Mes questions pour Charest et Poilievre

Le duo Pierre Poilievre-Jean Charest offre ces jours-ci le meilleur spectacle politique du continent. Point besoin de café ou de boisson énergisante pour suivre leurs débats, on trépigne au contraire sur nos chaises dans l’attente de la prochaine embardée. Je me demande simplement pourquoi un youtubeur n’offre pas déjà un remontage de leurs échanges, agrémentés des phylactères « Wham », « Bam » et « Kaboum » rendus célèbres dans les scènes de combat de la vieille série télévisée Batman.

On souhaite presque que les débats excluent les autres aspirants au titre. Ils ne font que casser le rythme. Lors du premier débat, jeudi dernier, on ne retenait d’eux que trois messages : Poilievre n’a pas suffisamment et trop tardivement appuyé le blocus illégal d’Ottawa par des camionneurs ; lui qui s’exprime généralement avec force ne rappelle qu’en sourdine qu’il est pro-choix ; à tout prendre, les engueulades Charest-Poilievre nuisent à l’unité du parti. Oui, oui, on a compris. Maintenant, pouvez-vous laisser les meneurs, qui sont manifestement dans une classe à part tant par la force et la clarté de leurs propos que par leur aisance à donner des coups et à les encaisser, occuper l’essentiel de l’espace ?

Je crains cependant que le débat prévu mercredi ne soit qu’une répétition de celui de la semaine dernière. Dans un pur élan de service public, je me permets donc de soumettre aux participants, et aux animateurs du débat, des questions complémentaires susceptibles de faire avancer la discussion. Les voici :

M. Charest, vous avez affirmé que Pierre Poilievre s’est disqualifié de pouvoir diriger le gouvernement en appuyant un mouvement illégal, celui des camionneurs. On ne peut pas, avez-vous dit, être à la fois celui qui fait les lois et celui qui applaudit à l’infraction des lois.

Sur cette assise de principe solide, ne devrait-on pas conclure qu’en cas de victoire de M. Poilievre, vous ne pourrez en aucun cas vous rallier à un chef de parti ainsi disqualifié, en aucun cas faire partie de son gouvernement, en aucun cas, même, appeler l’électorat à voter pour un parti qui aurait choisi pour chef ce disqualifié de la politique ?

M. Poilievre, vous estimez que la cause de ces camionneurs était bonne, malgré les illégalités commises. On se souvient que vous aviez pris la position inverse, début 2020, lors du blocus de voies ferrées par des Autochtones. Pourriez-vous nous indiquer quels critères vous guideront, comme premier ministre, pour déterminer quelles sont les actions illégales acceptables et quelles sont les actions illégales inacceptables ? Cela serait fort utile, notamment pour les manifestants qui voudraient s’opposer aux nombreux pipelines dont vous promettez la construction.

M. Charest, vous avez affirmé que c’est grâce à vous que le Québec s’est retrouvé, au 1er avril 2019, avec un surplus budgétaire de huit milliards de dollars. Puisque vous n’étiez plus premier ministre depuis votre défaite électorale de septembre 2012, soit six ans et demi auparavant, auriez-vous l’obligeance de nous indiquer comment votre influence a eu une aussi grande portée dans le temps ?

Le gouvernement du Québec doit-il détruire dans ses archives les documents officiels attestant que vous avez légué un déficit de trois milliards à votre départ ? Et devons-nous aussi vous créditer d’autres réalisations des gouvernements qui se sont suivis pendant ces six années et qui, pour certaines, ont permis l’accumulation de ce pactole ? Si oui, lesquelles ? Les coupes budgétaires dans la Santé publique et la DPJ, le démantèlement des outils de développement régionaux, la fermeture d’organismes contre le décrochage scolaire, le rationnement des soins à domicile ?

M. Poilievre, vous avez promis de passer au hachoir les lois et règlements fédéraux limitant la — comment dire — « libre circulation » du pétrole sur le territoire. Vous proposez même de relancer le projet GNL Québec, qui a pourtant perdu l’appui des investisseurs et du gouvernement québécois. Si une province refuse formellement qu’un pipeline autorisé par vous passe sur son territoire, l’imposerez-vous à cette province contre son gré ? Si oui, comment ?

M. Charest, vous avez refusé 19 fois lors du premier débat de nous indiquer le montant des honoraires que vous avez reçus de la compagnie chinoise Huawei lorsque vous étiez son avocat. L’entreprise étant accusée d’être de mèche avec les services secrets chinois et d’avoir fondé une partie de sa prospérité sur le vol des innovations de la compagnie canadienne Nortel, l’information sur les sommes qu’elle vous a versées pourrait être vue comme étant d’intérêt public. Pour votre part, vous semblez avoir décidé qu’il était moins dommageable pour votre campagne de paraître cachottier que de dévoiler la somme en cause. On suppose que si le paiement total était modeste, vous seriez moins secret à son sujet.

Votre calcul tactique est à la fois compréhensible et répréhensible. Mais en refusant de crever cet abcès, ne donnez-vous pas à vos futurs adversaires libéraux, néodémocrates et bloquistes une munition dont ils feront un usage si répétitif qu’il fera songer à la torture chinoise de la goutte ? De manière plus importante, car liée à la sécurité nationale, votre mutisme à cet égard ne donne-t-il pas aux autres détenteurs de ce secret — Huawei, les services secrets chinois et le gouvernement chinois — un levier qu’ils pourraient utiliser contre vous en menaçant de révéler la somme ?

M. Poilievre, pouvez-vous nous dévoiler le montant de vos investissements actuels en cryptomonnaie ? On ne veut pas avoir à vous le demander 19 fois.


(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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