Minarets: comment les Québécois auraient-ils voté ?

minaretsCitation du jour:

S’il y avait ce référendum pour l’interdiction des minarets, aujourd’hui au Québec ou dans n’importe quel pays occidental, on obtiendrait exactement le même résultat.

C’est ce que dira l’éditorialiste du Devoir, Josée Boileau, ce jeudi à Bazzo.tv (transparence totale: j’étais à l’enregistrement). Elle a parfaitement raison. Les Suisses, neutres, calmes et réglés comme des mécanismes d’horlogerie, ont-ils souffert d’une indigestion de chocolat pour interdire, à 57,5%, la construction de minarets? A Montréal, la ville au cent clochers, le vote serait certainement le même. Pourquoi? Josée Boileau et son collègue Vincent Marisal, de La Presse, participant au même panel, donnent chacun  une partie de la réponse. Boileau, opposée au multiculturalisme, affirme que les élites au sens large ont la responsabilité de ne pas permettre de telles dérives.  Marissal affirme un peu plus tard qu’il n’a aucun problème avec «le multiculturalisme à la Trudeau» et que les «choses vont très bien».

Tout est là. Les élites intellectuelles et les élites politiques actuellement au pouvoir, canadiennes et québécoises,  dans la foulée de Bouchard-Taylor, estiment que «les choses vont très bien».  Elles vont tellement bien que 80% des Québécois sont opposés aux pratiques actuelles d’accommodement et que s’il y avait un référendum  qui, comme le suisse, était un appel à l’intolérance, bon nombre de Québécois répondrait Oui.

Pourquoi ? Parce que les élites sont sourdes à l’inconfort identitaire de la majorité.

Dans son éditorial de samedi, Mario Roy de La Presse citait la journaliste et essayiste française Caroline Fourest. Extrait:

Dans La Tentation de l’obscurantisme, elle observait déjà que «la bonne volonté multiculturaliste se transforme en passoire face à des revendications religieuses radicales». Et que, brouillant les cartes, cette bonne volonté fait même de diverses gauches des chiens de garde au service de factions intégristes d’extrême droite! En France, cela s’est vu. Ici aussi. L’auteure remarque que Charles Taylor, pourtant marqué à gauche, «a pesé de tout son poids pour faire passer la liberté religieuse avant la laïcité».

En outre, la journaliste française diagnostique chez nous diverses lignes de fracture singulières. Ainsi, «les commissaires apparaissent comme les tenants d’un establishment universitaire méprisant, tandis que les Québécois inquiets se sentent regardés comme des ploucs», écrit-elle. Des ploucs assimilables «à une tribu indigène sur la défensive, à qui l’on explique qu’il n’est pas bien d’avoir peur d’autres tribus…» (Fourest n’aurait pas renié ces phrases en apprenant que, encore récemment, Gérard Bouchard a dit estimer que les Québécois ont toujours besoin de «sensibilisation».)

Ainsi méprisées par les élites politiques et intellectuelles, les populations frustrées dans leur identité deviennent des cibles faciles pour les extrémismes. Victimes du déni de leurs inquiétudes, elles choississent le repli, comme en Suisse. La responsabilité des élites intellectuelles et politiques n’est pas de rééduquer le peuple pour lui faire comprendre qu’il a tort et qu’il devrait célébrer les vertus du multiculturalisme à la Trudeau, ou de sa variante interculturelle à la Bouchard-Taylor. Sa responsabilité est plutôt de reconnaître l’inquiétude et de construire des politiques publiques, identitaires, dans lesquelles la majorité peut se retrouver et, ainsi, mieux accepter l’autre.  On sait où je loge sur cette question, j’y ai consacré un petit ouvrage. Mais au-delà des propositions précises des uns et des autres, force est de constater qu’aujoud’hui, ni la Suisse, ni le Québec n’a offert de réponses adéquates. Et aucune politique inclusive et tolérante ne peut fonctionner, si la majorité de la population ne se reconnaît pas dans cette politique. C’est l’avertissement que les minarets suisses viennent de nous envoyer.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !