L’héritage du cours Éthique et culture religieuse : Une génération d’athées multiculturels ?

J’applaudis, évidemment, à la décision du gouvernement Legault de remplacer le cours ECR, Éthique et culture religieuse, par un cours plus large sur la citoyenneté. C’était précisément la proposition que j’avançais depuis 2016.

Je compte bien répondre à la question posée par le ministre de l’éducation Jean-François Roberge : que devrait-on inclure dans ce nouveau cours ? Mais avant, je voudrais revenir sur un aspect très paradoxal du cours ECR qui vous a peut-être échappé.

Depuis son introduction en 2008, le cours est pris à partie y compris par les tenants de la laïcité, dont je suis, et par les organisations religieuses. Les laïcs estiment qu’il est excessif de consacrer une heure par semaine pendant 11 ans au fait religieux, car cela exagère nettement l’importance de la religion dans la société. Ils estiment aussi que le cours présente comme parfaitement respectables des religions qui, pour l’essentiel, incarnent le refus de l’égalité homme femme et substituent à la science un récit imaginé de l’histoire humaine. Plutôt que de porter un regard critique sur les religions, l’ECR prône une acceptation totale des différences et fait comprendre qu’il est condamnable de critiquer les religions ou d’insister sur le caractère laïc de nos institutions. Bref, le cours ECR propage l’idéologie multiculturaliste.


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Un impact mesurable sur l’appui à la loi 21

On exagère ? Voire. Un des principaux concepteurs du cours, Georges Leroux, dans un texte fondateur, a écrit: «On doit surtout faire l’effort de concevoir une éducation où les droits qui légitiment la décision de la Cour suprême [qui permet le port du kirpan à l’école], tout autant que la culture religieuse qui en exprime la requête, sont compris de tous et font partie de leur conception de la vie en commun.» Le programme ECR, a-t-il ajouté, «doit inculquer le respect absolu de toute position religieuse».

Difficile de ne pas voir une relation de cause à effet entre ce cours et le fait que les Québécois de 18 à 24 ans, donc qui ont été exposés au cours, soient les moins favorables à l’interdiction des signes religieux pour les personnes en autorité. Ils sont divisés à égalité sur le sujet (36% pour et contre), alors que leurs aînés immédiats, de 25 à 34 ans, non exposés au cours, y sont à plus de 50% favorables, une majorité qui grimpe ensuite jusqu’à 80 % avec l’âge. (Pour le sondage Léger, voir ici. PDF)

Une fabrique d’athées ?

Mais alors pourquoi le cours est-il si mal reçu par les autorités religieuses ? Elles devraient être ravies, non ? Non. Parce que le cours produit peut-être des multiculturalistes, mais il produit des multiculturalistes athées.

Si vous souhaitez que votre enfant de six ans partage votre foi, il est hautement préférable qu’il ne soit exposé qu’à la vôtre, qu’elle soit chrétienne, juive ou musulmane. Car il n’y a, c’est connu, qu’un seul Dieu et une seule vérité. Exposer les jeunes de 6 à 17 ans à l’existence simultanée de plusieurs religions, plusieurs Dieux, plusieurs rites, affirmer que toutes ces versions sont également respectables, c’est miner le fondement même de l’attachement à une religion.

Analyses et récits entre vos deux oreilles: cliquez sur l’image.

Vous avez entendu parler de l’exercice proposé dans un des cours ? Après avoir démonté les composantes classiques des religions, l’exercice s’intitule « J’invente ma religion ». En équipe, l’élève s’invente un Dieu, un récit d’origine, un livre sacré, des rituels, des objets de culte.

Si à quatre élèves de 6, 10 ou 12 ans, on peut s’amuser à inventer une religion, on peut constater que ce n’est finalement pas si compliqué. Comment, au sortir de cet exercice, ne pas mettre en doute la véracité des discours religieux officiels.

