À lire: Mon Octobre 1970: une pièce manquante du casse-tête

En pleine crise d’Octobre, le premier ministre Robert Bourassa annonce à son conseil des ministres que les policiers sont sur la piste du « chef du Front de libération du Québec ». En suivant ce « chef » on trouvera les lieux où les otages sont faits prisonniers par les felquistes.

Parmi la trentaine de membres réels du FLQ, cette déclaration étonne. Car la petite organisation n’a pas de chef. Elle est complètement décentralisée, pour ne pas dire désorganisée. Il suffit que quelques militants auto-proclamés décident de mener une action pour que la chose se fasse. Pas de réunion, pas de consultation, pas de chef.

Alors, d’où vient cette information que Bourassa tient, c’est certain, de source policière ?

C’est que l’historien Robert Comeau, felquiste depuis le début de 1970, tentait de résister aux assauts d’une jeune militante enthousiaste, Carole Devault. Celle-ci voulait  convaincre Comeau de lui fournir un peu de la dynamite que le FLQ avait dérobée et gardait en lieu sur, et du « papier officiel » de l’organisation. Excédé par ses demandes et à court d’arguments, Comeau invente et affirme que « le chef du FLQ » s’oppose à ses requêtes.

Devault, qui est une indicatrice de police, s’empresse de faire rapport à l’agent Julien Giguère, responsable de l’enquête. On présume qu’il fait passer l’info vers le haut de la chaîne: Comeau a enfin craché le morceau, il y a bien un « chef du FLQ », on est sur la piste…

On se croirait dans le « Tailleur de Panama » de John Le Carré  (que je recommande vivement) où une série de demi-vérités et de supputations sont prises au sérieux et déclenchent un conflit.

Un demi-siècle plus tard

Il lui aura fallu 50 ans. Et c’est la beauté de la construction de la vérité historique qu’il faille parfois attendre des décennies avant de percer un mystère qui, entre temps, aura alimenté théories et suspicions.

Pendant l’année qui s’ouvre, plusieurs ouvrages seront consacrés à Octobre, cet événement hors-normes. Il est heureux que Robert Comeau ouvre la série, en offrant son important témoignage.

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Robert Comeau a participé à la Crise d’octobre 1970. Ni avec les kidnappeurs du diplomate Cross, ni avec ceux du ministre Laporte. Mais dans la cellule qui s’occupait de communiquer avec les médias, et le public, la parole felquiste pendant les événements. Recevant les informations des deux cellules actives dans les enlèvements, Comeau retravaillait ou retranscrivait les textes des communiqués, puis les laissait dans des endroits qu’il désignait ensuite aux médias.

Il devait pour y arriver semer une importante filature policière. Car le nom de Comeau, comme celui des autres suspects d’activités felquistes, ne figurait nullement parmi celles des 500 personnes emprisonnés sans mandat pendant la crise. Non, car la SQ avait bien pris soin d’extraire ces noms de la liste. Ils étaient plus utiles en liberté, sous filature, car ils pouvaient mener aux kidnappeurs.

Une fois la crise terminée, plusieurs felquistes furent cependant arrêtés pour complicité, mais pas Comeau. Pourquoi ? La question en a tarabusté plusieurs et a jeté sur l’historien toutes sortes de suspicions.

Mon Octobre 70 est finalement l’histoire de l’interaction entre le felquiste Comeau et les indicateurs de police qui l’entourent. Au début, il a de forts doutes sur la nouvelle militante: Carole Devault. Il tente de convaincre des collègues de ses suspicions, sans succès. Mais c’est lui qui a raison. C’est pour aider la SQ à trouver la cache de dynamite que Devault insiste pour en obtenir et c’est pour comprendre le parcours du « papier officiel » entre cellules qu’elle demande à en obtenir copie. Après la crise, Devault sera la cheville ouvrière des fausses cellules et des faux communiqués qui seront émis par un FLQ essentiellement contrôlé par la police québécoise.

Comeau apprendra cependant six ans plus tard, pendant les audiences de la Commission Keable portant sur l’action policière illégale au Québec, qu’un de ses amis les plus proches, François Séguin, est également un indicateur de police. Séguin était avec Comeau au FLQ et l’a ensuite suivi dans une organisation maoïste, appelée En lutte !

C’est là qu’on comprend pourquoi Comeau ne passe jamais une journée en prison pour sa participation à la crise: les policiers en ont besoin. Deux indicateurs, Devault et Séguin, l’espionnent lorsqu’il est au FLQ. Séguin continue de le faire lorsqu’il est à En lutte !

Pour les policiers, Comeau est plus utile libre. Et comment expliquer, si on l’arrêtait, qu’on ne coffre pas aussi Séguin, l’indic ?

Le livre est donc une leçon sur l’impact de l’infiltration policière sur notre compréhension (et incompréhension) des événements. Les impératifs de l’espionnage, de la protection des indicateurs et de la protection des personnes sous filature brouillent les pistes des journalistes, enquêteurs et historiens et ne permettent pas, sur le coup, de comprendre les événements.

Une époque exaltée

Au delà de cet éclairage bienvenu, l’ouvrage de Comeau, écrit avec l’appui de l’économiste Louis Gill, plonge le lecteur dans l’aventure intellectuelle d’une partie de la jeunesse québécoise des années 60 et 70 et de leur quête d’indépendance et de justice sociale.

La question de l’utilisation de la violence pour atteindre des objectifs nobles fait partie des débats qui animent les futurs partisans du FLQ. La sous-représentation du PQ à l’Assemblée nationale — 26% des voix, 6% des sièges — début 1970, comme l’action de la CIA pour renverser des régimes progressistes pendant les années 1960, alimentent leur conviction que la démocratie est un leurre.

Comeau désavoue aujourd’hui cette dérive anti-démocratique, comme celle qui l’a conduit ensuite à ses années de maoïsme. Il n’en est pas moins un participant et un témoin précieux d’une époque exaltée, qui a marqué notre histoire d’une trace que, 50 ans plus tard, on n’a pas complètement fini de déchiffrer.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !