Notre mission: Aider les journalistes de Rad-Can à aider les ministres de Harper

Federal_Cabinet_1276875cl-8-150x150Les journalistes de Radio-Canada sont bien en peine, ces jours-ci. Le nouveau code de conduite officiel des salariés de la boîte, y compris des cadres et journalistes, décrit de la façon suivante le comportement souhaité:

Article 1.2 Ils exécutent avec loyauté les décisions prises par leurs dirigeants conformément à la loi et aident les ministres à rendre compte au Parlement et à la population canadienne.

Ah ! Aider les ministres à rendre compte ! Qu’est-ce que cela pourrait bien vouloir dire ? Tout est question d’interprétation. Le syndicat des journalistes de la maison, soutenu par la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, a choisi d’y voir une menace à l’indépendance des médias.

Je ne vois pas pourquoi. D’abord, si le gouvernement Harper a insisté pour qu’on indique que les employés de Rad-Can doivent « aider » les ministres, il s’agit d’un éclatant geste de transparence. Oui, oui. Ottawa admet que les ministres ont besoin d’aide. On ne peut être en désaccord avec ce message implicite.

Quelqu’un au bureau du Premier ministre s’est rendu compte que la pratique courante du mensonge, des lignes partisanes, faux-fuyants et autres entourloupes n’était pas, à long terme, dans l’intérêt du Canada. À qui demander de l’aide pour corriger cette situation ? À Sun News ? Restons plausibles !

Il est clair pour moi que la directive donne un énorme feu vert aux journalistes de Radio-Canada, les enjoignant de faire preuve de plus d’aplomb dans leur tâche d’aider les ministres à une meilleure reddition de compte.

Je donne un exemple. En entrevue, le journaliste pourrait dire:

« Permettez-moi de vous rendre service, en toute loyauté, Monsieur le ministre, mais cela vous aiderait beaucoup si vous nous disiez la vérité au sujet du coût des F-35, plutôt que le mensonge éhonté que vous venez de répéter. »

Et si le ministre regimbait devant tant d’outrecuidance, le journaliste pourrait rétorquer:

« Je n’y peux rien, Monsieur le ministre, je suis obligé de vous prodiguer cette aide, c’est écrit dans mon code de conduite! »

L’Ombudsman à la rescousse

Bon, j’admets que la clause introduit un biais. Pourquoi les artisans de la SRC devraient-ils aider seulement les ministres à rendre des comptes ? Et seulement les fédéraux ? Ne doivent-ils pas aider aussi les ministres des provinces — et particulièrement ceux du Québec ? Et les maires ? Et tous les politiciens ? Et les syndicalistes, étudiants et autres ? Enfin, tous les pouvoirs et contre-pouvoirs ?

Il y a une très bonne raison. Que certains, vous allez le constater de suite, refusent de comprendre.

Si vous êtes, comme moi, un lecteur attentif des avis de l’ombudsman de Radio-Canada, vous aurez pu constater ce mardi combien il diverge d’opinion avec ceux qui, à Ottawa, veulent donner la priorité de l’aide journalistique aux élus majoritaires fédéraux.

En l’espèce, le citoyen Dominique Sideleau se plaignait qu’un certain soir, Radio-Canada ait donné autant, sinon plus, de temps d’antenne à François Legault — un non élu — qu’à Amir Khadir — un élu.

L’ombudsman, prétextant « Impartialité et indépendance » (il ose même mettre ces termes dans l’intitulé de son site internet) s’est permis d’intituler son avis: Le service de l’Information doit-il prioriser les propos des élus?

C’est de la déloyauté caractérisée ! La directive est pourtant claire: il faut aider les élus qui sont des ministres fédéraux. Personne d’autre n’est mentionné, cette priorité est absolue!

tourangeau

Tourangeau incarne le refus de mettre les priorités à la bonne place

Ancien journaliste et cadre de l’information, donc suspect de vouloir se rebeller contre la directive, ce dénommé Pierre Tourangeau (circonstance aggravante: un ami de votre blogueur) écrit ce qui suit (du moins c’était toujours non censuré sur le site de Radio-Canada ce jeudi soir vers 21h):

S’ils donnaient systématiquement préséance aux points de vue de certains citoyens, aux élus par exemple, comme le souhaite M. Sideleau, les journalistes de Radio-Canada ne pourraient «refléter fidèlement l’éventail des expériences et des points de vue des Canadiens, » comme l’exige le premier principe [du code de déontologie].

S’ils devaient accorder plus d’importance aux élus, les journalistes ne respecteraient pas non plus le deuxième, car ils ne seraient pas indépendants « des pouvoirs politiques ».

On comprend le principe invoqué: il y a tellement de gens à aider à rendre des comptes que les journalistes ne peuvent pas, règle générale, prioriser ceux-ci plutôt que ceux-là.

Mais ce Tourangeau, le syndicat et la FPJQ ne pourraient-ils pas descendre de leur Tours d’Ivoire et de leurs chevaux de principes déconnectés pour admettre que, dans la réalité, il y a des priorités.

Si, début 2012, quelqu’un a démontré, plus que tout autre, son criant besoin d’aide pour rendre des comptes, c’est bien le gouvernement Harper et ses pauvres ministres. Avec la directive, ils crient à l’aide, ils implorent les professionnels de l’information.

Quelqu’un à Radio-Canada va-t-il enfin les écouter ou ces handicapés de la reddition de compte devront-ils, à leur corps défendant, s’adresser au privé ?