Lorsque Justin Trudeau parle sérieusement, et en ce cas précis de l’ingérence étrangère, cela donne une citation comme celle-ci : « Nous sommes un pays assez grand pour que la Chine ou l’Inde nous visent, mais trop petit pour que notre riposte leur cause un tort réel. Nous sommes proches des États-Unis, donc, en nous visant, ils leur envoient un message à eux, mais puisque nous n’avons pas la force de rétorsion des États-Unis, ils peuvent se permettre d’être plus agressifs envers nous. Des pays du monde entier l’ont compris à propos du Canada — nous avons cette glorieuse diaspora où les gens viennent de tous les coins du monde, mais cela donne aussi aux pays qui se sentent menacés par notre modèle, ou notre diversité, un levier pour influencer nos politiques. »
On lit ce constat lucide dans l’instructif ouvrage de Stephen Maher The Prince: The Turbulent Reign of Justin Trudeau (Simon & Shuster, 2024), qui mériterait, soit dit en passant, de trouver un éditeur francophone.
Il faut cependant faire un effort supplémentaire de lucidité pour se préparer, non aux prochaines campagnes d’influence venues de l’Inde, de la Chine ou de l’Iran, mais à celle qui les dépassera toutes — et qui nous pend au bout du nez. Elle viendra de notre voisin du Sud au moment de la prochaine élection fédérale.
« Bien que les craintes concernant l’ingérence du Parti communiste chinois dans les élections canadiennes soient tout à fait légitimes et doivent être abordées de manière appropriée, le défi beaucoup plus grand et plus immédiat à l’intégrité des élections canadiennes est l’influence souterraine des extrémistes d’extrême droite. » Cet avertissement a été lancé la semaine dernière dans un document d’analyse de 15 pages circulant dans les milieux libéraux, dont on a surtout retenu qu’il souhaitait le départ de Justin Trudeau.
Son intérêt réside ailleurs. Dans la description faite du futur assaut complètement prévisible, lorsqu’on y songe un instant, de la mouvance de Donald Trump. Une fois l’élection présidentielle passée, et même si Trump n’est pas élu — mais davantage encore s’il l’est —, la perspective d’aider Pierre Poilievre à débarrasser le Canada de son premier ministre woke et à le remplacer par un conservateur Trump compatible leur sera irrésistible.
L’auteur de l’analyse, Andrew Perez, un militant libéral qui fut notamment conseiller de la première ministre ontarienne Kathleen Wynne, rappelle combien les Américains conservateurs furent mobilisés en appui au convoi des camionneurs à Ottawa. Il note que plus de la moitié des dons au fonds d’aide au convoi provenaient d’Américains. Fox News et les autres médias de droite en ont fait des héros, l’inénarrable Tucker Carlson en tête.
Dans un discours prononcé à ce moment, Donald Trump avait applaudi les membres du convoi et condamné le gouvernement de « tyrans wokes », qui avait selon lui traité les manifestants « de manière pire que des trafiquants de drogue ou des assassins ». Lisant un texte écrit (donc, disons, réfléchi), il avait ajouté ceci : « Soit vous appuyez les camionneurs pacifiques, soit vous appuyez les fascistes de gauche. » Il parlait ainsi du gouvernement de Justin Trudeau.
Il n’a pas changé d’avis depuis. Dans le récent livre qu’il a publié pendant la campagne, il relaie la fausse rumeur voulant qu’en plus d’être un gauchiste, Trudeau est le fils de Fidel Castro.
Les partisans américains du convoi des camionneurs, écrit Perez, « n’étaient que le premier variant d’une infection déjà virale qui, pour la politique canadienne, pourrait s’avérer être une pandémie ». En effet, aucune loi, aucun règlement n’empêche des internautes américains, voire des organisations américaines, de financer à loisir leurs propres campagnes d’influence sur Internet. Ils peuvent appuyer une idée, une proposition, un parti, un candidat. Ils peuvent inonder X, Facebook et TikTok de messages négatifs envers leurs adversaires. Ils peuvent évidemment inventer de fausses informations et les propager. Ils peuvent aussi amasser de l’argent, en ligne, sur tout le continent, pour le réinvestir dans leur propagande.
Rien ne leur interdit non plus d’agir comme un parti politique moderne en achetant des données sur les électeurs pour cibler plus finement, sur les réseaux sociaux, leurs messages.
Dans ce Far West politique qu’est devenu Internet, écrit Perez, et « compte tenu de l’extraordinaire propension en ligne des extrémistes d’extrême droite de tous types, cette carte fait le jeu de politiciens comme Poilievre. Le pouvoir de cette “arme secrète” est énorme ». Il s’agit, pense le militant libéral, de la « principale menace » pesant sur la démocratie canadienne. Il a parfaitement raison.
On peut d’ores et déjà se demander comment réagira Elon Musk, lui qui a à ce jour investi une centaine de millions de dollars pour l’élection de Trump, sans compter l’influence qu’il détient personnellement avec ses 167 millions d’abonnés. Maintenant qu’il a pris goût à la politique partisane, pourquoi se priverait-il d’aider l’accession au pouvoir d’un homme, Pierre Poilievre, qui s’est opposé à toutes les initiatives visant à réguler les géants du Web ?
Si les trumpistes perdent l’élection américaine, une intervention massive dans l’élection canadienne ne serait-elle pas pour eux un prix de consolation ? Et s’ils gagnent, pourquoi Trump se gênerait-il non seulement d’encourager ses partisans à s’en mêler, mais aussi d’activer quelques-uns des leviers gouvernementaux à sa disposition pour aider à faire pencher la balance ? Déclassées, la Chine et l’Inde pourront aller se rhabiller.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
« « Nous sommes un pays assez grand pour que la Chine ou l’Inde nous visent, mais trop petit pour que notre riposte leur cause un tort réel. Nous sommes proches des États-Unis » »
« se préparer, non aux prochaines campagnes d’influence venues de l’Inde, de la Chine ou de l’Iran, mais à celle qui les dépassera toutes — et qui nous pend au bout du nez. Elle viendra de notre voisin du Sud ».
Ben quin! Et comment!
Il a beau, en effet, y avoir une descente aux enfers de ce pays, en voie de dislocation pour cause de dysfonctionnement social et politique; reste qu’il domine encore – le monde. Ce qui s’y voit e.g. à LA Langue de com utilisée dans l’monde, prédominante, tous azimuts, quand ce n’est pas exclusive, partout, en tout, pour tout ou presque.
Ils ont beau, donc, être des sacripants, on n’en a pas fini d’être sous leur coupe, tout le monde.
Indépendamment de qui gagnera ou pas demain, on va « y ‘goûter’ » ! Tous.
Un fou ou une bête. Voilà ce qui nous attend et dont «bénéficiera»-t-on.
Côté économique d’abord, certes, mais à tous autres points de vue itou.
Isolationnisme ou multilatéralisme. Quelle différence? Ou indifférence?
L’une dit qu’faudra[it] que les ‘États’ continuent d’exercer leadership de par le monde
(alors que s’il est qqch qu’elle n’est/n’a pas, c’est bien cela – leader[ship]);
l’autre projette plutôt d’rentrer à ‘maison et n’s’occuper qu’d’leurs ognons (domestiques).
A-ce sens? Plausible? Côté guerres e.g., qu’arrive-t-il d’Ukraine? Ben, elle va s’arranger, l’Ukraine, si USA débarquent. C’ira ni pire ni mieux, pcq, là, on n’fait qu’y entretenir l’Impasse.
PalestIsraël? Ah, là!… Est-ce qu’c’rigolo ira[it] au bout de sa logique isolationniste-domestique
en rentrant à ‘maison eu égard à c’« dossier » également? Autrement dit, en cessant, bang!, d’armer Israël jusqu’aux dents?
Folle idée, n’est-ce pas? Impensable.
Comme quoi voit-on que, non, pas si isolationniste que ça, l’bonhomme. Alors que, oui, en c’cas, c’en serait une – bonne idée – d’cesser d’embraser tout l’P.-M.-O. avec c’feu américain.
Enlevez celui-ci d’là et j’vous garantis que la donne y évoluerait; que la ‘Rapporteuse’ n’aurait plus besoin de venir nous dire que, nous, Canada ne faisons pas à cet égard ce qu’il faudrait
et faisons ce qu’il ne faudrait pas, en appuyant tjrs aussi inconsidérément à l’aveugle
la malfaisance voisine du ‘gars’ qui, lui, l’a la « riposte » causant « un tort réel » à/sur toute la planète, monsieur!
Très lucide. Ne croyez-vous pas que c’est à notre avantage de s’ingérer dans les affaires américaines pour mieux les diviser ? Pour mieux neutraliser la droite américaine ? On en est peut-être rendu là. Après tout, l’Empire est à la dérive complète. Il faudrait peut-être bientôt penser à faire éclater leur union une fois pour toute, question de les rendre moins forts, moins nocifs pour nous.