Petite semaine (intégral)

La Commission canadienne des droits choisit une petite fille voilée comme symbole des droits et libertés. (Et la photo est tirée d’une manif anti loi 21.)

Comment a été votre semaine ? Tranquille ? Moi aussi. Enfin presque. J’étais en vacandes à la plage à Old Orchard avec mes filles et j’ai momentanément mis de côté le roman que je lisais (Mille Secrets, Mille Dangers, d’Alain Farrah, très bon) pour fureter un instant sur Twitter. J’y ai vu que HEC a choisi de montrer une jeune femme voilée pour promouvoir une maîtrise conjointe avec l’Algérie.

Dans l’univers publicitaire canadien, la femme voilée est désormais la norme lorsqu’on veut affirmer diversité et ouverture. Le gouvernement canadien le fait systématiquement. Même dans une récente pub à la gloire des vétérans, une silhouette sur quatre était celle d’une femme strictement voilée. Le quart des vétéranes canadiennes étaient voilés ? Je l’apprends. C’est bizarre puisque les musulmans représentent tout au plus 4% de la population canadienne, donc les musulmanes 2%, les voilées moins de 1%.

La vogue s’étend au secteur privé, y compris au Québec, Une lectrice m’écrit: « je suis graphiste, et il m’arrive de me faire demander d’ajouter de la « diversité » dans des rapports annuels sur lesquels je travaille. Souvent, on veut des musulmans. Je tente ma chance, et je propose des femmes à la peau un peu plus foncée, mais sans voile. Cela ne passe pas, malgré que je dise à mon client qu’il s’agit d’une musulmane non voilée. » 

C’est au point où, à part le rare turban Sikh, le voile musulman est la seule conviction affichée dans ces pubs. On ne voit aucun anarchiste, aucun écologiste, aucun athée, aucun partisan des gaz bitumineux, voire des  Maples Leafs de Toronto, de Raël ou de la religion majoritaire des canadiens, le protestantisme, ou de la minoritaire, les anti-vax. Seul Allah a droit à son affichage, à même nos impôts.

Il m’arrive de dénoncer cette prime à l’Islam sur Twitter lorsque je la vois passer. (Remarquez, je ferais de même si on montrait un Curé dans une pub de Santé Canada, mais ils se font rares.) Mais je n’avais encore jamais vu une institution québécoise francophone tomber dans ce panneau. Que des Algériennes voilées fassent une maîtrise à HEC, bravo. Qu’on en voie dans une photo de classe, certes. Mais qu’une institution laïque, scientifique, vouée à l’égalité des sexes, choisisse sciemment une femme voilée pour se représenter, non. La jeune femme existe, je lui souhaite beaucoup de succès. Elle n’est pas en cause. HEC l’est.

HEC: un facteur aggravant

C’est répréhensible en soi. L’Institution est laïque, elle n’a à normaliser dans ses pubs aucune conviction, politique ou religieuse. Le facteur aggravant en l’espèce est que la pub soit destinée à l’Algérie, où l’imposition du voile par les intégristes a laissé des traces. Parlez-en à Leila Lesbet, enseignante et féministe québécoise qui a quitté son Algérie natale en 2002 lorsque les intégristes l’ont menacée de mort. Elle dénonce « l’ignorance abyssale » de HEC face à l’histoire algérienne récente. « Des milliers de femmes, de jeunes filles et d’adolescentes ont été violées, tuées, égorgées, éventrées, mutilées de la façon la plus barbare qui soit et c’est ce symbole, dont nous gardons les stigmates à jamais et qui fait partie nos plus douloureux cauchemars, qui a été choisi par HEC Montréal.  » Cette « décennie noire » s’est terminée en 2002 et le voile n’est pas légalement obligatoire en Algérie. Mais il y a trois ans, 10 jeunes algériennes se sont suicidées, ne laissant qu’un message: au lieu d’une corde pour se pendre, elles avaient utilisé leurs hijabs. Cela a lancé un mouvement, « les prisonnières du hijab », des femmes affirmant que la pression pour son port est omniprésente, emprisonnante.

