Nos adieux au biafra

J’ai cherché très attentivement dans le document Finances d’un Québec indépendant. Un regard critique, je n’ai trouvé nulle part de référence au Biafra. Même pas dans les notes de bas de page. Ça m’a réjoui. Le Biafra est une province du Nigeria qui tentait de faire sécession pendant les années 1960. Sans succès. Dans cette époque lointaine, et pendant une partie des années 1970, les opposants à l’indépendance du Québec brandissaient l’exemple du Biafra pour évoquer dans nos consciences l’image d’un Québec indépendant où des enfants, torse et jambes nus, aux ventres ballonnés par la malnutrition, seraient réduits à mendier dans les rues en terre battue de leurs villages, comme on en voyait à la télé. Avec le facteur aggravant qu’ils devraient le faire, chez nous, à -40 degrés en février.

Plutôt que d’affirmer qu’un Québec indépendant deviendrait, ipso facto, un pays du tiers-monde, les auteurs du document, deux économistes, Robert Gagné et Louis Lévesque, et deux militants libéraux, Alain Paquet et André Pratte, ouvrent leur épître avec cette admission bienvenue : « Nous ne contestons pas le fait qu’un Québec indépendant puisse être économiquement et fiscalement “viable”. » Vous avez bien lu, économiquement et fiscalement.

Ils nous expliquent ensuite pourquoi, selon eux, l’indépendance ne permettrait pas « aux Québécois de vivre mieux ». Vient la question : « Sinon, pourquoi se lancer dans une telle aventure ? » Euh. Pour être maîtres chez nous ? Pour sortir d’un pays où nous sommes marginalisés, régulièrement méprisés, insultés ? Pour sortir d’un régime qui nous impose une immigration anglicisante, qui gonfle notre endettement ? Pour ne plus avoir sur la conscience de subventionner grassement, par nos impôts, une industrie pétrolière en train de cramer la planète ? (Comme l’espace me manque ici, je tiens une liste de raisons plus longue à leur disposition.)

Mais, j’insiste, même en discutant indépendance avec des comptables, le document témoigne d’un extraordinaire progrès. Nulle part, il ne reprend un argument qui avait fait recette au temps de René Lévesque et selon lequel le dollar d’un Québec souverain — appelé avec mépris « la piasse à Lévesque » — perdrait 25 % de valeur. Comme le dollar canadien a perdu 33 % de sa valeur dans l’intervalle, l’argument a, certes, été considérablement dévalué.

Le document nous avertit que la fusion de notre part de la fonction publique fédérale avec la fonction publique québécoise va provoquer des pertes d’emploi telles (qu’ils ne chiffrent pas) que cela pourrait avoir un impact à la baisse sur le PIB. Les auteurs ne semblent pas informés que nous sommes, pour l’avenir prévisible, en pénurie de main-d’oeuvre et que ces salariés pourront être absorbés dans un marché du travail assoiffé. Mais je les invite à répéter sur toutes les tribunes que la bureaucratie d’un Québec souverain sera ainsi amputée de dizaines de milliers de fonctionnaires, cela attirera vers le Oui beaucoup d’électeurs de droite.

Importer des chômeurs

Merci aussi de ne plus brandir le spectre d’une brusque montée du chômage. Oui, les auteurs insistent sur l’incertitude qui refroidira les investisseurs, mais on est loin de la surenchère vécue pendant la campagne référendaire de 1995. D’abord, le chef libéral Daniel Johnson avait affirmé que l’indépendance allait faire perdre au Québec 100 000 emplois. La semaine suivante, le ministre fédéral des Finances, Paul Martin, affirmait qu’« un million d’emplois seraient à risque ». Ce qui a fait dire à mon patron, Jacques Parizeau : « Il y a une semaine, les gens du Non estimaient les pertes d’emplois à moins de 100 000. Aujourd’hui c’est un million. La semaine prochaine, ce sera quoi ? Dix millions ? Il n’y a que 3 200 000 emplois au Québec. Il faudra importer des chômeurs ! » (J’avoue, je suis fier de lui avoir soufflé cette réplique.)

Il est vrai que, depuis, Jean Charest, comme Robert Bourassa avant lui, avait admis qu’un Québec souverain serait économiquement viable. (Charest disait aussi que ce serait l’équivalent de tomber dans « un trou noir ».) Je me réjouis cependant que l’ami Pratte et son groupe n’aient pas répété les sornettes formulées par le dernier premier ministre libéral, Philippe Couillard. Il affirmait sans rire il y a sept ans que l’indépendance nécessiterait « de sacrifier nos programmes sociaux, de nous trouver en état de pauvreté ».

Pour les auteurs de ce nouveau document (que Paul St-Pierre Plamondon désigne cruellement « la Pratte patrouille » — mais il faut l’excuser, il a des enfants en bas âge), des tourments affligeront certainement le futur État québécois, mais ils sont d’un autre ordre. Par exemple, « le Québec serait un joueur marginal dans le domaine de la conquête spatiale ». Je ne sais pas pour vous, mais moi, je suis prêt à faire ce deuil. Je note que nous ne ferons plus, non plus, partie d’un des principaux États pétroliers au monde. Je suis déjà réconcilié avec cet arrachement. Adieu aussi au Sénat, à la gouverneure générale, au roi ! Y avez-vous pensé ? En écrivant ces mots, mon clavier retient un sanglot.

Cliquer pour commander. Versions ePub et PDF disponibles.

