Officiel : L’inégalité tue !

1,4 million

Nombre de morts, par année, attribuables à l’inégalité de revenus dans les 30 pays les plus industrialisés. Cette statistique proprement abasourdissante est tirée d’une méta-recherche publiée en novembre dernier dans le British Medical Journal, et qui fait tranquillement son chemin dans les cercles des sciences sociales.  Combinaison de 28 études antérieures couvrant 60 millions de personnes, l’étude fait faire un bond en avant à la connaissance du sujet.

Selon les auteurs, de Harvard et de l’Université japonaise de Yamanashi, l’inégalité devient mortifère lorsque l’indice Gini, qui mesure le niveau d’inégalité, dépasse les 0,3 points. Dans le tableau qui suit, on voit que le risque, et la proportion, de morts prématurées augmente avec l’importance de l’inégalité.

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On note que le Canada se situe parmi les moins touchés par le phénomène et (attention, défense du modèle québécois imminent) il est intéressant de noter que

le coefficient Gini du Québec est systématiquement plus faible que celui du Canada. Il se maintient donc sur la ligne du 0,30 (pour les familles). Le niveau d’inégalité des pays non présents sur le tableau est évidemment préférable : l’Allemagne, la France, la Suède et les Pays Bas, par exemple, ont des coefficients Gini allant de 0,28 à 0,23.

Mais au-delà du ratio de 0,3, chaque augmentation d’inégalité de 0,05 fait augmenter la mortalité de 8 %. Vu autrement, si les pays industrialisés qui ont un niveau trop élevé d’inégalité réussissaient à le réduire au niveau québécois, chaque année, 1,4 millions de leurs citoyens, au lieu de mourir, vivraient plus longtemps. Pourquoi ?

Il y a deux façons d’appréhender l’impact de l’inégalité, notamment sur la santé publique, donc sur les décès prématurés. La première est toute simple : si la richesse est mal distribuée, les pauvres sont trop pauvres, donc leur santé est déficiente. La réponse est toute trouvée : un système qui fait monter les revenus de tous réduit la pauvreté réelle, donc la mauvaise santé, et alors on se fiche du niveau d’inégalité. C’est la situation actuelle en Chine : le niveau d’inégalité augmente rapidement, mais, simultanément, des centaines de millions de Chinois sortent de la pauvreté.

Mais une seconde approche, dite contextuelle, validée par cette étude, est plus lourde de sens. Elle affirme que, quelle que soit la quantité de richesse distribuée, le simple fait d’une trop forte inégalité dégrade la santé publique — tenez-vous bien — de toutes les strates sociales.

L’explication contextuelle soutien que l’inégalité est en soi un facteur de division et de corrosion sociale. Ce que nous savons maintenant de l’importance sur la santé des facteurs psychologiques — incluant le statut social, l’amitié, le capital social, le sens du contrôle de sa vie — rendent les explications contextuelles de plus en plus plausibles.

C’est ce qu’écrivent les épidémiologistes et éditorialistes du British Medical Journal, Kate Pickett et Richard Wilkinson, mettant la méta-étude dans le contexte des progrès du savoir dans ce domaine. Ils poursuivent :

Il est maintenant clair que les sociétés inégales souffrent d’une incidence supérieure d’un grand nombre de problèmes sociaux, incluant un niveau plus élevé de violence, de taxage, de filles-mères, d’incarcération, d’heures travaillées et un niveau inférieur de résultats scolaires, de mobilité sociale et de confiance. Ces conséquences dans les comportements offrent une preuve forte que les phénomènes psychosociaux sont associés à l’inégalité. Les bénéfices d’une plus grande égalité sont plus grand chez les plus pauvres mais ont un impact sur presque tous les membres de la société.

Bref, nous savions que l’inégalité, du moins aux niveaux maintenant connus aux États-Unis et ailleurs, était moralement inacceptable. Nous savions qu’elle suscitait envie et cynisme. Nous savions qu’elle était un facteur essentiel dans le cycle de la surconsommation, chacun voulant imiter la consommation de son voisin plus fortuné. Nous savons maintenant qu’elle est funeste.

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Ajout à la suite des commentaires :

J’ai été moi-même étonné du niveau de Gini utilisé pour le Canada dans l’étude. Il me semble trop faible par rapport aux statistiques généralement utilisées. Quant au taux de Gini pour le Québec, il est en effet à 0,300 pour les familles, mais plus élevé pour les personnes seules. Voici le tableau compilé par l’économiste Pierre Fortin dans son texte de janvier dernier, dont je vous reparlerai, Quebec is fairer : there is less poverty and less inequality in Quebec

Tiré du dernier Inroads

Tiré du dernier Inroads

 

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !