L’excellente stratégie de François Legault

le-fait-de-savoir-que-30-des-quebecois-se-disent-prets-a-appuyer-francois-legault-fait-craindre-le-pire-pour-l-avenir-du-quebec-300x233Pourquoi excellente ? Parce que son principal défi, depuis l’automne dernier, est de jouer la montre, d’étirer la sauce, de repousser le plus longtemps possible le moment où l’opinion se lassera de lui.

Pourquoi étirer la sauce? Parce que son atout principal est la nouveauté (ce qui est pas mal pour un ancien ministre de l’industrie et du commerce, de la santé et de l’éducation) et la volonté de changement des Québécois. Pour l’instant, il joue très correctement le calendrier, la méthode et le positionnement politique.

Le calendrier

Il est essentiel pour Legault que son lustre de nouveau candidat incarnant le changement survive aux deux années qui nous séparent de l’élection québécoise, quelque part en 2013. Survive, donc, une éternité.

François Legault a fait un bouquet d’entrevues ces derniers jours: Les coulisses du pouvoir, Larocque Lapierre dimanche et, surtout, Le Verdict lundi, où il a dit un nombre remarquable de faussetés. (J’y reviendrai demain.)

À Larocque Lapierre, il s’est dit inquiet « de la volatilité de l’électorat ». En effet. L’engouement de 43% des Québécois pour le NPD le 2 mai dernier est un signe de volatilité — un mouvement à mon avis raisonné et parfaitement respectable –, mais qui indique que l’électorat a la capacité de décider de s’orienter massivement ici ou là, selon la conversation collective qui se déroule au Québec pendant une campagne électorale.

Pour l’instant, la stratégie Legault est excellente car la volatilité joue pour lui. Selon un sondage CROP rendu public à TVA dimanche matin, 37% des Québécois voteraient aujourd’hui pour un parti fusionnant les forces de François Legault et de l’ADQ, 29% pour le PQ et seulement 19% pour le PLQ. Si on compare au tout récent CROP qui n’introduisait pas cette hypothèse, cela signifie que l’alliance Legault/ADQ faucherait la totalité des indécis. Autant dire, une proportion qui propulserait François Legault au poste de premier ministre, qui grugerait le terreau péquiste et qui relèguerait les Libéraux dans leurs seuls châteaux-forts non-francophones.

Si on en croit donc ce sondage, le chemin tracé par Legault réussit pour l’instant à le maintenir, dans l’opinion, dans une position de vainqueur. Rien ne doit le faire changer de cap. Et s’il craint « la volatilité », c’est qu’il en est aujourd’hui le bénéficiaire et pourrait en devenir, demain, la victime.

Comme je l’ai déjà expliqué ici, Legault a raison de se méfier. Parmi les personnes qui ont voulu surfer sur leurs lunes de miel dans l’électorat québécois, on compte notamment Jean Charest (hyper-populaire au printemps 1998, puis défait à l’élection de 1998), Paul Martin (adulé avant de devenir Premier ministre, en chute libre peu après) et le meilleur des meilleurs: l’alors nouveau chef du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion qui eut droit, lui-aussi, à une lune de miel québécoise après sa nomination. Sans oublier, évidemment, et deux fois, l’ADQ de Mario Dumont.

La grande tâche de Legault est d’entretenir sa lune de miel plus longtemps que tous ses prédécesseurs.

La méthode

On peut aujourd’hui comparer la méthode Legault avec la méthode du Parti québécois, son principal adversaire, pour ce qui est de la présentation de ses idées.

L’automne dernier, le PQ a déposé en un seul mouvement sa « Proposition principale », contenant un grand nombre de propositions en plusieurs cas fort novatrices sur l’économie, la santé, l’éducation, la langue, les ressources naturelles, l’environnement. C’était le fruit d’une longue série de consultations internes et externes. (Transparence totale: dans ce processus, on m’a parfois demandé mon avis). Qui connait ces propositions ? Presque personne. La stratégie de communication liée à leur présentation publique était, en un mot, nullissime. Si vous leur demandez pourquoi, ils vous répondront que cela tient aux statuts du Parti. (Soupirs.)

Le congrès du PQ s’est joué sur deux informations seulement: le vote qui a transformé Pauline Marois en Mme 93% et le débat sur la langue. Alors que sur le seul sujet linguistique, le programme péquiste est beaucoup plus riche que les seules propositions sur le Cégep et l’affichage qui ont retenu l’attention.

Legault, lui, joue au contraire la (relative) rareté. Il intervient avec des propositions ciblées, tantôt sur l’éducation, tantôt sur la santé, bientôt sur l’économie et sur la culture. Chaque fois, il attire l’attention des médias, suscite le débat. Ses propositions ne sont ni géniales, ni terribles. Elles portent la marque d’un esprit managérial, qui veut agir du haut en bas, s’assurant de braquer parfois contre lui les membres du secteur public et leurs syndicats qui, heureusement pour lui, n’ont pas la cote. (L’autre problème est que ces solutions managériales sont souvent vouées à l’échec, justement parce qu’elles s’imposent d’en haut plutôt que de s’ancrer dans la volonté et l’intérêt même des artisans du secteur public, comme je l’explique dans ma version de la « gauche efficace ».)

Peu importe. L’important pour Legault est de suivre un calendrier qui l’emmène jusqu’au début 2012. Quatre plateformes sectorielles ce printemps, une tournée automnale et un document synthèse à l’automne. Puis ?

