Petit voyage dans le « vide » péquiste

trouLa semaine dernière, le premier ministre Charest déplorait le « vide » qui aurait, selon lui, cours au Parti québécois. Comme pour lui répondre, les militants péquistes ont passé la fin de semaine à s’interroger sur une série de propositions de réformes pour le jour où :

1) le gouvernement Charest tombera ; 2) le gouvernement Charest s’épuisera ; 3) le gouvernement Charest sera au bout de son mandat.

J’ai parcouru le document de réflexion soumis aux militants pour trouver quelques mesures à mon goût et, comme pour le précédent sur l’économie (que j’ai commenté ici), j’en ai trouvé.

La débureaucratisation

C’est ce qu’ont surtout retenu les journalistes. Une volonté de réduire la structure bureaucratique des gros ministères de l’Éducation et de la Santé. Les péquistes s’inspirent des expériences scandinaves où la gestion est faite soit au niveau central, soit au niveau local, mais pas aux deux niveaux comme c’est le cas au Québec.

Ce week-end, les délégués ont voulu défendre les structures locales (agences régionales en santé et commissions scolaires), ce qui peut être un choix sain, mais qui augure mal pour l’avenir des structures centrales.

Le PQ est-il l’outil adéquat pour opérer ce changement, demandent par ailleurs les scribes ? Je n’ose répondre qu’ils ont réduit significativement le nombre de villes, sous Lucien Bouchard — opération réussie, sauf à Montréal (j’étais contre). Mais ils ont (transparence totale:  j’y étais) fait un énorme ménage de la structure régionale politique, économique et sociale en centrant toute l’administration sur les MRC/Clé/CLD (oeuvre de Chevrette et Harel). On oublie surtout que Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation, a réduit de moitié le nombre de commissions scolaires puis, ministre des Finances, a voulu mettre un terme à un grand nombre de programmes de subvention d’entreprises, effort alors bloqué par son premier ministre que je ne nommerai pas, mais dont les initiales étaient BL.

Voici ce qu’elle dit en ouverture du cahier :

Nous sommes maintenant à une époque charnière où les adversaires des services publics profitent de leur état parfois déficient pour tenter de privatiser, de réduire, de détruire. Or, la voie la plus sûre pour ramener l’État cinquante ans en arrière, c’est la mauvaise gestion, l’indécision et l’indifférence d’un gouvernement. […]

Les services publics doivent faciliter la vie des gens, pas la compliquer, ils doivent être accessibles rapidement et facilement. Les Québécois veulent en avoir pour leur argent et si nous devons débureaucratiser le système et faire preuve d’audace, allons-y !

Si je devais choisir quelqu’un pour procéder à cet allégement bureaucratique, et le faire avec une main de fer — pour les structures — mais un gant de velours — pour les salariés — je choisirais une femme qui fut ministre de l’Éducation, de la Santé et présidente du Conseil du Trésor. Je vous laisse choisir parmi les personnes qui forment cet échantillon.

Les soins de santé : désacraliser les médecins

Le PQ ne le dit pas clairement, mais il cherche un moyen d’augmenter l’accès au soin tout en réduisant l’hyperpuissance des médecins et de leurs corporations. Ils proposent deux avenues : la multiplication du nombre et du rôle des superinfirmières et la capacité pour les pharmaciens de renouveler les ordonnances et d’en émettre pour des problèmes mineurs. GO GO GO !

Enfin, un grand chantier sur l’alphabétisation

C’est ma priorité absolue à la fois pour la qualité de vie de nos citoyens qui n’ont pas accès à l’écrit et pour l’enrichissement de tout le Québec. Ce paragraphe est donc musique à mes oreilles :

Longtemps demeuré un sujet tabou, gênant pour ceux qui en souffrent, l’analphabétisme est maintenant un problème reconnu et discuté ouvertement sur la place publique. Il est temps que le Québec se lance dans un vaste effort d’alphabétisation qui l’enrichira aussi bien individuellement que collectivement.

Le Québec devrait-il lancer un vaste chantier d’alphabétisation en se donnant un objectif ambitieux, par exemple de réduire de moitié l’analphabétisme en dix ans ?

Ma réponse: OUI, OUI, OUI.