Une méprise sur la dette

Notre dette, surtout, disent-ils, nous coûtera plus cher, pour toutes sortes de raisons. Là, j’ai la tristesse d’informer les collègues du Non qu’ils n’ont tout simplement pas compris ce qui allait se passer. Ils s’imaginent que le Québec souverain va rapatrier, à Québec, sa part de la dette canadienne et qu’il va ensuite la gérer, avec un taux d’intérêt plus élevé. Mais il n’en est pas question !

Moi-même un peu étourdi à ce sujet dans mon jeune temps, je me suis fait instruire par Jacques Parizeau. La dette canadienne a été créée par le Canada, qui en est le seul garant. Nous aurons un intérêt politique à négocier avec Ottawa la part du fardeau de la dette qui nous revient — la crédibilité financière du nouvel État québécois en dépendra. Mais cela fera en sorte que pendant des décennies, nous enverrons des chèques à Ottawa pour payer les intérêts et le remboursement progressif de notre part, jusqu’à ce que le dernier sou soit payé. Pendant ce temps, le taux d’intérêt en vigueur sera celui, plus avantageux, commandé par le Canada sur les marchés.

Dans la négociation qui conduira à déterminer notre part de cette dette, notre rapport de force tiendra au fait qu’Ottawa, seul responsable juridique de la dette, sera demandeur. L’incertitude créée par l’absence d’un accord pèsera sur le dollar et l’économie canadienne au grand complet, d’où la pression des marchés pour qu’Ottawa règle le plus rapidement possible. Nous serons également pressés, mais moins que lui. (Aussi, les auteurs n’ont pas compris que les fonds de retraite canadiens envers ses employés et ses vétérans resteront à la charge du Canada jusqu’à l’épuisement des obligations qu’il a contractées envers ces individus. On ne s’en mêlera pas.)

On ne s’entendra jamais complètement sur les bienfaits et les coûts présumés d’un futur Québec souverain. Dans ses premières années, il s’agira évidemment d’un grand chantier. Les partisans du Non choisissent de n’y voir qu’un paquet de troubles et de risques variés qui nous arrachent à notre zone canadienne de confort. Ce sont au final des Tanguy. Je préfère, comme mes amis indépendantistes, y voir le début d’une fascinante nouvelle période de notre vie collective, pleine de défis à relever. On attribue au leader français Léon Blum, venant de prendre le pouvoir avec le Front populaire en 1936, cette phrase qui épouse parfaitement notre sentiment et notre optimisme : « Enfin, les difficultés commencent ! »

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

5 avis sur « Nos adieux au biafra »

  1. Je suis complètement d’accord avec M. Lisée. Quand je rencontre un fédéraliste, je lui demande de me donner trois bonnes raisons de rester dans le Canada. On me sort la pension de vieillesse, le passeport, les Rocheuses et nos frères francophones des autres provinces qu’il ne faut pas abandonner. Comme si un gouvernement du Québec indépendant ne pourra pas s’occuper des pensions et du passeport… Quand aux Rocheuses, on pourra toujours les visiter comme on visite les Alpes ou les Pyrénées. Pour la question de nos frères francophones, avez-vous remarqué que ceux qui veulent « réussir » dans les arts, ils viennent compléter leurs prestations au Québec… C’est certain qu’il vaut mieux laisser presque la moitié de mes revenus à mon « beau-frère » pour qu’il puisse m’aider à administrer mon budget…

  2. J’aime beaucoup votre plume et votre mémoire. Votre texte illustre que nous étions naifs, suiveux et peu informés pour croire à toutes les niaiseries dites à ce moment là. Aujourd’hui je suis forcée d’admettre que la recette sera la même car trop occupés par le toubillon de la vie. Les partis fédéralistes le savent trop bien alors ils disent n’importe quoi. Comme pour les manifestations, le gouvernement savait qu’à l’automne venu, les casseroles retourneraient au chaud.

  3. Peut-on ajouter un seul mot à un texte aussi complet et explicite. Si l’on en juge par cet écrit, nous sommes prêts-tes pour un « OUI » sans hésitation et une aventure qui suivra exaltante.
    Merci! Pour cet acte de foi en nous-mêmes !

  4. M. Lisée, je suis parfaitement d’accord avec votre texte. Évidemment beaucoup de Québécois fédéralistes ont vraiment une nature tenant plus du Tanguy qu’autre chose. Une paresse intellectuelle voire morale à devoir prendre et assumer certaines décisions normales chez des individus autonomes. On est loin de la stupidité de la piasse à Lévesque. Les temps changent.
    Il y a aussi le phénomène de la résistance au changement. Ils étaient fédéralistes, ils seront donc fédéralistes. La loi de l’inertie appliquée à la dynamique intellectuelle. Mais on le sait, l’éducation et l’information sont de puissants antidotes contre les méfaits de la résistance au changement, antidotes qui doivent être administrés à répétition, à petites doses, subtilement. Présentement PSPP, chef du PQ semble le faire correctement, courageusement. « Cent fois sur le métier …»
    Parlant d’éducation et d’information, il faudrait peut-être envisager de calculer, en dollars actuels ce que nous a coûté le paiement de la dette du Haut-Canada lors la promulgation de l’Acte d’Union de 1840, en imposant ce nouvel endettement imposant un obstacle important au développement économique du Bas-Canada (QC) tout en facilitant celui du Haut-Canada. Le Bas-Canada est donc doublement pénalisé économiquement par l’Acte d’Union de 1840.
    Qu’en disent les économistes et les historiens ?

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *