Lorsqu’un tremblement de terre se produit, il y a toujours des secousses qui en annoncent l’arrivée. Pour le Canada, c’était ce jour de 2008 où le ministère britannique des affaires étrangères avait colligé une liste des pays les plus importants du G20, sans y inclure le nom de notre beau pays.
Ce présage est devenu réalité, la semaine dernière, à Copenhague. Lorsque la présidence danoise a réuni les 27 pays qui comptent pour négocier une entente globale, le Canada n’avait pas de siège réservé. Mieux encore, il ne s’est même pas plaint de ne pas y être. Il ne compte plus, c’est tout. Et ne tient pas vraiment à compter.
Y a-t-il, dès lors, un scénario qui ferait en sorte que cet effacement volontaire devienne gommage institutionnel ? Que le Canada, donc, ne fasse plus partie du G20, la nouvelle équipe de pilotage des affaires du monde ? Il y en a un. Et s’il devait se réaliser, on reviendrait à Copenhague pour trouver le moment et le lieu ou les conditions de ce déclassement ont été réunies.
Car lorsqu’on y songe, le Canada y a fait l’éclatante démonstration de son inutilité. Stephen Harper ne fut d’aucun secours à ses collègues du G8, Obama, Sarkozy, Brown, Merkel, qui tentaient honnêtement de trouver un accord. Harper ne fut d’aucun secours non plus aux nouvelles grandes puissances du G20, le Brésil, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, qui tentaient, eux, d’obtenir davantage d’appuis financiers du Nord pour faire le passage au vert. Harper joua dans le club restreint des pays qui voulaient que rien ne se passe. Ah, j’oubliais, il fut utile à quelqu’un en effet. À l’industrie des sables bitumineux.
Un peu d’histoire, avant de reprendre le fil. Lorsque le premier groupe de leaders fut convoqué, en 1975, par le français Giscard d’Estaing, le Canada n’était pas du nombre. Giscard n’avait aucun respect pour Trudeau et trouvait l’Amérique du Nord fort bien représentée par les USA. C’est Gerald Ford, en 1976, qui a fait entrer le Canada, le plus petit pays du groupe en termes de population ou d’économie.
Malgré sa taille moyenne, le Canada a su, depuis, justifier sa présence. Trudeau et Carter s’entendaient sur les grandes sujets internationaux. Puis Mulroney fut un intermédiaire précieux entre Reagan et Mitterrand — et une voix forte sur le problème alors épineux de l’Afrique du Sud. Chrétien s’entendait avec Clinton, mais, surtout, son ministre Axworthy menait une politique internationale activiste: mines anti-personnelles, Cour pénale internationale, doctrine de la responsabilité de protéger, etc. L’entrée du Canada, par Paul Martin, dans l’intervention afghane de façon nettement disproportionnée à son poids réel dans le monde a aussi maintenu le profil haut d’un pays moyen.
L’arrivée de Stephen Harper sonne le glas d’une politique canadienne justifiant sa présence à la table des grands. La nomination des Peter MacKay puis Maxime Bernier au poste de ministre des affaires étrangères a bien envoyé le signal que la compétence conservatrice ne serait pas mise au service des affaires mondiales. L’absence d’enthousiasme de Harper pour tous les grands débats : réglementation et taxation internationale, changements climatiques, biodiversité, etc, a fait le reste. Quand les troupes canadiennes quitteront l’Afghanistan, l’empreinte internationale du Canada sera la plus légère de son histoire.
Cela ne suffira pas pour qu’on modifie les règles d’inclusion au G20 pour l’en déloger. Il faudra qu’une dynamique plus large soit enclenchée.
Or une autre force fut visible, à Copenhague, qui met en cause la composition du G20. Le groupe des 77, qui réunit les pays les plus pauvres de la planète, a raison d’affirmer que leur représentation à la table des décideurs est faible. Et ils sont furieux. Ils ont l’appui d’un comité d’expert, dirigé par Joseph Stiglitz, qui a déposé son rapport au président de l’Assemblée générale de l’ONU cet été.
Le G20 constitue une avancée historique majeure, regroupant effectivement 65% de l’humanité et 90% de son économie. Cependant ses membres furent désignés par cooptation. 172 pays n’ont aucune façon d’y faire officiellement entendre leur voix, alors qu’une région est outrageusement sur-représentée: l’Amérique du Nord, dont les trois pays, Canada, USA, Mexique, sont membres.
Un groupe d’universitaires fait circuler depuis l’été dernier une proposition d’une grande élégance intellectuelle, qui permettrait de résoudre ces problèmes. Ils suggèrent que soient membres d’office du G20 tous les pays qui comptent une part de plus de 2% de la population mondiale, ou qui représentent au moins 2% du PIB mondial. Ce premier tri donne 15 pays — tous les joueurs importants du G20 actuel — représentant 60% de la population. Restent 5 places à pourvoir. Les auteurs proposent de diviser le monde en cinq régions dont les membres décideraient, par élection ou par rotation, lesquels d’entre eux siègeraient au G20 et pour quelle période et, s’ils le désirent, avec quel mandat de négociation.
Ainsi, les critères d’adhésion seraient clairs, équitables et prévisibles pour les membres permanents, choisis pour leur importance démographique ou économique réelle, et pour les autres membres, assurant une représentation de toute la planète.
Revenons au Canada. En 2008, son économie pèse 2,4% du PIB mondial, donc il serait parmi les invités. Mais selon les auteurs de l’étude, dès 2016 il tombera sous la part des 2%, car le reste du monde croît plus rapidement que lui. Le Canada serait donc relégué dans la seconde catégorie, devant se faire élire ou devant attendre son tour avec les autres pays des Amériques, sauf le Brésil et les États-Unis.
Il est loin d’être certain que cette réforme verra le jour. Rien n’est plus difficile que de faire sortir un État d’un groupe de décision où il est entré, d’où l’énorme difficulté de réforme du Conseil de sécurité de l’ONU, où les détenteurs de droits de veto (USA, France, Russie, Royaume-Uni) mourront avant de renoncer à ce privilège issu de la seconde guerre mondiale.
Cependant, si la revendication de représentation des pays pauvres devait être relayée par d’autres acteurs puissants (dont la Chine, le Brésil, certains européens), le fait que la réforme détrônerait le Canada ne pèserait pas lourd dans la balance. Et on se souviendrait de Copenhague.
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(L’article, dans la revue Governance de juillet, s’intitule Rethinking Fundamental Principles of Global Governance: How to Represent States and Populations in Multilateral Institutions. Il est disponible, moyennant finances, ici.)