Michel Roy, In Memoriam

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Il nous a quitté pour de bon. Depuis quelques années, il nous manquait déjà.

D’autres que moi ont raconté combien Michel était l’incarnation de la modération et de la compétence. Il fut brièvement mon patron, à La Presse, lorsque j’étais correspondant à Washington.

Mais je l’ai peu côtoyé, contrairement à quantité d’autres,  dans ses rôles de journaliste, éditorialiste, patron de presse ou président du Conseil de presse.

Non, moi, je fus son confesseur. Celui qui venait régulièrement, en 1991 et 1992, le rencontrer dans son bureau/sous-sol de la rue Victoria, l’écouter raconter le moment de sa vie où il avait voulu faire l’histoire, devenant conseiller du Premier ministre canadien au moment où, l’espérait ce fédéraliste sincère, le Canada ferait une vraie place au Québec.

Le choc

C’était après l’échec de l’accord du lac Meech. Beaucoup croyaient que, malgré cette déconvenue et parce que le sentiment souverainiste était à son zénith, le rapport de force du Québec était maximal pour obtenir, enfin, une place à sa mesure dans la fédération.

Michel Roy était de ceux-là et il quitta l’irréprochable indépendance journalistique dont il avait fait preuve pendant des décennies pour se jeter dans l’action, auprès de Brian Mulroney.

Son premier combat est de convaincre Mulroney et son ministre Joe Clark d’offrir au Québec beaucoup plus de pouvoirs en matière de langue. C’était, selon lui et selon Claude Ryan — son ancien patron devenu ministre de Bourassa– , la clé du succès. Roy propose de modifier la constitution, la Charte des droits et de donner même au Québec « la compétence linguistique dans le domaine des entreprises réglementées par l’échelon fédéral ».

Incroyablement, en ce moment de grande effervescence, Michel Roy réussit.  Incroyablement, lorsque le ministre fédéral va porter cette bonne nouvelle à Robert Bourassa, le premier ministre du Québec refuse même d’envisager la chose. Roy, venu à Ottawa pour aider le Québec, cherche vainement à comprendre:

« Bon, ben, je me dis, c’est parce que dans l’espoir d’obtenir autre chose, peut-être ont-ils renoncé à ceci. Mais je cherchais le « autre chose » et je ne voyais toujours pas. »

Je revois Michel, tenant le petit calepin où il notait les dates de ses rendez-vous pour se remémorer tel ou tel rebondissement. « Tiens, celle-là, tu va l’aimer ». Et de raconter le jour où Mulroney avait sommé ses conseillers d’être beaucoup plus ambitieux dans les réformes proposées au Québec. Mulroney parti, tous les hauts fonctionnaires présents affirment qu’ils n’en tirent pas la conclusion qu’il faille changer quoi que de soit.

« Alors, moi, raconte Michel Roy, je me suis dit: ‘je suis dans Kafka’! »

Le choc de ce fédéraliste québécois sincère avec la culture fédérale centralisatrice est au cœur du récit qu’il me faisait, tantôt frustré, tantôt hilare. De toutes les entrevues réalisées pour la rédaction de Le Naufrageur, celles accordées par Michel étaient parmi les plus limpides et les plus fines. Il parlait d’abondance, mais jamais pour ne rien dire. Il respectait le travail journalistique et tenait à laisser son témoignage pour l’histoire.

« Ce n’est pas une fuite, me dit-il un jour, parlant des détails qu’il me livrait, ce sont les chutes du Niagara! »

Pro NPD avant l’heure

La dernière fois que je l’ai vu, en mars 2007, un ami l’avait accompagné entendre Jack Layton discuter d’Afghanistan au Cérium.

En présentant Layton, j’avais souligné que Michel Roy était dans la salle, et rappelé qu’il s’agissait là du seul éditorialiste québécois ayant un jour appelé ses lecteurs à voter NPD. C’était à l’élection de 1980, avant le premier référendum. Peu après, Jean Chrétien, le voyant parmi les journalistes lors d’une conférence de presse du camp du Non, lui en fit le reproche. Et le nargua d’avoir eu si peu d’impact sur le résultat du vote, massivement libéral.

Michel Roy nous a quitté. Il l’a fait juste au moment où Jean Chrétien veut que son parti fusionne avec le NPD pour assurer sa survie. Notamment au Québec. Une de ces ironies dont Michel aurait raffolé.