Un enseignant de HEC me fait parvenir ce témoignage:

J’enseigne depuis plus de 6 ans en Algérie dans les villes d’Alger, d’Oran et de Sétif et je peux dire que la majorité de mes étudiantes du niveau BAA ne portent pas de hijab. Ce qui n’est pas évident en Algérie.

J’ai créé une académie (Académie Evidencia) qui offre des formations professionnelles (MBA Corporate) en Algérie et plusieurs de nos participantes ne portent pas le hijab, surtout provenant du monde des affaires.

Après avoir donné plus de 200 cours à HEC dans différents programmes à plus de 9 000 étudiant(e)s, je peux compter sur les doigts de mes deux mains, le nombre d’étudiantes qui portaient un hijab. Par contre, j’ai eu des centaines d’étudiantes musulmanes qui ne le portaient pas. Je ne vois donc pas le but de faire un lien entre nos étudiantes musulmanes et le fait de porter un hijab.

Contrairement à la situation algérienne, à Montréal le voile, selon une intervenante interrogée par Le Devoir, peut être « un symbole féministe ». Je n’en doute pas un instant. Des femmes peuvent porter le voile pour se distinguer, pour fuir l’hypersexualisation, pour faire un pied de nez à  l’Occident, à François Legault, à leur famille non pratiquante, parce qu’elles trouvent ça beau, pratique, ou plus simplement parce qu’elles sont dévotes. Tous les cas de figure existent. Y compris celui du père montréalais d’origine algérienne reconnu coupable l’an dernier d’avoir voulu tuer ses quatre filles car elles souhaitaient « s’habiller comme des québécoises ». Ce despote domestique était d’avis que le voile signifiait, comme le disent les Imam, modestie et soumission. Un écho de l’assassinat de trois jeunes Montréalaises (et de leur belle-mère) en 2009 par leurs parents d’origine afghane, les Shafia, mécontents des comportements de leurs filles. Bref, le voile choisi — féministe ou religieux — et le voile contraint — y compris violemment — cohabitent à Montréal. On entend des professionnelles en hijab nous dire combien elles sont libres et heureuses de le porter. La raison pour laquelle celles qui le portent contre leur gré ne sont pas citées dans les médias est évidemment parce qu’elles craignent les représailles de leurs tourmenteurs.

Mon estimée collègue Pascale Navarro estime que chaque fois qu’on soulève cette question, ce sont les femmes qui trinquent. Elle n’a pas tort. Mais si on ne dit rien alors qu’on assiste à la généralisation du voile dans des publicités gouvernementales (et privées), ne donnons-nous pas aux intégristes des outils supplémentaires ? En faisant une norme publicitaire de la musulmane voilée ne mettons-nous pas l’épaule à la roue du voile contraint ? Ne permettons-nous pas à l’Imam, au père ou au grand frère de dire aux musulmanes: tu vois, même la CBC, même la Banque, même HEC disent que c’est bien, le voile !

Disponible en versions numériques et AudioLivres.

Un tweet, une nouvelle, des insultes

Alors, bon, comme je vous le disais, j’étais en vacances et j’ai écrit un tweet. Un excellent quotidien montréalais a décidé d’en faire une nouvelle. Cela m’a un peu étonné, mais, bon, pourquoi pas ? Mon tweet a ainsi été vu 300 000 fois. Non, mais, rendez-vous compte: c’est autant que les cotes d’écoute de L’île de l’amour.

Quoi d’autre ? Ah oui, j’ai été insulté par quatre plumes du quotidien La Presse. Pas contredit, ce serait normal. Mais insulté. C’est beaucoup. D’abord, Yves Boisvert a affirmé dans un gazouillis que ma position « subodore l’opportunisme politique ». D’ordinaire champion de la présomption d’innocence pense que je ne crois pas vraiment ce que je dis. Comme j’aime débattre mais pas insulter, j’ai répondu que je lui reconnaissais « le droit de choisir d’être mesquin ». Suis-je allé trop loin ?

