Moi, culturellement génocidé

J’avoue aujourd’hui avoir été, étudiant, victime de génocide culturel. Francophone, j’ai d’abord dû apprendre la langue du conquérant pour obtenir mes diplômes du secondaire et du collégial à Thetford Mines, où 99 % des membres de ma tribu parlaient français. En droit, dans une UQAM pourtant anticolonialiste, on me força ensuite à lire dans la langue de la reine Victoria des arrêts du Conseil privé de Londres. Leur nature impérialiste me faisait moins rager que leur effet soporifique. Ces épreuves n’arrivèrent pas, cependant, à entamer mon identité. C’est lorsque l’école de journalisme de Paris m’obligea, comme condition non négociable de mon succès, à apprendre une troisième langue — celle du conquistador Cortez — que le génocide percuta ma culture, que j’ai dû renoncer à mes racines et que je fus assimilé.

Si vous estimez, comme moi, que le récit qui précède est une insulte à l’intelligence, lisez la suite.

Parlant de l’obligation pour des étudiants autochtones inscrits à des cégeps anglophones de suivre des cours de français — qui est pour eux leur troisième langue —, le directeur général du Conseil en éducation des Premières Nations, Denis Gros-Louis, a déclaré : « Je vois ça comme un génocide culturel parce que ça dit à nos étudiants : “Si tu veux ton diplôme, si tu veux aller à l’université, hé bien, force-toi à devenir un bon Québécois francophone et oublie tes racines.” » Il a ajouté : « On ne peut pas faire ça à des siècles de savoirs que nous nous sommes transmis d’une génération à l’autre. » Il n’est pas le seul à avoir diagnostiqué l’effet toxique de l’apprentissage du français sur la culture autochtone. Robin Delaronde, directrice des services d’éducation à Kahnawake, opine : « Ce que le projet de loi 96 nous fait est qu’il tente d’assimiler les Premières Nations du Québec dans la culture, la société et la langue du Québec. » Elle ajoute, pour clarifier sa pensée : « C’est un génocide culturel, c’est comme s’ils voulaient nous éliminer. »

De quoi s’agit-il sur le fond ? En ce moment, les élèves autochtones dont la seconde langue est l’anglais font leur parcours secondaire en anglais, où l’on trouve des cours de français comme condition d’obtention du diplôme secondaire. Les meilleurs d’entre eux, qui vont au cégep en anglais, doivent aussi pour l’instant réussir deux cours de français pour être diplômés. Cela n’a jamais été vu auparavant comme culturellement génocidaire. Avec le projet de loi 96, ils devront réussir cinq cours de français plutôt que deux. Donc, deux cours, c’est bien, mais cinq cours, cela dissout votre culture et arrache vos racines. Même si, justement, ces cours supplémentaires sont adaptés à votre niveau de connaissance du français et vous permettent de consolider vos acquis et d’acquérir une compétence qui sera utile dans toutes vos interactions avec la société majoritaire.

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Mettons de côté l’outrance verbale utilisée par les leaders autochtones précités. Les affirmations voulant que l’étude du français condamne ces jeunes à l’échec ne sont-elles pas une insulte à l’intelligence des Autochtones eux-mêmes ?

Le chef du Conseil mi’gmaq de Gesgapegiag, John Martin, affirme que « pour les jeunes qui ont étudié en anglais et en mi’gmaq, c’est un effort monumental que ça prend pour être capable de réussir ». Pourtant, les autres pupitres de ces classes sont occupés, dans presque 4 cas sur 10, par des étudiants qui parlent à la maison une autre langue : le mandarin, l’arabe, l’espagnol. Il s’agit pour eux aussi d’une troisième langue.

En fait, pas moins de 25 % des habitants de l’île de Montréal parlent trois langues, dont 15 % des francophones, selon Statistique Canada. Des proportions qui grimpent à 30 % et 18 % si on ajoute ceux qui connaissent de trois à six langues. Pourquoi postule-t-on que les jeunes Autochtones auront plus de difficulté que les autres en français, et plus de difficulté en français qu’en géographie ou en chimie ?