Puis, explique-t-il maintenant, il prendra la décision de « créer un nouveau parti ». (Gag: il ne le fera que si aucun autre parti ne reprend toutes ses propositions. Quel sens de l’humour !)

Le positionnement politique: le ni-ni à la puissance deux

Legault s’est positionné au point zéro des deux axes qui traversent le débat politique québécois. L’axe souveraineté/fédéralisme et l’axe gauche/droite.

Sur le premier, il esquive la question. Il offre, comme naguère Mario Dumont, une figure ni-ni (ni-souverainiste, ni-fédéraliste), mais « nationaliste », ce qui n’exclut presque personne au Québec.

Êtes-vous souverainiste, lui demande-t-on ?

« Si être souverainiste est de faire la promotion de la souveraineté, je ne suis pas souverainiste, » répond-il. Admirablement, des journalistes le laissent filer avec cette non-réponse. Je ne pense pas que les collègues anglophones s’en contenteront. Être souverainiste, c’est souhaiter que le Québec devienne un jour indépendant. Franchira-t-il un jour, dans sa recherche du positionnement le plus beige possible, la ligne d’affirmer qu’il ne le souhaite plus ? À suivre.

Sur le positionnement gauche/droite, il a un peu patiné, mais semble avoir choisi la même couleur – beige. Au début de son aventure, il a laissé dire qu’il proposerait un programme de centre-droit. Puis, il a rappelé qu’il avait, le premier, avancé le concept de « gauche efficace ». Ce qui a provoqué beaucoup de remous dans les radios de Québec qui, jusque-là, le prenaient pour l’un des leurs.

Aujourd’hui, informé peut-être par la chute des candidats de droite lors des élections fédérales, il adopte une autre position ni-ni: ni gauche, ni droite.

Un problème, une solution, avance-t-il. Au diable les idéologies. C’est, sur le fond, un peu court. La finalité de la droite est de réduire, en soi, la force de l’État et du collectif pour faire primer l’individu, ses réussites et ses risques d’échecs au coût s’il le faut d’une inégalité forte, y compris une pauvreté forte. La gauche est concentrée sur la quête de l’égalité des chances comme condition de la réussite individuelle, l’atténuation des risques, et la solidarité comme méthode, via un État qui intervient pour le bien commun.

Mais il y a un marché électoral, au Québec, pour le discours ni-ni. Le choix de Legault de se choisir un ennemi syndical — les syndicats d’enseignants — mais de refuser d’augmenter le privé en santé lui permet de jouer l’équilibriste avec de bonnes munitions.

Comment avaler l’ADQ sans se faire avaler

Début 2012, donc, se jouera la grande manoeuvre. Constatant, avec une incommensurable tristesse, qu’aucun des trois partis existants n’accepte de reprendre ses propositions, François Legault annoncera sa volonté de fonder un nouveau parti.

Ainsi, pas besoin de se plier aux volontés programmatiques de l’ADQ, à ses élus, ni de traîner ses casseroles. Oui mais, comment le vampiriser, attirer ses militants, ses députés, ses candidats, en laissant derrière les gênants libertariens qui ne veulent pas jouer au ni-ni ?

Il lui sera essentiel que les sondages indiquent, là comme maintenant, qu’il reste en tête. Il sait déjà que des membres de la petite députation adéquiste souhaitent se joindre à lui. Pour l’instant, Gérard Delteil joue bien le jeu de celui qui veut rester à la tête de son petit parti — qu’il a effectivement ressuscité — et qui voudra se faire prier pour rejoindre, comme numéro 2, le seul homme qui puisse le mener à une banquette ministérielle, François Legault.

Chacun comprend que cette pièce ne devra se jouer qu’au début 2012. Une fois le chef, des députés, quelques militants clés passés à ce qui pourrait s’appeler  « La coalition pour l’avenir de François Legault et de Gérard Delteil » (CAFLGD), le jeu de vase communicants se prolongera rapidement.

Le vrai test pour Legault sera de démontrer qu’il ne chasse pas que dans les terres adéquistes. Qu’il attire à lui, dans son nouveau parti, quelques figures naguères identifiées au PLQ et au PQ. Il avait bien fait, dès son entrée en scène, en mettant en vitrine Charles Sirois, ex-recruteur de candidats pour Jean Charest. Mais Sirois jure qu’il ne sera pas de l’aventure partisane.

Legault avait bien dans son équipée l’ex-ministre péquiste Jean-François Simard et l’ex-candidat libéral fédéral Bruno-Marie Béchard-Marinier, très connu en Estrie. Seront-ils du voyage ?

Pour Legault, le Graal serait d’annoncer que se joignent à lui des députés libéraux ou péquistes actuels qui, sentant venir la fin de leur carrière politique sous leurs couleurs actuelles, décideraient de voir la lumière.

C’est une tâche extrêmement ardue. Dans ces opérations, beaucoup se laissent flirter sans, en définitive, se laisser séduire. Je ne peux mieux conclure ce billet qu’en empruntant à Charles Sirois la chute d’un inoubliable article paru dans La Presse le 6 juin 2002:

Si nous sommes prêts à relever ce défi, il nous faut retrousser nos manches et commencer dès maintenant à travailler tous ensemble parce que… nous sommes encore très loin de la coupe aux lèvres.

Ah oui ! Elle est loin, la fameuse « coupe aux lèvres » !