Enfin, la vérité ! Le Premier ministre Jean Charest a pu ce jeudi confirmer point par point le témoignage de son collecteur de fonds Franco Fava. On résume: jamais l’ex-ministre Bellemare ne s’est plaint de pression auprès du PM, jamais Franco Fava n’a évoqué la question des juges avec le PM — ou avec qui que ce soit — il s’«en fout».
M. Charest nous rassure de façon encore plus générale: si Bellemare s’était plaint de pression, le PM aurait sévi contre les malapris:
«S’il m’avait dit ça, ça aurait été intolérable. On aurait pris les moyens pour corriger cette situation-là. On aurait pris les moyens de le protéger.»
Car, en fait, les nominations de juges et toutes les nominations sont à ce point propres propres propres qu’il n’existe aucun biais politique dans le choix des personnes, seulement un biais favorable à l’expérience, aux femmes et aux minorités sous-représentées.
De belles sous-questions à venir !
Ouf ! Nous voilà soulagés. Maintenant que nous sommes tous dans l’univers jusqu’ici insoupçonné de la virginité politique libérale — et nous n’avons aucune raison de douter de la sincérité du témoin — un certain nombre de questions imprévues s’imposent. Toujours soucieux de rendre service, ce blogueur les offre donc aux procureurs qui contre-interrogeront M. Charest, ce vendredi matin.
1) Jean Charest-le-pur a dû être atterré lorsqu’il a appris, plus tôt cette semaine, qu’un collecteur de fonds, Charles Rondeau, avait rencontré 20 fois la conseillère du PM pour les nominations, Chantal Landry.
Pire, Rondeau confesse:
«on parlait de différentes choses, on parlait d’abord du financement du parti, là, tu sais, parce que notre cocktail s’en venait. Après ça, bien le principal, on essayait de faire des listes pour des conseils d’administration, faire une banque pour avoir des noms quand ils cherchaient un nom pour un conseil d’administration…»
On a peine à imaginer la colère qui a du envahir M. Charest lorsqu’il a entendu cette révélation. Si M Rondeau était spécialiste des femmes et des minorités ethniques, on comprendrait. Mais qu’avait-il à constituer une «banque de noms» et, comme le signale mon collègue Marissal, à discuter de financement partisan avant de parler de nominations !
Donc, la question: maintenant qu’il est informé de ces intrusions inacceptables et du tort que ces pratiques pourraient causer à la réputation jusque-là étincelante du processus de nomination, quelle sanction M. Charest prépare-t-il pour son employée Mme Landry ? Retirera-t-il sa carte du PLQ à M. Rondeau ?
2) Il y a pire, M. Charest, il y a pire ! On a appris plus tôt dans la commission que le premier fonctionnaire québécois, l’homme qui doit être apolitique et qui représente la permanence de l’État, avait des relations avec Franco Fava. Comme l’écrit mon collègue de l’UdeM et spécialiste de l’éthique Denis Saint-Martin:
Dans son témoignage à la commission le 8 septembre dernier, le secrétaire général du Conseil exécutif, M. Gérard Bibeau, a donné l’impression qu’avoir des contacts réguliers avec un collecteur de fonds du Parti libéral était une chose normale pour quelqu’un dans sa position. Que celui qui est le chef de la fonction publique ne semble pas voir le conflit d’intérêts potentiel que cette «liaison dangereuse» peut créer pour la neutralité de l’institution dont il est pourtant le gardien, en dit long sur la perte du sens de l’État chez une partie de nos élites au Québec.
C’est vrai ça! Gérard Bibeau admet avoir eu des conversations avec Franco Fava depuis qu’il est secrétaire général du gouvernement. Pire, il admet avoir parlé deux fois à Fava depuis que la Commission Bastarache a été mise sur pied.
Il est certain que le Premier ministre, le roi de l’éthique, n’a pas été informé de ces faits. Il doit être choqué violet d’avoir appris un tel manque de réserve de la part de l’homme qui doit incarner l’intégrité et l’indépendance de la fonction publique québécoise.
Le Premier ministre a du être en furie d’entendre M. Bibeau :
*affirmer que lorsqu’il était responsable des emplois supérieurs au conseil exécutif (le ministère du premier ministre) Franco Fava lui faisait des recommandations et suggestions pour des nominations — sans indiquer que c’était pour des femmes ou des minorités visibles.
* répondre à cette question du procureur Batista concernant son actuelle fonction de secrétaire général :
Batista: Est-ce que monsieur Fava est déjà intervenu auprès de vous pour des nominations?
Bibeau: Jamais de nominations de juge, jamais.
Charest-le-pur a du être encore plus agacé que le commissaire Bastarache ait interdit à l’avocat de Me Bellemare de poser la question qui coule de source: «de nominations de juges, non, mais les autres ?» (Voir la transcription pdf ici.)
Donc il nous faut savoir quelle fut la nature de la conversation musclée que le premier ministre a eu avec son secrétaire général, dès son retour de la commission le 8 septembre, pour le semoncer d’avoir ainsi terni la virginité du processus de nomination.
Bref, l’univers parallèle décrit par le Premier ministre est à l’image de la propreté que l’on souhaite constater au sommet de l’État. Malheureusement, tous ne semblent pas être au diapason de l’idéal éthique de M. Charest. En toute cohérence, il doit sévir contre les pratiques «intolérables» d’une partie de son entourage…