J’aimerais pouvoir prouver ce que j’avance en vous citant des données qui prouvent que le nombre d’athées et d’agnostiques augmente significativement chez les jeunes québécois. Des données récentes attestent d’une baisse de la pratique religieuse, de la croyance en Dieu, du nombre de mariage religieux. Les plus jeunes québécois expriment, davantage que leurs aînés, un décrochage envers le fait religieux.

Malheureusement, aucune étude ne permet de distinguer précisément l’impact du cours ECR. Il a été introduit en 2008. Au moment du dernier sondage disponible, datant de 2019, les Québécois qui y ont été exposés avaient entre 16 et 27 ans.

Un sondage Léger réalisé par l’Association des études canadiennes a relevé que la croyance en Dieu décline clairement avec l’âge. Parmi nos aînés, de plus de 65 ans, au moins 65% y croient. On obtient une majorité de croyants aussi, mais plus faible, chez les plus de 35 ans.

La majorité bascule chez les moins de 35 ans. Pour la première fois dans l’histoire moderne du Québec, la majorité des 25-35 ans soit 52% affirment ne pas croire en Dieu, sans compter ceux, plus de 10%, qui disent ne pas avoir d’opinion à ce sujet. Chez les plus jeunes, les 18-24 ans, donc davantage encore exposés au cours ECR, la non croyance est toujours historiquement élevée mais légèrement moins forte, à 46%. Cependant ceux qui disent être indécis sont plus nombreux, à 15%.

Globalement, entre 18 et 35 ans au Québec, on ne trouve qu’un citoyen sur trois qui affirme croire en Dieu. C’est le score le plus faible, et de loin, en Amérique du Nord.

ECR: par quoi le remplacer ?

Maintenant que le gouvernement Legault a décidé de le remplacer, la question est, par quoi ?

Candidat à la direction du PQ, j’avais réfléchi à cette question et ma réponse est la suivante : ces heures devraient être consacrées à outiller nos jeunes pour qu’ils soient des citoyens informés et éclairés. Cela signifie qu’ils doivent comprendre les droits et devoirs qu’ils auront dans la société, qu’ils puissent se repérer dans la vie démocratique, dans la vie juridique, dans la vie économique et dans la vie sociale.

Le ministre soumet sept thèmes. Certains recoupent exactement mes propositions. Une initiation à la vie démocratique, locale et nationale, une initiation au système juridique et aux droits du citoyen. Je note que le thème de l’égalité des hommes et des femmes n’est pas au programme, il devrait l’être.

Le ministre propose d’y insérer, comme je le souhaitais, tout un volet sexualité.

Viennent cependant s’ajouter une proposition d’éducation à l’écocitoyenneté qui me semble, comme parent, déjà abondamment couvert à l’école. Un volet développement de soi et relations interpersonnelles et un volet Éthique, consistant à faire comprendre à l’élève les règles du vivre ensemble et les moyens de combattre le stress,  est bienvenu.

S’ajoute un volet Citoyenneté numérique qui me semble intéressant à l’heure de la cyberintimidation et du hammeçonnage. On y parle aussi du regard critique qu’il faut poser sur la publicité, les médias et les médias sociaux. J’achète. J’ajouterais un volet sur les théories du complot et les fake news.

Le fantôme du cours ECR

Puis, vient un dernier volet, qui est ni plus ni moins le fantôme du cours ECR, intitulé « Culture des sociétés ». Il me paraît difficile de préparer un jeune à la vie citoyenne sans lui donner une idée de la diversité culturelle et religieuse qui l’entoure. La question du récit religieux en soi devrait être reléguée au cours d’histoire mondiale, point à la ligne. Mais on ne peut faire l’impasse sur les questions de diversité et d’intégration.

Le problème avec la proposition du ministre, c’est qu’elle fait semblant que ces questions ne font pas débat. Que le Québec n’a pas de position. D’ailleurs, le mot laïcité n’y apparaît pas.

Laissez-moi vous lire ce qu’on y trouve :

Par ce thème, l’élève peut être informé, par exemple, sur :

  • les croyances religieuses;
  • les aspects culturels, économiques et politiques, qui peuvent différer d’une culture à l’autre;
  • la nécessité qu’à l’intérieur d’une société, la différence entre les individus soit considérée comme une richesse;
  • les défis associés à l’intégration des individus et à l’acceptation de la différence

fin de citation

Je ne m’arrête qu’un instant sur l’idée que la différence n’est pas dans tous les cas une richesse car les Hells Angels sont différents, les djihadistes sont différents, les fraudeurs sont différents et je ne souhaite pas que nos enfants soient conduits à accepter ces différences comme, disons, enrichissantes.

Je note aussi que rien n’est prévu pour prévenir nos jeunes contre le danger de recrutement par les sectes et sur les périls du radicalisme religieux. Je suppose que les techniques de recrutement des proxénètes seront couvertes dans l’éducation sexuelle, mais j’espère qu’on trouvera aussi le temps pour démonter la logique des gangs. Si ce cours est efficace, il développera chez nos jeunes citoyens des anticorps face à ces dangers qui les entoure.

Mais j’estime qu’il faut en effet jouer franc jeu avec les élèves, surtout du secondaire, dans un thème qui pourrait s’appeler non pas « culture des sociétés » mais « le vivre-ensemble au Québec ».

On leur apprendrait qu’il y a plusieurs façons d’organiser les sociétés et d’aborder l’intégration des arrivants. Les États-Unis ont choisi le Melting-pot, le Canada le multiculturalisme, mais le Québec a fait un autre choix. Pour l’instant, la doctrine québécoise est l’interculturalisme (je trouve la chose trop molle, mais c’est la doctrine) et les Québécois ont fait le choix d’un État laïc, où les signes religieux et de conviction ne sont pas admis chez les personnes en autorité.

Une explication de la marche historique de la société québécoise vers la laïcité serait, là, bienvenue. Et pourquoi, si on insiste tant pour parler d’intégration, n’aborde-t-on nulle part un des thèmes centraux de la vie québécoise : la question linguistique et la volonté de maintenir ici une société dont la langue officielle et commune est le français ?

Bref, le ministre a réussi le tour de force de proposer un cours de préparation des jeunes québécois à la vie citoyenne moderne, sans que les plus grands débats de société de la dernière décennie et les plus grandes décisions des Québécois sur le sujet du vivre-ensemble n’y soient abordés.

C’est un exploit.

 


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2 avis sur « L’héritage du cours Éthique et culture religieuse : Une génération d’athées multiculturels ? »

  1. Vous écrivez que les organisations religieuses sont critiques de l’actuel cours ECR.
    Mais non seulement vous ne citez aucune de ses organisations , encore moins les critiques publiques qu’ils auraient fait de ce cours, selon vous. Pire, vous imaginez un motif structurant l’ensemble de leur supposées critiques, à savoir que le cours actuel créerait des multiculturalistes athées , et ce , alors même que vous citez un sondage Léger démontrant que les jeunes de 18-25 soumis à ce Cours croient davantage en Dieu que la génération qui les précèdent soit les 25-35 qui n’ont pas été exposé à ce cours. N’avez-vous pas ici un problème de logique voire d’honnêteté intellectuel ? Par contre, vous dites vrai en parlant de la thématique Cultures et société du Ministre Roberge qui propose de faire des religions un sujet sur quatre possibles… en effet, cette thématique sera le « fantôme  » de l’actuel ECR. Bref, lui et vous allez dans le même sens , faire disparaître complètement la notion de transcendance pour y préférer quasi totalement la notion d’immanence… N’est-ce pas vouloir s’imaginer qu’une croix ne devrait plus avoir d’axe vertical mais uniquement un axe horizontal ? Donc plus de référence au religieux au profit d’une référence exclusive à la laïcité qui en fait est un laïcisme , un truc parfaitement sectaire.

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