Passif agressif

Ce serait une bonne chose, une constitution québécoise. Si seulement quelqu’un — le Canada — n’y avait pas pensé avant nous. Et lorsqu’on lit les documents déposés cette semaine par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, on constate combien cette désagréable constitution préexistante est l’abcès de fixation de l’ensemble de l’exercice.

Se donner une loi fondamentale est d’ordinaire un moment d’affirmation de soi, de son existence, de ses valeurs et de ses choix. Mais nous ne sommes pas « d’ordinaire » au Québec. Nous ne sommes pas extraordinaires non plus. Enfin, pas toujours. Mais nous sommes « hors ordinaire ».

La Coalition avenir Québec (CAQ) a fait un gros effort de communication, depuis sa création, pour nous convaincre qu’elle n’était ni indépendantiste ni fédéraliste, mais autonomiste. Je tire de ma lecture de son projet de constitution, et de sa loi sur l’autonomie qui l’accompagne, que le terme qui décrit le mieux sa posture est : passif-agressif.

Car ces textes, présentés comme le miroir et le bouclier de la nation, nous renvoient de nous-mêmes le reflet d’un peuple sur la défensive qui a besoin d’un bouclier pour se défendre du pays duquel il ne souhaite pas sortir. Je ne dis pas que c’est faux.

Tout y est fait pour circonscrire, contredire, contourner, compliquer l’application de la Constitution canadienne sur notre territoire. Le ministre, un juriste, doit bien admettre qu’à la fin, la loi fondamentale canadienne, que nous n’avons jamais adoptée, sera toujours la plus forte. Il a cité Robert Bourassa : « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, le Québec est aujourd’hui et pour toujours une société distincte, libre de ses choix et de son développement. »

A-t-on le droit, avec le recul, de dire qu’il a menti ? Puisque le Québec a rejeté la Constitution canadienne et qu’elle s’applique quand même, nous ne sommes par conséquent pas libres de nos choix législatifs. Nos choix sont soumis à une loi fondamentale qui nous a été imposée, telle qu’interprétée par des juges que nous ne désignons pas et qui sont, majoritairement, extérieurs à notre nation.

Justement. Dans son projet de loi, le premier ministre du Québec sera tenu, en cas de vacance d’un des trois sièges à la Cour suprême qui doivent être pourvus par des Québécois, de recommander quelqu’un à Ottawa. Idem pour les sénateurs venus du Québec. Mais leur nom sera secret, car si Ottawa dit non (ce qui est son droit), notre premier ministre devra venir avouer à l’Assemblée l’échec de sa démarche. Cela semble conçu pour augmenter la pression québécoise sur Ottawa. Mais l’effet boomerang sera de multiplier les cas où la nation québécoise se fait mettre le nez dans son impuissance.

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Un article prévoit que la constitution québécoise jouit d’une préséance juridique sur toutes les lois. Il n’est pas écrit que cela exclut la totalité des lois fédérales. Mais des juges fédéraux s’empresseront de nous le dire. Et de nous dire aussi que, si une loi québécoise est contestée, cela ne leur fait pas un pli sur le code de procédure de savoir que la loi est conforme à la constitution québécoise. Puisqu’elle enfreint la vraie, la canadienne, elle est nulle et non avenue. La constitution québécoise sera le paillasson sur lequel les juges fédéraux s’essuieront les pieds.

Les caquistes ont raison de dire que l’idée d’une constitution provinciale québécoise traverse l’histoire — et l’histoire du Parti québécois. J’ai moi-même eu un cameo dans cette série politique, proposant jadis non seulement une constitution, mais une citoyenneté québécoise. Mais il faut savoir que ces initiatives ont surgi dans des périodes de déprime indépendantistes. Puisqu’on ne peut faire la souveraineté, se disait-on, comment donner quand même du muscle à la nation en attendant la prochaine fois ?

On comprend Paul St-Pierre Plamondon de ne pas être dans cette dynamique. Il prévoit plutôt, s’il est élu l’an prochain, élaborer et faire adopter une constitution transitoire qui garantira, avant la souveraineté et pour entrée en vigueur au moment de la déclaration d’indépendance, le maintien des droits de chacun. La constitution permanente du Québec souverain pourra ensuite être écrite par des constituants qui ne seront ni passifs ni agressifs, mais actifs et constructifs.

Le projet de MM. Legault et Jolin-Barrette doit donc être compris pour ce qu’il est. Celui de gens pris dans une relation politique avec le Canada dont ils sont profondément mécontents, mais qui n’osent pas en claquer la porte. Le document démontre, par son existence même, l’échec du projet de la CAQ de réformer le Canada pour l’adapter à la différence québécoise. Je ne les en blâme pas : ils sont en bonne compagnie. Aucun avant eux, cependant, n’avait ainsi codifié sa mauvaise humeur. C’est un peu comme si, après le mariage, un conjoint se dotait non d’un contrat prénuptial, mais d’un contrat postnuptial, sur lequel l’autre conjoint a droit de veto.

Le projet caquiste a donc une réelle qualité pédagogique… pour les indépendantistes. Il jette une lumière crue sur notre impuissance, en général et en détail.

Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, tant qu’on est dans le Canada, aucun sparage autonomiste ne nous donnera le dernier mot. C’est un peu comme mettre devant chez soi une affiche disant : « Attention : chien méchant, mais qui ne mord pas ». Ben non, il ne le peut pas. Pour lui donner ce pouvoir, il faudrait lui enlever sa muselière constitutionnelle. Et pour détenir enfin le dernier mot, il faut se dire le premier : le mot « oui ».

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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