Chez les anciens conseillers de Lucien Bouchard, dont je suis, une blague circule depuis maintenant presque neuf ans. Elle va comme suit: «quand le PQ organisera-t-il enfin une soirée hommage à son ancien chef ?» La blague suscite toujours l’hilarité générale, y compris chez le principal intéressé. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais j’ai comme l’impression que, depuis hier soir, on n’a pas fini d’en rire.
Le fait est que, depuis neuf ans, les interventions publiques de M. Bouchard furent rares. On me corrigera si j’en ai manqué, mais presque chaque fois, ses interventions publiques ont plutôt servi au chef du Parti libéral, Jean Charest. A l’élection de 2003, alors que son successeur Bernard Landry défendait, entre autres choses, les fusions municipales de son prédécesseur, M. Bouchard était resté coi. Enfin, pas complètement. Sa seule intervention de la campagne fut de déclarer: « nous sommes sûrement la société la plus taxée en Amérique du Nord. » Pas faux, mais pas très utile à ses ex-ministres et députés, dont certaines de ses propres recrues, dans leur combat électoral. Puis M. Charest, vainqueur de Bernard Landry, avait révélé en souriant que M. Bouchard l’avait appelé pour le féliciter de son élection.
A l’automne 2005, le gouvernement Charest était devenu le plus impopulaire de l’histoire québécoise. En octobre, le Manifeste des lucides, dont M. Bouchard était l’initateur et le porte-parole, était lancé à M. Charest comme une véritable bouée de sauvetage. Il la saisit, et on a assisté au spectacle surréaliste d’un premier ministre s’invitant au bulletin du soir de TVA pour expliquer, pendant de longues minutes, tout le bien qu’il pensait de ce document inespéré, dont l’auteur — Bouchard — l’avait pourtant battu à l’élection de 1998.
Dans la foulée, fin 2005, M. Bouchard est intervenu publiquement pour appuyer la nomination à Paris de l’ex-diplomate canadien Wilfrid Licari, ami de Jean Charest, alors même que Louise Beaudoin dénonçait cette nomination comme un affront à la diplomatie québécoise et à ses talents. (Transparence totale: je ne vous dis rien ici que je n’ai déjà indiqué à l’intéressé qui, j’en atteste, a une grande capacité d’écoute, puis une grande capacité de ne pas changer d’avis.)
Aujourd’hui que le premier ministre Charest est littéralement dans les câbles, notamment sur la question de l’identité où l’incompétence avec laquelle est gérée l’affaire des écoles juives est une pièce d’anthologie, Lucien Bouchard vient à sa rescousse. En une seule intervention, assez brouillonne mais bien sentie, il change le sujet de la discussion politique nationale en offrant en pâture le mets favori de l’industrie des commentateurs politiques (dont je suis): une chicane entre péquistes. Il connaît bien la recette, se l’étant fait servir plusieurs fois par son prédécesseur. Je ne me souvenais cependant pas qu’il y avait pris goût.
Mon ancien patron a raison de noter que le Québec a devant lui un grand nombre de défis:
Dans l’immédiat au Québec, on a autres choses à faire que d’attendre quelque chose qui ne vient pas vite [ la souveraineté]. On a des problèmes très graves, des problèmes économiques, des problèmes d’éducation, des problèmes de santé, de finances publiques, il faut qu’on se mette à la tâche.
Mon souvenir est qu’il s’occupait naguère de toutes ces questions, tout en espérant réunir dans la foulée les conditions gagnantes de la souveraineté. Il semble aujourd’hui reprocher à ses successeurs de vouloir suivre ses traces.
Je note finalement dans son énumération des défis actuels une omission, qui a dû ravir Jean Charest. Lucien Bouchard, connu pour son intégrité sans faille, n’a pas cru bon de noter que le Québec était aussi confronté au défi de la corruption.
Une dernière remarque. M. Bouchard affirme que le PQ se « radicalise » sur la question identitaire et semble vouloir prendre la place de l’ADQ. Encore une fois, corrigez-moi si je n’ai pas été attentif, mais avait-il déjà dénoncé l’ADQ de Mario Dumont pour sa dérive identitaire ? Je suis curieux, c’est tout.