L’heure venue de Québec solibéral?

« Il l’a dit ! Il l’a dit ! » C’est le jeune Robert Bourassa qui trépignait ainsi, en juillet 1967, lorsque Charles de Gaulle a lancé son « Vive le Québec libre ! » J’ai eu une réaction identique, dans mon salon lundi soir dernier, lorsque Gabriel Nadeau-Dubois a déclaré que les électeurs de Saint-Henri–Sainte-Anne venaient d’élire un « député indépendantiste ».

GND croyait peut-être satisfaire le vœu exprimé la semaine précédente par le facétieux péquiste Pascal Bérubé. Il l’avait mis au défi, lui ou son candidat, de prononcer avant la fin de la campagne le mot « indépendance », jusque-là inaudible chez les solidaires locaux. Mais les règles de cette joute exigeaient peut-être que le mot soit prononcé avant que les bureaux de vote soient fermés.

Je n’ai pas compris pourquoi les péquistes étaient si fâchés que le candidat solidaire Guillaume Cliche-Rivard ait distribué un tract unilingue anglais pendant sa campagne. René Lévesque, Jacques Parizeau et l’auteur de ces lignes ont tous produit pour le Parti québécois (PQ) quelques documents écrits ou audiovisuels en anglais. On s’assurait cependant d’une chose : y mentionner que notre parti voulait faire du Québec un pays. M. Cliche-Rivard a omis ce détail dans toutes les versions, françaises et anglaises, de ses tracts, et on me rapporte qu’il fut aphone sur son projet de séparation dans les débats des candidats (auxquels la Coalition avenir Québec [CAQ], suivant sa scandaleuse tradition, a refusé de participer).

Fallait-il en conclure que Québec solidaire (QS) a ainsi mené une « campagne plus libérale que les libéraux », comme l’a déclaré le chef péquiste ? Ce verdict, repris à TVA par l’ancien ministre libéral Gaétan Barrette, semble embêter considérablement les solidaires, bizarrement mis sur la défensive au lendemain d’une pourtant très décisive victoire en terrain ennemi.

Des journalistes pointilleux ont voulu aller au fond de cette affaire. L’indépendance, a demandé l’un d’eux mardi matin, « est-ce que c’était un thème gagnant pour vous dans cette circonscription-là ? » Le leader parlementaire solidaire, Alexandre Leduc, a joué franc jeu : « Ben. Nous, on a voulu faire une campagne positive, basée sur les enjeux, une campagne terrain. » Le seul rapport logique entre la question et la réponse est que, pour QS, l’indépendance n’est pas un enjeu, n’est pas positive, ou les deux.

À leur décharge, on ne peut les accuser d’avoir caché le drapeau québécois dans la partielle. Ils ne l’utilisent presque jamais. Contrairement au Parti libéral du Québec (PLQ), qui l’affiche même fièrement sur son logo. Plus étonnant dans Saint-Henri–Sainte-Anne a été le choix du lutrin du dernier point de presse. Le mot « Québec » avait disparu de l’affiche, au profit du seul « solidaire ».

D’où vient cette réticence à assumer non seulement son identité indépendantiste, mais son identité québécoise tout court ? Une de mes députées solidaires favorites, Ruba Ghazal, nous a éclairés sur ce point dans le récent balado de Génération Oui. Interrogée sur sa conviction indépendantiste, elle a déclaré « détester au plus haut point » le type de discours « quand on parle de la nation québécoise, quand on parle du Québec, du pays, de l’histoire ». Elle y lit « entre les lignes » une référence aux seuls « vrais » Québécois, les descendants des colons de la Nouvelle-France.

Dans une réplique cinglante, l’ex-députée et désormais porte-parole du Parti québécois Méganne Perry Melançon a conclu que Ghazal semblait être « allergique au mot “nation”, à notre volonté de nous inscrire dans une histoire, de célébrer la grande aventure québécoise sur le continent ». La victime collatérale de cette posture antinationaliste n’est-elle pas l’idée même d’indépendance ? « Pose-toi la question, a-t-elle ajouté : pourquoi n’arrivez-vous pas même à convaincre la moitié de votre propre électorat à appuyer l’indépendance ? Peut-être est-ce parce que vous calomniez une partie des indépendantistes. Parce que vous détestez leur discours. »

Le flou pas très artistique entretenu par QS sur son identité indépendantiste peut être délétère pour l’idée indépendantiste tout en étant payant pour la croissance de QS en terrain libéral.

L’ex-chef du NPD Tom Mulcair expliquait cette semaine à Qub Radio qu’il connaissait personnellement plusieurs militants néodémocrates très impliqués dans la campagne solidaire, mais qui jamais, au grand jamais, n’appuieraient la souveraineté. Ils ne croient tout simplement pas, explique-t-il, que QS soit vraiment indépendantiste.

Pourtant, il l’est, on n’a qu’à lire son programme. Il n’y est pas question de tenir un référendum sur l’indépendance, mais d’élire au suffrage universel une assemblée chargée d’adopter une constitution souverainiste, ensuite soumise au vote. Si QS forme le gouvernement, c’est peut-être que 55 % des Québécois seront dans l’intervalle devenus souverainistes. Cela signifie que 45 % des membres de l’assemblée seront fédéralistes.

C’est comme si on confiait à 100 personnes la tâche de concevoir une loi sur le droit à l’avortement et qu’on y conviait 45 délégués antiavortement. Un échec programmé. Comment QS fera-t-il pour faire surgir un consensus indépendantiste de son assemblée ? Grâce à un processus que les spécialistes versés à la fois en sciences politiques et en psychologie behaviorale désignent de l’expression un peu technique « pensée magique ». (Pour une explication plus complète de l’impossibilité de faire l’indépendance avec la méthode solidaire, voir ici.)

Voilà peut-être pourquoi des militants fédéralistes néodémocrates peuvent militer dans un parti dont la stratégie indépendantiste garantit le maintien du Québec dans le Canada.

Il est certain que le succès de QS dans un ancien château fort libéral va attirer l’attention du Politburo sur d’autres dépouilles libérales à Montréal, à Laval, à Gatineau. La descente aux enfers du PLQ va certainement pousser beaucoup de ses électeurs, notamment de jeunes non-francophones, à chercher ailleurs un nouveau logis politique qui pourrait être QS. Pour peu qu’on laisse au placard l’indépendance et le fleurdelisé, peut-être même le mot « Québec », ça peut marcher.
 


Précision: Dans la version de ce texte d’abord publiée dans Le Devoir, j’indiquais que Québec solidaire n’utilise le drapeau québécois «jamais, dans aucun événement, où que ce soit». Or QS a contacté Le Devoir pour l’assurer que Gabriel Nadeau-Dubois avait brandi le fleurdelysée dans un événement à Sherbrooke le 17 septembre 2022. Donc, l’équipe de recherche a trouvé un cas en six mois. On a donc corrigé à « presque jamais ». Mais c’est une précision qui, par l’absurde, attire davantage l’attention sur l’absence que sur la présence du drapeau québécois dans l’univers solidaire. Ayant fait mes recherches, j’ai trouvé une autre photo de GND avec notre drapeau, mais c’était avant qu’il soit à QS:

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)


Mettez ce l’histoire dans vos oreilles en cliquant ici.

2 avis sur « L’heure venue de Québec solibéral? »

  1. QS est indépendantiste, à condition que le Québec devienne une sorte de j’exagère
    Un peu mais je persiste à dire que je ne suis pas
    Loin de la vérité . Je sais et vous savez que
    Ça n’arrivera jamais.

  2. Titre :
    De la vue à l’hyperlien

    J-f L,
    je vous cite au présent texte révélant un hyperlien « dans le récent balado de Génération Oui ». J’ai visionné, travaux ménagers faisant, 75 minutes somme toutes intéressantes à Youtube, Génération oui, épisode 15 de la dame Ghazal.

    Un portrait de René Lévesque, à l’arrière-plan, nous révèle l’Homme avec le sourire de « Joker » et un signe de deux doigts …, comme s’il avertissait « je vous ai à l’oeil ! ».

    L’émission a deux commanditaires et j’ai découvert, au second, l’existence de la boutique en ligne « https://50plus1.quebec/ » d’où l’animateur principal a tiré son chandail avec l’effigie appliquée de : René Lévesque en piastre d’or.

    Ruba fait vive conférence, inclusive de Gérald Godin surtout, Camille Laurin aussi, Véronique Hivon et Sylvain Gaudreault admissibles à sa cour. Saint-Pierre (PSPP) n’est pas égratigné pour autant.

    Ruba Ghazal, la vedette, critique la droite indépendantiste et admet détester cette option qu’elle qualifie de « identitaire ». Il semble que ce soit la bête féroce en ce qui la concerne, …, les notions de nation et de peuple n’étant pas piétinnées.
    Elle joue fort l’enjeu de la pérennité de la langue française et de la culture, ça compte.

    Bref, son indépendantisme est à considérer et j’estime que voter NPD pour elle et eux-autres de Québec solidaire, va dans le sens de la gauche tenant au « voile ». Précisément pour Ruba G, sa mère est libanaise et voilée. Elle s’y pose en enfant au « respect durable ».
    Ah ce tissu qui nous enfarge …, PQ et QS pour longtemps à user … !

    J’en déduis que Québec solidaire, élu à majorité, apprécierait négocier l’Indépendance québécoise avec le NPD. Québec solidaire aurait préalablement intégré des sièges de La Constituante, comme style de contrepartie équitable des tendances politiques.

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