politique.

Voilà pourquoi Catherine Dorion offrait à Québec solidaire une occasion rêvée. Sa victoire dans Taschereau en 2018, château fort historique du PQ, n’était rien de moins qu’éclatante — 8500 voix de majorité ! —, comme l’était la progression de QS, passé de 4 à 10 députés.

La clé de ce succès ? Les primovotants, ces jeunes qui se présentent pour la première fois aux urnes. On a de bonnes raisons de penser que 40 % d’entre eux ont voté QS en 2018. Ayant cela en tête, on peut poser l’hypothèse suivante : le Québec produisant chaque année 80 000 nouveaux adultes (donc 80 000 nouvelles personnes en âge de voter), si les solidaires réussissaient à en capter 40 % année après année, ils s’assureraient une augmentation constante de leur base électorale et vogueraient vers les succès.

Il y a évidemment plusieurs jeunesses : 60 % n’ont pas voté QS. J’ai un jour visité un centre de formation où des jeunes apprenaient à installer des bornes pour voitures électriques. Je leur ai demandé s’ils avaient hâte de posséder une de ces voitures. Aucun n’a levé la main. « Ils sont plus intéressés par des Ram », m’a dit leur prof. Je ne pense pas qu’ils aient voté QS.

N’empêche. Comment garder les 40 % qui, eux, sont rebelles, anti-establishment, écoéveillés, ont inventé le slogan « fuck toute » et ont trouvé rigolo de tweeter « OK boomer » ? N’est-ce pas en ayant dans son équipe une figure qui multiplie les coups d’éclat et qui fait rager les mononcles et les matantes ? Dorion, grâce à son originalité et à la répétition de son message anticonformiste, a réussi cet exploit. Et on pouvait penser que, chaque fois qu’elle était dénoncée par des Mario Dumont et Denise Bombardier, elle marquait des points. Si matante est offusquée, peuvent penser les jeunes rebelles, c’est qu’on est sur la bonne voie.

La députée Dorion avait bien compris cette mécanique. Après la controverse sur sa présence à l’Assemblée en coton ouaté, ses partisans ont lancé sur la Toile le mouvement #MonCotonOuatéMonChoix, pour faire du judo avec le débat. Ce mouvement — que quelqu’un a appelé le « coton-ouatisme » — a eu un réel écho sur Twitter et Facebook, dans les journaux et dans les radios.

Quand elle s’est déguisée, pour l’Halloween, en députée chic en tailleur, bas noirs et jupe courte (ce que j’ai trouvé amusant), la chroniqueuse Denise Bombardier l’a accusée d’être, je cite, « l’égérie sulfureuse de la gauche déjantée et féministe ». La députée Dorion a répliqué en portant un t-shirt arborant la phrase de Bombardier. (Il est toujours en vente chez Mercerie Roger.) Un excellent coup. Quand elle a comparé l’ajout d’une autoroute au high que procure une ligne de coke, donc bref et addictif, elle a fait mouche, sauf chez les coincés.

« Je suis subjugué par son extraordinaire capacité à susciter de l’intérêt, à capter l’attention des médias », écrivait Mario Dumont en 2019. « Le niveau de visibilité qu’elle a atteint a de quoi rendre jaloux la plupart des députés de l’Assemblée nationale. » L’activité de la députée a certes fait grogner quelques-uns de ses collègues du caucus. Cela n’a pas la moindre importance. La seule question est de savoir si ces controverses lui permettent de se faire entendre et de se faire adopter… par son électorat cible.

