Lettre à Bonhomme: Ce qu’on fait en votre nom !

bonhommefache1-300x199Cher Bonhomme,

Comme vos nombreuses occupations vous empêchent de surveiller tout ce qui se dit à votre sujet, permettez-moi de vous mettre au courant de derniers développements qui vous ont peut-être échappés. (Évidemment je ne vous parle pas de la couverture de Maclean’s, puisque vous avez mis vos avocats sur le chemin de la guerre. Ils ont du vous consulter.)

J’ai cependant le regret de vous informer que, jeudi dernier, la Chambre des communes, saisie par le pourtant généralement admirable Pierre Paquette, a voté unanimement une résolution affirmant que la Chambre était «profondément attristée par les préjugés véhiculés et les stéréotypes employés par le magazine Maclean’s pour dénigrer la nation québécoise, son histoire et ses institutions». Le vote fut unanime, sauf pour un député de votre région, André Arthur, qui s’est absenté tout exprès.

J’espère que vous êtes comme moi «profondément attristé» de voir l’instrument parlementaire utilisé ainsi pour porter un jugement sur un article de presse, tout abject soit-il. Les élus ont tous les micros à leur disposition pour donner leur opinion. Mais la Chambre est une institution qui a comme devoir de protéger la liberté d’expression, surtout quand elle est attaquée.

Le parlement fédéral avait sombré dans la même maladresse lors de l’affaire Jan Wong (une autre insulte au Québec dans un grand quotidien torontois). L’Assemblée nationale québécoise avait commis le même abus de procédure dans le cas du journaliste André Pratte (qui avait osé dire que le politiciens mentaient souvent) et ensuite dans le cas de propos tenus par le militant souverainiste Yves Michaud.

Le vote de jeudi est évidemment l’expression de beaucoup d’hypocrisie chez les élus non-québécois. Dans un sondage non-scientifique en ligne, sur 6000  internautes du Globe and Mail participants, 75% estiment que Maclean’s n’est «pas allé trop loin» en titrant que le Québec était «la province la plus corrompue». Il serait surprenant que 100% des parlementaires fédéraux du Canada anglais aient été sincèrement à ce point déconnecté du sentiment de leurs électeurs, pas «attristés» le moins du monde.

Mon avis, Bonhomme: les élus ne devraient jamais voter de motion sur l’usage quel qu’il soit de la liberté d’expression. Seulement pour réprimander un officier de l’état ou un élu.

Andrew Coyne en français

Un moment plus amusant, cher symbole du Carnaval, a eu lieu au petit écran, jeudi soir. Andrew Coyne, celui qui écrit que le Québec souffre de «pathologies» induisant la corruption, devait défendre sa position dans le panel d’analystes régulier de l’émission The National.

Devant lui, celle qui a un jour terrassé Mario Dumont à Tout-le-Monde-en-Parle en quatre phrase, Chantal Hébert. Non suspecte d’amitiés souverainistes, elle a tenté d’expliquer à Coyne qu’elle pouvait bien penser qu’il était «le journaliste le plus biaisé au Canada» et avait beaucoup d’arguments pour étayer cette opinion, cela ne resterait qu’une opinion.

Heureusement, Coyne avait une bouée de sauvetage: l’éditorial d’André Pratte de La Presse, dont j’ai parlé ici. Coyne a marqué un point en citant le texte dans un assez bon français.

Mais c’était encore mieux d’entendre le sondeur Alan Gregg lui rentrer dedans avec la délicatesse d’une tronçonneuse. Que ceux qui entendent la langue de Maclean’s savourent la vidéo ici  (il faut aller à 4’22 »). Ensuite, Chantal a continué à débattre hors du ring télévisuel.

Le choix: les corrompus ou les indépendantistes ?

Dans sa chronique du Toronto Star de vendredi matin, Chantal éperonne Coyne et le Maclean’s en leur demandant quel sera leur consigne de vote, aux prochaines élections québécoises. Elle écrit:

[…] long before Maclean’s invested itself with the ultimately failed journalistic mission of outing Quebec as the most corrupt province in Canada, Jean Charest’s Liberal regime had become a long shot for re-election. But in a spirit of consistency, will Maclean’s also encourage Quebecers to turn to the Parti Québécois in the next provincial election?

Elle prédit que la prochaine élection sera victorieuse pour le PQ à cause d’une grande abstention fédéraliste. Mais elle conclut:

If the federalist Liberals win, Quebecers will be deemed to have turned a blind eye to a disquieting amount of allegations of corruption. In the more likely scenario of a PQ victory, they will be deemed to have snubbed Canada.

