L’éditorialiste du Soleil, Pierre-Paul Noreau, débutait ainsi son texte de samedi dernier: « L’important sondage de la maison CROP diffusé aujourd’hui remet les pendules à l’heure à un moment crucial de la crise sur la hausse des droits de scolarité. »
Le sondage « remet les pendules à l’heure ». Pourquoi ? Quelqu’un les avait-elle détraquées ? Il faut croire que oui. La semaine précédente, un sondage CROP réalisé pour partie avant que les détails de la loi spéciale soient connus avait conduit La Presse et Le Soleil à titrer que 66% des Québécois favorisaient « la ligne dure ».
Avec le recul, on sait que ce n’est pas le cas. Une semaine plus tard, le nouveau CROP présentait un électorat divisé sur la question, comme ce qu’avait indiqué un sondage Léger le lundi précédent. Les pendules avaient en effet été remises à l’heure.
Et il fallait voir avec quelle vigueur le directeur de l’information de La Presse, Éric Trottier et son adjointe Katia Gagnon devaient défendre la crédibilité de leur journal et de leurs sondages CROP, samedi matin et ce mardi dans la gazouillosphère. Je veux être extrêmement clair sur ce point. L’intégrité professionnelle de Trottier et celle de Gagnon est impeccable. Comme l’écrivait récemment le collègue Patrick Lagacé, les journalistes de La Presse ont puissamment contribué, ces dernières années et notamment sous la direction de Trottier, à révéler scandale sur scandale au sujet du régime libéral.
À mon avis, et connaissant personnellement les joueurs, La Presse est la victime collatérale des erreurs de CROP, comme celles que j’ai mise en lumière ce mardi sur l’incroyable sous-représentation des 18-24 ans dans un sondage destiné à juger d’une crise provoquée par… des 18-24 ans !
Quand La Presse nettoie derrière son CROP
On doit à la vérité de dire que ce n’est pas la première fois que La Presse doit nettoyer derrière son CROP. Au moment de l’élection fédérale de janvier 2006, La Presse avait du présenter ses excuses en première page pour une erreur de calcul de CROP.
En ce cas, l’erreur de CROP avait conduit le quotidien à affirmer que l’élection fédérale avait considérablement amélioré la cote du chef libéral québécois Jean Charest et mis à mal la popularité du PQ et de l’option souverainiste. Une fois les calculs refaits, le mouvement de l’opinion était beaucoup moins important que ce qui avait d’abord été écrit.
La direction de l’information de La Presse résolut alors de diversifier ses sources de sondage. Ce blogueur sait de source sûre que La Presse a même approché Léger Marketing pour l’inviter à devenir son sondeur régulier. Mais le quotidien de la rue Saint-Jacques ne pouvait offrir autant à Léger que ce qu’il retire de son association avec le Journal de Montréal et TVA combinés.
Mais on ne peut pas accuser La Presse de ne pas avoir essayé de se dégager, du moins à l’époque, de son fournisseur habituel de sondages.
Quand un sondeur libéral critique CROP
Le sondage CROP le plus controversé, et le plus lourd de sens, de l’histoire québécoise moderne fut celui réalisé en février 1995 pour le compte de Radio-Canada, donc dans les mois précédant le référendum. J’ai raconté la chose dans mon livre Sortie de secours, publié en 2000.
CROP y affirmait que l’appui à la souveraineté n’était que de 40%. Ce résultat fut inscrit dans le débat collectif grâce à la tribune télévisuelle dont a joui cette révélation, de son chiffre symboliquement fort — 40% était le résultat du Oui au référendum de 1980 — et des relais fédéralistes enthousiastes dans les journaux par la suite. Un texte de une de La Presse, citant un sondeur canadien anglais, titrait peu après: « Le référendum a eu lieu et il est perdu ». Ce sondage eut plus d’impact que tout autre événement de début d’année pour déprimer le travail du camp du Oui (transparence totale: j’étais alors conseiller de Jacques Parizeau).
Mais ce résultat de février était d’autant plus surprenant que, pendant la période immédiatement précédente, les résultats de CROP sur la question référendaire suivaient presque exactement ceux du légendaire sondeur interne du PQ, Michel Lepage. En décembre, CROP avait livré à L’actualité un sondage montrant que la souveraineté était à 49%. C’est ce qu’avait Lepage. Puis, après un début de janvier difficile pour le OUI, CROP s’associait à SOM et au sondeur CRÉATEC, du Parti libéral, pour diffuser un super-sondage fondé sur un très large échantillon, donnant la souveraineté à 46%. C’est ce que le camp du Oui avait aussi.
Donc en février, l’étonnant 40% de CROP, comme sorti de nulle part, mettait de méchante humeur… le sondeur du Parti libéral, Grégoire Golin de CRÉATEC. Il fit à La Presse un commentaire dubitatif sur la quasi disparition des indécis relevés dans le CROP (5% seulement) un mois après leur forte présence (20%) dans le CREATEC-SOM-CROP. Le jour de ce 40%, Michel Lepage livrait au Oui son propre son de cloche: 47%. Il n’avait jamais constaté un tel écart entre CROP et lui.
Évidemment, tout le monde a le droit à l’erreur. Il est absolument certain que les artisans de CROP tentent de faire leur travail avec méthode et rigueur. J’ai moi-même réalisé avec CROP, pendant mes 30 ans de collaboration à L’actualité, un bon nombre de sondages, sociaux et politiques, dont je fus parfaitement satisfait.
Mais il est tout de même curieux que, régulièrement, lorsqu’un qu’un sondage CROP sort du rang, lorsque CROP donne pour ainsi dire l’heure avancée, c’est l’heure pro-PLQ ou pro-fédéraliste qu’elle donne.
Cela est arrivé maintenant trop souvent, sur des sujets trop sensibles, pour qu’on ne le remarque pas.