Mémo aux journalistes : pour une jugeotte maximale sur les juges

reporter-150x150Nous vivons une période faste pour le journalisme québécois, grâce à vous, journalistes. L’enquête est de retour, les exclusivités se succèdent, les révélations déboulent.

Fichtre, même QMI, l’agence de presse de Quebecor, vient de créer une cellule d’enquête, débauchant pour la diriger Andrew McIntosh, un des meilleurs limiers que le Québec journalistique ait produit !

Vous tous, fouineurs au service du public, êtes sur une affaire sensationnelle : un ex-ministre de la Justice s’accuse lui-même et le premier ministre de trafic d’influence. Le choix de plusieurs candidats à la magistrature aurait été effectué par… des collecteurs de fonds libéraux. Si cela est avéré, l’illégalité est manifeste et majeure.

La chasse

Dans la foulée, c’est normal, vous êtes à la recherche de chaque élément de la filière avocats-devenu-juges/don électoral/collecteur de fonds/élu/ministre de la justice. Cette chasse est indispensable. C’est à l’intérieur de cet ensemble que vous trouverez, s’il y en a, des illégalités, du trafic d’influence.

Cependant, ces derniers jours, j’ai vu, entendu, lu, certains de vos reportages et articles qui font état de vos enquêtes journalistiques non encore abouties. Un peu comme si on suivait Columbo regardant les indices, mais sans la scène finale où il dévoile les éléments du délit et où il fait avouer le coupable. (Aveux, soit-dit en passant, sans lesquels il n’aurait pu faire condamner son suspect dans au moins la moitié des cas. Mais je m’égare.)

Vous nous avez montré, dans un coin, un avocat qui a déjà contribué au PLQ ou au PQ. Vous nous avez dit qu’il a été nommé juge, après avoir été jugé apte. Vous nous avez dit qu’un député, un ministre, connaissait l’avocat. Dans un cas, vous avez révélé que l’heureux juge avait comme père… un collecteur de fonds libéral; comme mari… un ministre péquiste ou libéral.

Mais dans la quasi-totalité des cas, vous n’avez pu établir qu’il y avait trafic d’influence. Il est vrai que la barre est haute. Il faut qu’un témoin ou un participant admette (comme Marc Bellemare) que la décision de choisir cet avocat-là comme juge fut prise par le ministre de la Justice sous la pression d’une force externe.

Un malaise

Cela provoque chez moi, grand consommateur d’information, un malaise. Je suppose qu’on ne peut vous demander, à vous ou à vos directeurs de l’info,  de nous dévoiler vos enquêtes seulement lorsque vous aurez établi qu’une illégalité a eu lieu. Tous les faits relatés ces derniers jours sont du domaine public. Ils ne sont pas inintéressants.

Cependant on est en droit de vous demander de guider le citoyen et de lui dire si ce que vous lui montrez est un comportement légal ou non.

Car on a pu avoir l’impression, à en lire ou à en écouter certains, qu’il était illégal, lorsqu’on est aujourd’hui juge, d’avoir contribué à un parti, avoir été membre d’un exécutif, ou que sa candidature ait été favorablement relayée par un élu ou un ministre.

400 dollars… il y a quatre ans

Dans un article très fouillé, un des enquêteurs les plus productifs du Québec, Denis Lessard, de La Presse, brossait ce mardi un portrait des accointances personnelles et politiques entre le monde des avocats-devenus-juge et le monde politique. Mais j’ai noté qu’étaient également devenus juges deux personnes qui avaient contribué, l’un 400 $, l’autre 500 $… quatre ans auparavant !

Ici, nous ne sommes ni dans l’illégal, ni dans le louche, ni dans le copinage, ni même dans l’anecdotique.

J’ai pronostiqué ici, il y a quelques semaines, la mort prochaine des dons aux partis politiques. Je peux affirmer aujourd’hui qu’avec ces déballages, ce décès est d’ores et déjà constaté, chez les avocats.

Car si vous n’aidez pas le citoyen à distinguer ce qui est illégal et ce qui est simplement intéressant, vous nous convaincrez que la seule façon de devenir juge est de ne pas donner à un parti, de ne pas être associé à un futur député, de ne pas avoir eu son nom mentionné par son député ou son ministre, bref de traverser la rue dès qu’on voit un homme politique et surtout de ne jamais, jamais, épouser un élu.

Ce contenu a été publié dans Médias par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !