(Pas toutes) Mes excuses

Le Devoir

samedi 13 décembre 2008

Jean Charest était fidèle à lui-même au lendemain d’une élection boudée par 43 % des électeurs — une catastrophe démocratique. Il n’y est pour rien, dit-il. Il ne connaît ni regret, ni excuses, jamais, sur aucun sujet. C’est sa ligne de conduite. On trouve parfois le travers inverse, soit le cas où, pour reprendre la fulgurante expression d’Yves Boisvert au sujet d’un chef forcé de se dédire, « ses excuses ont dépassé sa pensée ». Je vais tenter de naviguer entre ces deux écueils en présentant ici mes excuses mesurées à Jean Charest, à Françoise David et Amir Khadir, puis à Mario Dumont.

À l’ex-et-de-nouveau-premier-ministre d’abord. J’ai douté de l’opportunité de tenir cette élection. Je m’en accuse et je me rends : rétrospectivement, d’un point de vue souverainiste, c’était exactement la chose à faire. Primo, M. Charest est majoritaire. Lui et son parti seront les seuls responsables de l’ensemble des mesures prises (et non prises) pour atténuer les impacts d’une crise qui fera naître mille mécontentements. D’ici quatre ans, donc après deux mandats libéraux et demi, au moment où la force naturelle de l’alternance sera la plus grande, M Charest (ou, comme je le crois, son successeur) aura à survivre ou à mourir sur la foi de son bilan, sans la moindre échappatoire. Secundo, l’élection enlève à l’ADQ tout pouvoir de faire ou de défaire le gouvernement libéral, donc elle le marginalise au-delà même de son recul électoral. Tertio, on savait que l’élection allait faire de Pauline Marois la chef de l’opposition. On ne savait pas qu’elle allait consolider son leadership, modifier son image (finie la snob-sans-sens-de-la-répartie-au-bout-de-ses-forces), élargir son équipe, lui donner un élan salutaire. Au total, cette élection positionne le PQ vers le pouvoir mieux que toute autre configuration de forces depuis 1994.

Amir Khadir et Françoise David m’en ont voulu d’avoir prévu qu’ils allaient « passer une mauvaise soirée » le 8 décembre. Ils en ont passé une fort bonne, grâce à l’élection d’Amir Khadir dans Mercier, et je me mords évidemment la langue. N’eût été l’élection d’Amir, ma langue se porterait mieux. Car au total, dans ce contexte d’abstention historique, alors que les deux « vieux partis » ont péniblement fait progresser leur électorat (PQ : + 1,3 %, PLQ : +3,7 %), Québec solidaire, jeune parti, a perdu, lui, 20 000 voix, donc 15 % de son total.

Mes excuses les plus senties vont à Mario Dumont. J’avais connu le militant de 20 ans à l’admirable force de caractère, face à l’éteignoir puissant et retors qu’était Robert Bourassa. Je l’ai retrouvé dans la coalition souverainiste de 1995. Au début de la campagne référendaire, l’échec du OUI, sinon sa déroute, semblait certain. Il lui aurait été facile de se défausser et de s’en tirer indemne. Il a choisi d’assumer son choix jusqu’au bout, stoïque, déterminé et solidaire. Dans Le Naufrageur, en 1990, je prédisais à son parti un décès rapide. J’avais gravement sous-estimé la capacité de Mario Dumont de percevoir, d’aviver et de canaliser le mécontentement d’une partie de la classe moyenne pour faire de l’ADQ une force réelle qu’il a portée, en avril 2007, jusqu’aux portes du pouvoir. C’est le drame de sa vie qu’il n’ait su, ensuite, lui faire franchir le dernier pas. Nous sommes donc face au parcours flamboyant d’une figure politique ayant marqué le Québec mais n’ayant pu réaliser son rêve. Voilà qui le met en fort bonne compagnie, dans le club des anciens chefs de parti.