Marie-Madeleine 17, Benoît XVI

Le Code Da Vinci – versions livre, film, procès – pose, au-delà du suspense et des incongruités, une question étonnamment pertinente : Marie Madeleine était-elle la compagne de Jésus ? Le nouveau pape penche pour le non. Et si le Québec penchait pour le oui ?

Ayant acheté Da Vinci code, comme 40 millions de Terriens, l’ayant lu, comme environ 100 millions, et m’apprêtant à voir le film, comme environ 300 millions de cinéphiles d’ici 10 ans, je me sens parfaitement qualifié, et superbement entouré, pour vous dire ce qu’il faut en retenir.

Comme j’ai de plus effectué une enquête approfondie (j’ai lu un ouvrage et vu deux documentaires sur la validité historique des hypothèses de l’auteur), j’avais résolu de vous éviter ce travail en vous révélant que le livre s’ouvre sur un vilain mensonge, soit l’affirmation que toutes les organisations, lieux et cérémonies qui y sont décrits existent.

Le code mensonger

Certes, le Prieuré de Sion, la société secrète censée protéger le grand secret depuis 2 000 ans, existe vraiment. Il fut fondé en 1956, par un escroc vaguement collabo du nom de Pierre Plantard, afin d’animer une association de locataires de HLM. Dans la scène finale, le héros du livre suit, pour trouver la cachette du trésor, des marqueurs historiques fichés dans le pavé parisien. Cet « ancien chemin » à la « signification sacrée » a été installé en… 1994.

Plus important est le secret qui sous-tend tout le livre et qui en fait à la fois un récit exceptionnellement féministe, donc moderne, et une mise en cause de la crédibilité du message chrétien depuis ses origines. Selon cette version des faits, Marie Madeleine aurait été la compagne, sinon l’épouse de Jésus, la favorite parmi les apôtres et celle sur qui il voulait fonder son Église, plutôt que Pierre. C’est l’exil de Marie Madeleine, enceinte de Jésus, dans le sud de la France, puis la persistance de leur descendance à l’époque actuelle, par la lignée des rois mérovingiens, qui portent l’intrigue, fantaisiste, jusqu’à nos jours.

Les vraies questions

Qu’en est-il vraiment du rapport Jésus-Marie Madeleine ? D’abord, réglons le cas de la prostitution. Marie Madeleine n’était pas une prostituée – ce que Rome reconnaît depuis 1969. La tradition a combiné plusieurs histoires de femmes de ce temps pour les coller au personnage fascinant de Marie Madeleine. Mais aucun passage des Évangiles, officiels ou apocryphes connus(ceux écrits à l’époque mais non retenus par l’Église chrétienne, redécouverts en 1945, publiés en 1971, comme celui de Judas qu’on vient de publier), ne lui attribue cette caractéristique.

Sur la question du couple Jésus-Marie Madeleine, des indices forts, qu’on trouve à la fois dans les Évangiles officiels et les apocryphes rendent extrêmement plausible cette union. Les rabbins de l’époque étaient mariés, c’était la norme.

Dans les évangiles canoniques, Marie Madeleine est présente au pied de la croix, avec Marie, puis au tombeau, pleurant plus que tout autre la disparition de Jésus. Signe de son caractère singulier, elle vient d’une ville côtière aisée – Magdala – et Luc nous apprend qu’elle jouissait d’une fortune personnelle. Surtout, c’est d’abord à elle que Jésus apparaît après sa résurrection. La compagne adorée ne devrait-elle pas être la première informée de ce surprenant retour, fondement de la foi ?

Les Évangiles apocryphes rapportent également des scènes de jalousie entre Pierre et Marie Madeleine, le premier se plaignant de l’ascendant de la seconde sur le Christ, qui de plus l’embrasse constamment ! (Il faut dire cependant que les évangiles apocryphes contiennent également des passages absurdes, ce qui rend le tri difficile.)

Quelle crédibilité accorder à ces indices ? Pour répondre, il faut poser une seconde question : par comparaison avec quoi ? Avec les indices qui nous demandent de croire que Jésus a marché sur les eaux, ressuscité Lazare, affronté Satan dans le désert, changé l’eau en vin ? À ce test, la thèse de l’existence du couple Jésus-Marie Madeleine réussit brillamment.

Une église misogyne

Pour tous ceux à qui, comme moi, on a ressassé dès l’enfance le récit biblique, il ne s’agit pas d’une querelle de théologiens, mais d’une relecture essentielle. Avant, il y avait le Christ Dieu, célibataire, presque asexué, la maman (Marie) et la putain repentie (Marie Madeleine). Résultat : une chrétienté de la domination masculine, qui repousse la femme à la marge et fausse le rapport homme-femme. (Je ne parle même pas des problèmes de pédophilie induits par l’insondable stupidité du célibat des prêtres.)

Une chrétienté fondée plutôt sur un Christ Dieu ayant choisi une compagne et apôtre forte appuyée par une mère non asexuée – la décision de déclarer Marie vierge n’a été prise qu’au 4e siècle – aurait établi un bien meilleur équilibre entre les sexes dans les symboles et dans l’Église, et un meilleur rapport à la vie sexuelle. Et si on pouvait subodorer qu’un des apôtres était gai – Jean et Paul sont les candidats favoris des chrétiens gais – les bases symboliques d’une Église tolérante seraient complètes. Exit le célibat des prêtres – obligatoire depuis le 4e siècle, et il a fallu encore 7 siècles à l’église pour l’imposer à un clergé résistant. Et si Marie Madeleine était vraiment « l’apôtre des apôtres » et une candidate de Jésus pour la fondation de son Église ? Alors:  bienvenue aux femmes prêtres, évêques ou papesses. Voilà pourquoi Le Code Da Vinci est infiniment plus dommageable pour l’Église catholique que des caricatures le seront jamais pour Mahomet – qui, soit dit en passant, était marié (11 fois).

Et voici le point où je vais me mêler de ce qui ne me regarde pas, moi qui ne vais à l’église qu’à Noël ou pour les baptêmes, mariages et enterrements. J’ai lu, dans L’annuaire du Québec 2006, l’excellente analyse du professeur Martin Meunier, « Benoît XVI : Vers un divorce entre la culture québécoise et l’Église catholique ». J’ai également été témoin comme tous, ces derniers mois, des inquiétudes du clergé québécois face aux positions prises par le Vatican en matière de tolérance envers les mœurs actuelles et envers les homosexuels.

Et je me dis que s’il y avait un lieu au monde où une Église locale, moderne, respectueuse des femmes pouvait rompre avec Rome et fonder une nouvelle chrétienté, reposant sur le couple Jésus/Marie Madeleine et dirigée alternativement par un homme et une femme, ce serait bien évidemment le Québec. Je n’y adhérerais pas entièrement (la résurrection des corps, entre autres, me pose problème), mais je m’y reconnaîtrais davantage. Je parie que je ne serais pas le seul.

Pour en savoir plus :

Code Da Vinci : L’enquête, par Marie-France Etchegoin et Frédéric Lenoir, Robert Laffont, 2004.

« The Saintly Sinner – The Many Lives of Mary Magdalene », par Joan Acocella, dans The New Yorker, 13 févr. 2006, p. 140-150.

Da Vinci Code Decoded, documentaire de Richard Metzger d’après le livre de Martin Lunn, 2004.

« Benoît XVI : Vers un divorce entre la culture québécoise et l’Église catholique », par Martin E. Meunier, dans L’annuaire du Québec 2006, Fides.

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