Sa collègue Rima Elkouri a eu la bonne idée de consacrer une chronique à la jeune femme sur la photo de HEC ; elle est super sympathique. Rima m’a aussi mis en contradiction avec une citation de mon livre Nous de 2007 où je me disais non préoccupé par la présence du voile ; c’est de bonne guerre. C’est en 2010, à l’occasion d’une pétition lancée par le grand Guy Rocher, que je me suis rangé au principe que les employés de l’État ne devaient afficher aucune conviction. Je m’en suis alors expliqué sur mon blogue, toujours en ligne.

Maniant l’ironie, Rima m’a écrit : « Votre féminisme m’émeut. » J’ai répondu que son « absence de compassion pour les femmes victimes du voile contraint en Algérie et à Montréal me désole ». Elle a attiré mon attention sur le livre, La liberté n’est pas un crime (disponible ici), qu’elle a coécrit pour dénoncer le voile contraint en Iran ; je l’en ai félicitée. Mais elle m’a accusé « d’instrumentaliser » les femmes voilées ; je n’ai pas compris en quoi je les instrumentalisais davantage qu’elle, puisqu’on écrit tous les deux sur le sujet.

Puis, le chroniqueur Marc Cassivi m’a aussi accusé « d’opportunisme ». Détail amusant: il ne m’a pas nommé, mais a parlé de « s’enliser ». C’est comme un jeu de mots, voyez-vous ? Mais je passe l’éponge car il est le conjoint de Rima et on sait que la solidarité du couple nous pousse parfois à surréagir. Parlez-en à Will Smith !

Le quatrième est un collaborateur régulier du grand journal de la rue Saint-Jacques : Jocelyn Maclure. Homme brillant, il dirige une chaire de philosophie à McGill. Lui m’a traité d’islamophobe ; je lui ai demandé s’il comprenait que c’était un synonyme de raciste et qu’il qualifiait ainsi quelqu’un qui a simplement un point de vue sur la laïcité différent du sien. Il ne s’est pas rétracté. Remarquez, je prends la chose avec philosophie.

Je vous raconte tout ça parce que je lis tous ces gens avec intérêt et suis d’accord avec leurs écrits, selon les signatures, entre, disons, 51 et 95% du temps. En particulier lorsqu’ils dénoncent la montée de l’invective sur les réseaux sociaux.

Ah, j’oubliais. Le député fédéral de Rosemont et no 2 du NPD, Alexandre Boulerice, m’a demandé dans un gazouillis si j’étais parano, ou catho. Il m’a appris qu’il avait apostasié. Je lui ai confié que j’étais athée. Puis il s’est étonné que j’affirme que les religions ne sont pas fondées sur la science. Il semblait en douter, en tout cas dans le cas de l’Islam. Pour finir, je lui ai demandé ce qu’il pensait de deux publicités canadiennes récentes, dont une de la Commission des droits, qui montrent de façon positive des fillettes voilées. J’ai posé la même question à Rima.

J’attends leurs réponse. Je comprends que ça demande réflexion. Tiens, j’ai une idée. Le sept septembre se tiendra à Montréal le lancement du livre « Lever le voile » de Yasmine Mohammed, la canadienne forcée de porter le voile intégral par son mari et qui dirige maintenant un réseau de femmes libérées du voile contraint, y compris chez nous, « Forgotten Feminists ». Ce lancement serait une chouette occasion pour qu’Alexandre, Yves, Jocelyn et Rima viennent célébrer avec moi le courage de ces femmes et qu’on en profite pour définir une position commune sur l’opportunité de montrer des petites filles voilées dans des pubs gouvernementales. Je suis certain qu’on peut s’entendre.

Marc: tu peux venir aussi.

(Une version plus courte de ce texte a été publiée dans Le Devoir.)


3 avis sur « Petite semaine (intégral) »

  1. Merci Lisée, le voile ne représente ni la femme ni l’Algérie

    C’est tout de même intriguant que tous ces scanda-Lisée ! Même à Alger on n’aurait pas fait aussi grand cas du propos de Jean-François sur la jeune femme voilée du HEC Montréal.

    Mais puisque nous y sommes, creusons davantage la question.