One can only wonder how my fellow At Issue pundit Andrew Coyne would cast his vote in that election without tripping on the “roots of corruption” that he is convinced run so particularly deep in Quebec.

Coyne n’a pas (encore) répondu. Mais son collègue plus modéré Paul Wells (qui est aussi mon collègue blogueur sur le site de L’actualité) a répondu vendredi en fin de matinée sur son blogue de Maclean’s:

Chantal is echoing the many, many commenters under our blogs — always an uninspiring precedent — who pointed out that the reformers in Quebec were sovereignists and the business-as-usual crowd were federalists. This is absolutely true. It’s a really big problem for federalism. But it doesn’t actually get federalists off the hook. “Well, we can run a pig sty here, because look who’ll get the job if we don’t!”

Chantal ends her column by asking how Andrew Coyne would vote in the next Quebec election. I have tried hard to confect an interest in that hypothetical, but it’s just not happening. (I look forward to her next column, in which I presume she’ll wonder whether André Pratte is getting ready to vote PQ.) Citizens’ engagement does not end with their vote. It also includes, or should, a daily and indeed automatic expectation that the winners of the last vote live up to certain standards until the next. I’m so used to seeing Chantal Hébert maintain that kind of expectation that I’m surprised to see her take a break from that standard.

Bref, l’argument de Paul est que les citoyens, et Chantal, devraient exiger du gouvernement actuel qu’il devienne plus éthique. Ce qui nous dispenserait de devoir élire des péquistes. Bulletin spécial Paul: c’est ce que tout le Québec fait depuis deux ans ! Il faudrait que Charest parte et que son successeur lance une enquête… sur le PLQ ! Cela a très bien marché lorsque Paul Martin l’a fait avec Gomery, pensant viser son prédécesseur Chrétien !

Charest et les souverainistes

Oui, Bonhomme, c’est amusant de suivre tout ce débat que vous avez lancé. Mais le protagoniste le plus divertissant de tous habite juste à côté de chez vous, au sommet de l’immeuble Price dans le vieux Québec.

On apprenait mercredi dernier que Jean Charest avait envoyé une très belle lettre très fâchée au Maclean’s, réclamant des excuses dont il savait qu’il ne les auraient pas. Mais bon, il aime envoyer des lettres, on ne lui reprochera pas.

Mais ce ratoureux de Charest a voulu modifier les termes du débat à son avantage. Il affirme que la couverture de Maclean’s attaque «surtout, le mouvement souverainiste». Il l’a dit ensuite devant les caméras: «l’article attaque les souverainistes».

Fort de ce constant, il s’offre comme bouclier humain pour défendre l’es souverainistes: «un courant politique légitime, démocratique et pacifique». Wow !

Mais une lecture attentive des deux articles de Maclean’s montre bien que les souverainistes ne sont nullement dans la mire de ses scribes. Ils font de la figuration. Charest et son gouvernement sont dans la mire. Son ancien patron Mulroney, ainsi que Jean Chrétien, sont dénoncés. Le fait que les fédéralistes doivent «acheter» le vote des Québécois pour les garder dans le pays est pointé du doigt. Le fait que les «nationalistes», de Duplessis à Charest, réclament «leur butin», aussi. L’existence du débat national est, écrit Coyne, «une pathologie». Mais pas, en soi, les souverainistes — sauf le Bloc à qui Maclean’s donne le crédit pour la hausse des paiements de péréquation. C’est d’ailleurs l’absence de stigmatisation des souverainistes dans le texte qui rend la charge aussi anti-québécoise au grand complet.

Sacré Charest, toujours volontaire pour changer de sujet, bouger la cible, renvoyer la balle. Les péquistes ne sont pas laissés prendre, affirmant que M. Charest était «un boulet pour le Québec».

Mais je ne serais pas surpris si, ce mardi à l’Assemblée nationale, le Premier ministre propose une motion pour condamner l’article du magazine et défendre l’intégrité des souverainistes.

J’ose espérer, cher Bonhomme, que personne ne tombera dans ce panneau et que le PQ et les autres partis d’opposition proposeront, en lieu et place, une motion offrant une alternative: 1) la constitution immédiate d’une commission d’enquête sur l’industrie de la corruption et du financement des partis, ou bedon 2) la démission du gouvernement libéral.

Vous voyez Bonhomme, tous ceux que vous mobilisez autour de vous ? Et on n’est même pas en février !

Bien cordialement,
Un fan,
JF Lisée