Le document propose d’arrimer la formation continue aux cégeps, ce qui n’est pas mauvais. Cependant, il importe d’intégrer la formation continue dans les entreprises et d’attacher un droit individuel à la formation à chaque salarié, comme en Grande Bretagne. Là, depuis le lancement du programme en 2001, deux millions d’adultes sont sortis de l’analphabétisme et 1,8 million supplémentaire a complété une étape de formation technique. Je sens au PQ une réticence à s’engager dans cette voie — un reliquat, peut-être, de la résistance de patrons antédiluviens à la politique péquiste du 1 % de formation introduite en 1995 . La nouvelle voie, britannique (et française) du droit individuel à la formation, principalement en entreprise, est pourtant la plus prometteuse. (J’en parle plus longuement ici.)

La guerre, pas encore totale, au drame national du décrochage

En éducation, le document parle avec raison de « drame national » pour qualifier le taux de décrochage, notamment des garçons (un tiers). La proposition de l’école obligatoire jusqu’à 18 ans ou jusqu’à l’obtention d’un premier diplôme est intéressante. Voici le passage-clé :

Dans certains pays (et dans une dizaine d’États américains), l’école est devenue obligatoire jusqu’à l’âge de 18 ans. Par exemple, dans certains Lands allemands, la loi oblige les jeunes à fréquenter le réseau scolaire jusqu’à l’âge de 18 ans, ce qui donne des résultats spectaculaires en matière de persévérance scolaire. Durant la période de deux ans supplémentaires, les jeunes qui n’ont pas réussi à terminer leurs études secondaires à l’âge de 16 ans doivent continuer d’étudier afin d’obtenir au minimum un diplôme d’études secondaires, qu’il soit technique, professionnel ou général. Il faut noter que l’État fournit un encadrement spécial pour soutenir ces élèves qui n’ont pas été en mesure d’obtenir leur diplôme d’études secondaires.

L’approche est intéressante, même si les délégués n’ont pas mordu d’emblée à la proposition. Elle témoigne surtout d’une volonté de retrousser vraiment ses manches. Mais s’il s’agit, et c’est le cas, d’un « drame national » (encore plus dramatique chez les garçons francophones de milieux défavorisés), il faut sortir tout l’arsenal et examiner aussi les avenues ouvertes récemment par Nicolas Sarkozy, dont les internats spécialisés.

L’aide de dernier recours — encore un effort

De même, le document s’attarde à une réforme de l’aide de dernier recours pour les assistés sociaux aptes à l’emploi, leur permettant de garder une plus grande part de leurs gains d’emploi sans pénalité. C’est bien. Mais je suis venu à la conclusion que la meilleure solution est de faire en sorte que ces personnes — en commençant par les plus jeunes — soient directement dirigées vers des programmes à temps plein de formation et de travail dans des organisations communautaires ou des emplois d’utilité publique.

Trente-cinq heures de présence par semaine contre une rémunération proche du salaire minimum, jusqu’à une intégration à un meilleur emploi. Je ne crois pas que le PQ ait cette audace, cependant.

J’ajoute, dans ma lecture du cahier de réflexion, en vrac :

– La proposition de prioriser le développement des services de garde en milieu défavorisé, là où son utilisation est plus faible que dans les milieux plus aisés — ce qui est scandaleux. L’accès des enfants pauvres aux services de garde est LA mesure la plus importante pour surmonter, au moins partiellement, l’inégalité des chances.

– La non-privatisation des services de gardes subventionnés. Merci à l’ex-ministre Tomassi d’avoir bien expliqué à ceux qui ne l’avaient pas compris : la délivrance par l’État québécois de places subventionnées est l’équivalent d’une machine à imprimer de l’argent. La demande est forte, donc il n’y a aucun risque pour l’entrepreneur, seulement la certitude de faire un profit. Dans ce système, il n’y a aucune raison de privatiser le profit. Voilà un secteur qui doit être réservé aux organismes à but non lucratif, qui réinvestissent les surplus dans la qualité des services.

-Modifier les règles de financement des écoles privées afin d’introduire une obligation d’admission, d’intégration et de rétention des élèves qui ont des difficultés.

-Remettre en cause le financement des écoles religieuses subventionnées qui prodiguent un enseignement religieux — un anachronisme dans la société québécoise en voie de sécularisation. C’est là une question posée par le PQ avec un courage qu’il faut applaudir !

Vide, la pensée péquiste ? On dirait plutôt qu’ils s’approchent du trop-plein.