L’espoir était permis. Mais la première déconvenue est apparue au moment de la partielle tenue en décembre 2019 dans Jean-Talon. La décision de QS de faire de l’élection un référendum contre le troisième lien, pour fédérer les environnementalistes, était bonne. Le résultat fut inversement proportionnel aux attentes : l’électorat de QS a reculé de deux points de pourcentage, passant de 19,2 % en 2018 à 17 % en 2019. Gabriel Nadeau-Dubois a donné ce témoignage de l’effet Dorion dans le porte-à-porte : « On en a entendu parler des deux côtés, parfois négativement, mais aussi parfois positivement, et puis à peu près dans des proportions similaires. » Mais un parti ne cible, dans une campagne, que les électeurs les plus enclins à voter pour lui. GND nous informait donc que, dans l’électorat solidaire et apparenté, Dorion nuisait autant qu’elle aidait. Au bout du compte, une fort mauvaise nouvelle.

Je ne sais pas si le politburo de QS fait faire des sondages. Mais il est clair que la direction du parti a déterminé, dès l’automne 2019, que l’effet Dorion était contre-productif. Sa décision d’interdire à la députée de se présenter au congrès solidaire cet automne-là était sans précédent.

Comment, sinon, mesurer l’effet Dorion ? Au moment où l’élue connaissait son exposition maximale, fin 2019, QS a connu son pire sondage depuis les élections. Une perte chez les plus vieux pouvait s’accepter, mais seulement si le gain chez les plus jeunes était considérable. Mais on observait un recul dans toutes les classes d’âge.

Depuis que la députée est plus discrète (un effet cumulé de la pandémie et d’un récent congé de maternité de six mois), les intentions de vote du parti se sont rétablies à leur situation antérieure.

On peut en tirer la conclusion que la proportion des jeunes qui sont réceptifs au message non conformiste de Dorion est beaucoup plus limitée qu’on aurait pu le penser. Si c’est vrai pour Dorion, c’est aussi vrai pour les positions radicales de QS en général, ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour la capacité de croissance du parti. C’est avec un pincement de cœur que je fais le constat de l’échec de l’effet Dorion. Sincèrement, à l’heure où l’ex-carré rouge Nadeau-Dubois ressemble de plus en plus à un cadre d’entreprise, j’espérais notre jeunesse un peu plus attirée par la turbulente irrévérence qu’incarnait Dorion.

Voyez, elle me manque déjà !


(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

4 avis sur « (En rappel) L’étoile filante de Catherine Dorion »

  1. J’avais envie d’acheter son livre. Je me disais après tout « audi alteram partem » comme disait Bernard !

    Mais après avoir écouté l’entrevue d’hier soir à tout le monde en parle, émission que je ne regarde plus, mon appétit a s’est envolée…

    Elle sombrera sans doute dans l’oubli, et ne sera jamais autre chose qu’une étoile filante éphémère…

    • Moi aussi j’avais envie et j’ai fait; je ne le regrette pas après avoir lu. C’était ma députée, d’ascendance Option nationale.

      J’ai aussi écouté l’entrevue et je n’en ai pas retenu grand chose.

      « Elle sombrera sans doute dans l’oubli ».

      J’en doute ! Elle est une artiste au sens de Jean-Pierre Ferland. Une auteure.

  2. Chez nos jeunes , dans la décennie actuelle, il semble qu il y a une polarisation … ceux qui sont cultivés … qui ont de l intérêt politique… ceux qui n ont plus confiance, qui on le sentiment de ne pas être interpellé politiquement. La plus grande force du parti québécois à été sa capacité d interpeller toutes les générations… unifier les classes sociales en présentant un projet de société… la possibilité de devenir un pays … ensemble une force , une appartenance sociale. Par la suite , l économie a pris toute la place et les politiques sociales ont perdus leurs rôles… dans le sens où toutes les classes sociales avaient le même accès, le même services!!! Le passage de Catherine Doryon… était en soin la personne contestataire, revendicatrice de l ouverture … du changement!!! Oui il y a l effet Catherine… moi je pense que ses propos pas toujours bien appuyés… tendances à profiter de sa popularité pour s imposer … c est frôler la arrogance …. Et là… les électeurs décroches… QS est actuellement fragilisé…. Par sa présentation d un programme qui a peut d assise , le modèle de sa construction politique questionnable …. Et ambiguë!!

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