Lettre ouverte à Mme la juge anti-corruption

Image2Chère Mme France Charbonneau,

En acceptant de diriger la Commission d’enquête eunuque inventée par le Premier ministre Charest, vous lui avez avez offert ce dont il avait grandement besoin: de la crédibilité.

Car c’est votre réputation que vous avez mise sur la table, et en balance dans le débat entourant l’utilité de la commission. Comme procureure de la Couronne, vous avez naguère tenté de mettre derrière les barreaux 82 accusés de meurtre — et avez réussi dans 81 des cas !

Y compris lorsqu’il s’est agi de mettre Mom Boucher dans le box des accusés, une poursuite pour laquelle, me raconte-t-on, les procureurs ne se bousculaient pas au portillon.

Car j’ai pris mes informations à votre sujet. On vous décrit comme une « passionaria », une « volontaire », une « bagarreuse », une femme courageuse et intègre. Quelqu’un qui a, me dit-on, « du front tout le tour de la tête ».

Vous m’en voyez ravi.

Venons-en aux choses sérieuses. Vous avez lu le décret. Vous avez vu comment le Premier ministre vous envoie au combat contre les plus grands bandits du Québec avec moins de pouvoirs que vous n’en aviez comme procureure ?

Vous avez vu comme il vous traite: comme un Duchesneau en robe de juge. Interrogez à huis-clos des témoins qui ne vous diront des choses intéressantes que s’ils peuvent se cacher derrière un écran opaque !

Vous avez même remarqué la petite entourloupe au sujet des audiences ? En privé, vous pouvez interroger sur tout, y compris sur « les liens possibles avec le financement des partis politiques ». Mais pour les audiences publiques, M. Charest a pris soin de vous dicter une liste limitative de sujets, où il a omis (!) d’inclure le financement des partis.

Pousser les limites du possible

Une source, qui ne dit pas que du bien de vous, m’avertit: vous êtes du genre à « pousser les limites du possible ». Et « le gouvernement risque de se faire dépasser par la gauche ou par la droite, malgré l’étroitesse de son mandat ».

Puis-je vous souffler à l’oreille quelques idées?

D’abord, pour le choix des commissaires. Puisqu’on vous invite à faire une enquête à la Duschesneau, sur un mandat plus étendu mais avec aussi peu de moyens de contraindre, et de réentendre les 500 personnes vues par Duchesneau, pourquoi ne pas lui demander, à lui, d’être un des deux commissaires ? Vous gagnerez un temps fou.

Et puisqu’on vous donne, en fait, autant de moyens qu’en ont les journalistes, pourquoi ne pas choisir, comme second commissaire, une Marie-Maude Denis ?

(En fait, je dirais que vous avez moins de moyens que les journalistes. Car lorsqu’ils se présentent avec leurs micros et leurs caméras, les journalistes intimident et forcent parfois à des révélations. En plus, ils usent parfois de caméras cachées.)

Un cas test

Voilà pour la composition de la commission. Maintenant, je vous propose de procéder immédiatement à un cas test. Puisque le premier ministre prétend que des gens accepteront de vous porter volontairement de la preuve, prenez-le au mot.

Depuis deux ans, l’opposition a mis au jour un grand nombre de coïncidences entre des entreprises de construction donnant à la caisse du PLQ et l’attribution de nouvelles places en garderie. Malgré mouts demandes, le gouvernement refuse de dévoiler une preuve circonstancielle : l’évaluation faite par les fonctionnaires des demandes de place. Cela pourrait établir que les choix étaient autres que rationnels.

Pourquoi ne pas commencer par ce point d’entrée ? Par ce stratagème appréhendé ? Pourquoi ne pas demander à voir tous les documents ? Interroger les sous-ministres et les fonctionnaires ? Inviter même un certain Tony Tomassi à témoigner ? (Aucun risque de polluer la preuve, les dossiers des procureurs sont déjà montés. Il comparaît le 14 novembre.)

Vous pourrez ainsi voir si, dans le cas même du gouvernement actuel, les documents et les témoignages sont produits volontairement et de bonne foi. Et si un ex-ministre libéral est prêt à jouer le jeu.

Si tout le monde ouvre ses dossiers et ses souvenirs, vous pourrez publier rapidement un premier rapport d’étape, sectoriel, sur ce stratagème récent. Puis vous attaquer au suivant.

Mais posons l’hypothèse que ce test ne soit pas concluant. Et que vous n’obtenez ni les documents, ni les témoignages voulus. Que dirait votre premier rapport dans, disons, six semaines ?

Que vous recommandez, pour la poursuite de votre travail, qu’on vous accorde les pouvoirs normaux d’une commission d’enquête. Et que sinon, la commission est un gaspillage de fonds publics.

Chiche.

Bien cordialement,

Jean-François Lisée