J’ai une marotte. Je ne peux m’empêcher d’écouter ce que nos politiciens disent aux anglo-québécois. C’est très révélateur. D’abord on peut les prendre en flagrant délit de contredire les positions qu’ils prennent en français. J’avais ainsi découvert que, dans l’opposition, François Legault, avait identifié à la radio de la CBC le grand problème de l’intégration des immigrants. On exige trop qu’ils connaissent le français avant de venir, avait-il dit. Il a changé d’avis depuis, remarquez. Il arrivait à Manon Massé de dire devant un micro anglo que la langue de Shakespeare pourrait être une langue officielle dans sa vision du Québec. Puis, elle s’en excusait.
Les cinq candidats à la direction du Parti libéral du Québec ont consacré deux heures, ce dimanche, à débattre, en anglais. Je les ai écoutés pour vous. Mes attentes étaient basses. Optimiste impénitent, je me demandais toutefois si l’un d’entre eux aurait le courage de dire une seule chose qui ne relèverait pas de la flagornerie envers notre minorité historique.
Ma carte de bingo affichait en son centre l’expression « le français est en déclin au Québec ». Après tout, c’est la conviction maintes fois réitérée du nouveau premier ministre du Canada. C’est surtout ce qu’on retient du dernier recensement et des travaux du Commissaire québécois à la langue française. Je ne cite qu’un élément: selon les chiffres fédéraux, entre 2016 et 2021, 4,6% des jeunes montréalais francophones sont devenus des jeunes montréalais anglophones. Ils ont été assimilés. Tiens, un autre élément, pour la route: pendant la même période, la proportion d’unilingues anglophones au Québec a progressé de 20%.
Je ne vous garde pas plus longtemps en haleine. Je n’ai pas crié bingo. Aucun des candidats n’a eu le cran — ou est-ce même la conviction — d’oser évoquer, même de biais, même timidement, qu’il pouvait y avoir un déclin du français, voire une zone d’ombre, quelle qu’elle soit. Pour mémoire, aux dernières nouvelles, 68% des francophones sont convaincus que le français est menacé au Québec (25% pensent le contraire, 7% ne savent pas). Cette majorité francophone n’a manifestement pas de porte-parole parmi les candidats libéraux en lice.
Pourtant, j’ai eu un bref moment d’espoir. L’homme d’affaires Marc Bélanger s’est avancé sur une glace mince en évoquant les rencontres où, au centre-ville de Montréal, 26 francophones doivent parler anglais car il y a un unilingue anglophone dans la pièce. « This is unacceptable » a-t-il tonné, en anglais. J’attendais qu’il ajoute que, premier ministre, il ferait en sorte que tous les diplômés anglo-québécois aient une connaissance opérationnelle du français pour que cesse, une fois pour toutes, cet inacceptable impérialisme linguistique de la minorité. Nenni. Il avait une autre solution en tête: la technologie, l’intelligence artificielle. Bref, il fallait accommoder ce pauvre unilingue anglo, pas l’intimer d’apprendre la langue officielle du lieu.
On en était là, au College John Abbott, ce dimanche. En fait, c’était pire. Les seules mesures linguistiques que les candidats libéraux souhaitent adopter sont favorables à l’anglais. Fini le plafonnement des inscriptions aux Cégeps anglophones. Grâce au PLQ, ils pourront demain croître bien au-delà des besoins de leur communauté et procéder à l’anglicisation, désormais abondamment documentée, des non francophones. Ils en ressortent significativement plus enclins à travailler en anglais et à utiliser l’anglais dans l’espace public. Finie, évidemment, la protection offerte à la loi 96 par la clause dérogatoire. Les libéraux permettront aux tribunaux fédéraux de s’adonner à leur passe-temps favori : émasculer les lois linguistiques québécoises. Finies aussi la régulation du nombre d’étudiants étrangers anglophones au Québec, dont l’explosion a versé au centre-ville de Montréal, depuis dix ans, l’équivalent de la population de trois Westmount.
Sous l’un ou l’autre de ces chefs libéraux, les universités anglophones retrouveront l’âge d’or que leur avait organisé Philippe Couillard. Les candidats souhaitent-ils aussi lever l’obligation faite aux universités de franciser 80% de leurs étudiants venus d’ailleurs ? L’occasion leur a été donnée par l’animatrice du débat de préciser leur pensée à ce sujet. D’affirmer, même, qu’ils sont d’accord avec le principe, sinon avec le seuil ou les délais. Ils ont choisi de laisser l’impression qu’ils allaient faire table rase de cette bizarre obsession d’enseigner le français aux étudiants qui choisissent d’étudier à Montréal. Nous n’avons pas su non plus s’ils allaient faire sauter l’application dans les Cégeps anglos d’une proposition issue du PLQ de Dominique Anglade faisant passer de deux à cinq le nombre de cours de français ou en français. Ce sera pour une autre fois.

Qu’en est-il de l’immigration, dont l’explosion ces dernières années a fait bondir de 40% le nombre de salariés utilisant principalement l’anglais au travail, selon le Commissaire à la langue française ? Et qui, pour ceux qui ne s’intéressent pas aux questions linguistiques, a provoqué une crise du logement sans précédent et lourdement exacerbé les pénuries en santé et en éducation ?
Les aspirants-futurs premiers ministres libéraux ont tous la même réponse, qui ne manque pas d’originalité dans le contexte : il faut beaucoup plus d’immigrants ! L’ex-président du Conseil du patronat Karl Blackburn a même reproché à l’ex-ministre et lieutenant québécois de Justin Trudeau, Pablo Rodriguez, d’avoir « tourné le dos aux entreprises » en fermant d’un millimètre le robinet des temporaires l’an dernier. (Rodriguez fut aussi accusé de n’avoir rien fait pour protéger les universités anglos contre la torture linguistique et économique infligée par le gouvernement caquiste. Il s’en est défendu.)
Nous sommes donc en présence d’un groupe de candidats dont l’ascension au gouvernement garantirait l’accélération du déclin du français au Québec – et de la crise du logement. Le démantèlement des éléments de la loi 96 qui ont un léger mordant ferait une partie du travail. L’ouverture des vannes de l’immigration anglicisante ferait le reste. La seule question en suspens est de savoir si ces cinq candidats sont : a) sincèrement convaincus que le français se porte à merveille; b) savent que le déclin est en marche mais font semblant que ce problème n’existe pas, pour attirer le vote des militants anglos et franco-jovialistes; ou c) sont volontairement en mission pour affaiblir davantage encore le français et diriger ensuite une nation où les francophones seront quantité politique négligeable.
Je vous laisse choisir.
(Une version légèrement plus courte de ce texte a été publiée dans Le Devoir.)
Le PLQ est devenu the liberal party of Quebec.
Excellent texte, comme toujours ! Mais surtout inquiétant, pour quiconque connaît l’ambivalence légendaire de l’électorat québécois : « Qu’est-ce qu’on veut, les Québécois ? Un Québec indépendant dans un Canada uni ! » comme le disait si bien Yvon Deschamps.