Lire: Les traces laissées par Petrowski dans nos mémoires

Nathalie Petrowski, La Presse, Le DevoirC’était la première chose qu’on lisait. Quelles méchancetés allions-nous trouver, ce matin, sous la plume de Nathalie Petrowski ? Qui serait sa victime ? Surtout, comment serait-elle dépecée ?

Ce serait savoureux, nous le savions. La plume acérée de cette jeune critique devait démontrer, par la force de sa phrase et l’ampleur de son vocabulaire assassin, autant que par ses arguments, sa supériorité morale et intellectuelle sur toute la quétainerie dont nous affligeait le Québec non-branché des années 1970 et 1980. Le matériel ne manquait pas.

C’était dans Le Devoir, à compter de 1976, qu’on retrouvait presque chaque jour ses exécutions culturelles. On en parlait entre étudiants en droit, puis entre jeunes journalistes. Tu as lu Petrowski ce matin ? Qu’est-ce qu’elle lui a mis à celui-ci ou à celui-là ? Nous étions en admiration. Quel cran elle avait. Quelle fougue. Nous ne trouvions pas qu’elle avait toujours raison. Nous trouvions qu’elle avait toujours du front. Elle était une de nos rebelles favorites. Le fait que le milieu du spectacle lui en voulait, que Réal Giguère (animateur vedette, représentant tout les mononcles de la province)  l’engueulait, qu’on voulait lui interdire l’entrée de tel spectacle ou de tel festival ne venait que confirmer la justesse de son combat.

Quand elle apparut, les premières fois, à l’écran, on s’attendait à découvrir la prétention en personne. La rigidité incarnée. Surgissait au contraire un petit bout de femme enjouée, drôle, à la bouille sympathique, qui ne manquait pas de charme. C’est elle ?

Chouette, c’est mauvais !

Dans ses mémoires qu’elle publie ces jours-ci, Petrowski raconte avec sa verve habituelle son entrée en journalisme, presque accidentelle, dans les pages du Journal de Montréal d’abord, dans celles du Devoir ensuite. Il n’y a pas d’apprentissage, de long travail de terrain avant de passer à la critique. On est dans le monde du nage ou coule. Petrowski nage tout de suite. Elle plonge, entière, affirmant que ce qu’elle aime, tout le monde devrait l’aimer et, ce qu’elle n’aime pas, c’est à peu près nul.

Il y a de la condescendance dans son approche. Beaucoup d’arrogance. On sous-entend le « chouette, c’est mauvais » qui enclenche le déluge d’encre noir foncé. Elle revient sur plusieurs de ces péripéties avec juste ce qu’il faut de recul pour admettre être parfois allée trop loin, mais avec toujours assez de colonne vertébrale pour réaffirmer qu’elle avait bien le droit de penser ce qu’elle pensait, quoiqu’on en pense.

Exact. Les mécontents, nombreux, n’avaient qu’à ne pas la lire. Et même dans la mauvaise foi, il y avait du talent. La critique « n’a jamais tué personne » écrit-elle. Certes, le fait qu’elle n’ait pas aimé Starmania n’a causé aucun tort à la carrière du spectacle et de Plamondon. Mais il faut connaître un peu le monde de la culture pour savoir que ses artisans sont souvent des écorchés vifs pour lesquels une mauvaise critique est, chaque fois, une petite mort. N’empêche. C’est le monde qu’ils ont choisi.

Petrowski admet que, lors de son passage à La Presse, elle s’est un peu limée les ongles. Il fallait, écrit-elle, « y aller mollo sur la critique, sauf exception évidemment, l’exception étant un show irrémédiablement et irréversiblement pourri, ce qui est rare, alors la critique finissait souvent par être gentille et favorable, parfois un peu tiède mais c’est tout. Pourquoi ? Par crainte de se faire inutilement des ennemis… »

Je n’ai jamais cessé de lire Petrowski mais, dans ses années à La Presse, je m’ennuyais parfois de ses coups de gueule du Devoir. Elle n’avait pas, là, la crainte de se faire des ennemis. Je n’ai d’ailleurs jamais senti que son collègue et ami Foglia n’ait jamais craint d’augmenter sa liste d’ennemis.

L’âge de l’empathie

Je constate sans condamner. Avec l’âge vient souvent l’empathie. Et Petrowski a eu le cran de traverser le mur et de créer elle-même. Quelques livres (dont, Il y aura toujours le Nébraska, sympathique) , quelques scénarios de films (dont Gerry Boulet, mal reçu), un  documentaire (sur le Cirque du Soleil) une série télé. La difficulté lorsqu’on a été critique à la dent dure et qu’on devient créateur, c’est qu’on s’est condamné à l’excellence, à l’oeuvre, sinon majeure, du moins complètement originale. Quelque chose qui fait date. Applaudissons Petrowski d’avoir essayé.

À l’heure du bilan (ou du bilan d’étape, car il lui reste de belles années) Petrowski nous plonge aussi dans la difficulté d’être journaliste à temps plein et mère. C’est un de ses thèmes tout au long de sa carrière. Elle révèle avoir d’elle même renoncé à avoir un second enfant car, sans que personne ne le lui dise, elle estimait qu’un congé de maternité aurait été déloyal envers La Presse, qui venait de l’embaucher. Elle le regrette aujourd’hui et constate que des collègues un peu plus jeunes qu’elle n’ont pas eu ce (mauvais) réflexe, ce qui marque un progrès. Elle critique le pouvoir masculin qui domine encore à La Presse et le favoritisme de la mise en marché dont ont longtemps bénéficié les chroniqueurs masculins sur les féminins.

Mais c’est après nous avoir narré dans le détail que les plus grandes difficultés professionnelles qu’elle aie connues l’ont été face, non à un patron, mais à une patronne, Lise Bissonnette, directrice du Devoir. Elle avait au contraire trouvé chez Michel Roy (grand journaliste, père de Patrice) directeur par interim au même journal, un allié sage et précieux.

Les mémoires de Petrowski se lisent comme un de ses longs articles. C’est vif, instructif, divertissant. Ceux qui ont suivi sa carrière aimeront se remémorer le parcours de ce personnage de notre vie culturelle et médiatique. Ceux qui ne l’ont pas vécu pourront découvrir l’époque du journalisme pré-internet et conclure que, au fond, on refait toujours à peu près les mêmes débats.

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1 avis sur « Lire: Les traces laissées par Petrowski dans nos mémoires »

  1. Elle n’est jamais arrivé à la hauteur de Chrisriane Charette, lorsque celle-ci avait démolie Bernard Landry avec un effort de méchancheté sur-réaliste

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