Le ministre Simon Jolin-Barrette a refusé de rencontrer les leaders autochtones. Certes, se faire accuser d’être génocidaire n’est pas la meilleure entrée en matière. Mais pourquoi ne pas offrir aux nations et aux étudiants autochtones qui le désirent un accompagnement supplémentaire de français gratuit, du tutorat, pour assurer leur réussite ? J’ai proposé dans ces pages que, pour assurer un rattrapage rendu nécessaire par 60 ans de pensionnats au Québec, les sommes investies par jeune Autochtone soient le double de ce qui est dépensé pour un jeune du reste du Québec pour les 60 ans à venir.

Au-delà de ces ajustements, on sent qu’autre chose est à l’œuvre. L’adhésion à la langue coloniale anglophone ne pose pas problème, mais le français est intolérable. Les représentants du pouvoir traditionnel mohawk, de la Maison Longue, ont tenu à faire savoir cette semaine que « cette loi va abîmer toute amitié existant en ce moment entre nos deux peuples et détruire tout espoir de réconciliation ». Une prédiction autoréalisatrice.

Les mots ont un sens — dans toutes les langues et quelle que soit la lourdeur de son oppression passée.

Accuser les Québécois francophones, leur Assemblée nationale et leur gouvernement de préparer un génocide culturel est profondément injuste et injurieux. D’autant que dans tout le Canada, c’est au Québec que les langues autochtones se portent le mieux, et de loin : selon le recensement de 2016, dans les provinces anglophones, les Autochtones vivant en réserve et connaissant leur langue d’origine ne dépassent pas 46 % au Manitoba, 40 % en Ontario, 19 % en Colombie-Britannique. Au Québec francophone ? C’est 80 % !

N’y aura-t-il donc personne, chez les chefs autochtones, à l’Assemblée des Premières Nations ou ailleurs, pour admettre que d’associer à une agression et à une tentative d’assimilation l’apprentissage minimal de la langue de l’immense majorité des habitants du territoire est un assaut frontal à leur dignité et à leur amour-propre ? Que ce combat douteux est le meilleur moyen d’abîmer l’amitié existante entre nos peuples ? Qu’on voudrait nous dire qu’on nous méprise, nous et notre langue, qu’on ne trouverait pas mieux ?

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

7 avis sur « Moi, culturellement génocidé »

  1. Bonjour,
    Votre propos est comme toujours éloquent. Merci. J’aimerais toutefois savoir à qui vous referez exactement quand vous écrivez que 80% du «Québec francophone» parle sa langue autochtone maternelle.

  2. Bonsoir,

    L’échange de ce midi avec Dimitri sur le prix de l’essence aurait dû être poussé plus loin. Oui, la demande spéculative est une vrai demande (déplacement autonome de la courbe de demande) mais qu’arrivera-t-il si les anticipations ne se concrétisent pas? Le prix redessendra naturellement. Le fardeau de la preuve argumentaire est du côtè de M. Lisée, je crois.

  3. Mais qu’est-ce que tout le monde a contre l’identité québécoise francophone ??? Pourquoi lorsque l’on veut préserver et pérenniser notre langue et notre culture, on se fait taxer de raciste, de génocidaire, et autres «qualificatifs» du genre ??? Pourquoi les Québécois qui se prétendent Québécois verraient un «danger» ou une privation de droit à se faire «obliger» d’apprendre minimalement le français ?? ce qui, en passant, est tout à fait normal puisque c’est notre langue maternelle, tout comme en Italie c’est l’italien ou en Espagne l’espagnol, mais là personne ne se fait obliger d’apprendre leur langue, ça semble une évidence et on le respecte… mais pas au Québec, la francophonie ici ça dérange, ça bouscule, mais l’anglais, lui, ne dérange pas du tout, c’est normal puisqu’on est au Canada, sauf que le Québec est différent du ROC bordel !!! On n’est pas contre l’anglais, on est POUR le français tabarouette, et on est un ilôt francophone au milieu d’une mer anglophone en Amérique du Nord !! Me semble que c’est facile à comprendre…

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