    A l’heure où les femmes algériennes se battent, au péril de leur intégrité physique et morale, pour s’émanciper du tissu islamique, des marchands de la tolérance veulent se faire pignon sur rue au Québec. La formule : valider la mise d’un voile comme étendard sur le toit d’une institution scientifique. Rien que cela !
    Pourtant, la réflexion du chroniqueur du Devoir ne souffre aucune stigmatisation. Bien au contraire, elle est rassurante en ce sens que, ici au Québec, on n’a pas forcément de l’algérienne cette image d’une femme voilée. De l’Algérie et de son histoire aussi, ce pays qui a combattu autant qu’il a souffert des affres de l’islamisme.

    Mais comme tout le monde ne le sait pas ou que certains font mine de ne pas s’en souvenir, rappelons des évènements du passé récent.

    —Le voile tue !—

    Le nom d’Amel Zenoun Zouani vous dit-il quelque chose ? Certainement pas. Je ne sais pas où et comment Mme Rima Elkouri occupait sa journée du 26 janvier 1997, mais voici ce qui est arrivé à cette jeune algérienne, étudiante en droit et non voilée.

    Amel prenait, ce jour-là, le bus pour rentrer de la faculté de droit vers chez-elle, à la périphérie d’Alger. Les islamistes qui avaient pris, depuis quelques années déjà, les armes pour imposer la Califat en Algérie, avaient formulés plusieurs menaces à l’endroit de la jeune étudiante. Elle devait mettre le voile ou cesser de fréquenter l’université. Elle avait choisi sa Liberté.

    Ce jour-là donc, un groupe de fanatiques avait arrêté le bus et ordonné au chauffeur et aux passagers de bien méditer le châtiment qu’ils allaient infliger à la jeune femme de 22 ans. Amel fut égorgée froidement sur la place publique.

    Une stèle témoigne, aujourd’hui, de ce crime monstrueux commis pour que plus aucun cheveu féminin ne respire à l’air libre. Après quoi, des milliers d’algériennes ont dû se résigner à porter le voiler ou à cesser de fréquenter les chemins de l’école.

    Alors si certains continuent de voir en le voile un signe d’affirmation ou un élément d’identité, il y a lieu de leur rappeler ceci : au commencement, ce bout de tissu ôtait la vie. Aujourd’hui encore, le voile tue ! Et ce qui est contraire à la vie, ne peut représenter ni le savoir ni l’université. Encore moins la femme ou l’Algérie.

    Rima Elkouri doit pourtant le savoir mieux que quiconque : ne peut pas s’affirmer celui qui ne dispose pas de son corps. A forte raison celle qui ne dispose pas même d’une mèche de ses cheveux.

    Les détracteurs de Jean-François Lisée doivent également savoir que la majorité des jeunes femmes nord-africaines qui viennent étudier au Canada, leur motivation première est de fuir le diktat d’une société de plus en plus islamisée. Le diplôme étant un premier pas vers l’immigration et la résidence permanente.

    Les défenseurs de l’affirmation de soi par le voile doivent donc aussi savoir que beaucoup de familles algériennes ont justement choisi le Québec pour que leurs filles ne soient pas un jour forcées à mettre le voile sous la pression de la société.

    J’ai personnellement une sœur qui le porte, mais à contrecœur. Soyez-en certains, elle l’ôtera aussitôt que l’avion décollera de l’aéroport d’Alger. Ma grand-mère, aussi. Je vous le promets.

    Ceux qui ne sont pas convaincus, ils peuvent toujours faire l’expérience d’aller se promener dans les rues d’Alger avec une croix autour du cou ou une kippa sur la tête. Je leur conseille, cependant, d’acheter juste un billet aller.

    Ne parlons pas alors de la perspective de mettre à l’affiche d’une université algérienne l’image d’une québécoise portant une croix. Une fumée épaisse s’échappera aussitôt de l’édifice…

    Mehdi Mehenni

  2. Je crois qu’effectivement: « Dans l’univers publicitaire canadien, la femme voilée est désormais la norme lorsqu’on veut affirmer diversité et ouverture ». Ça implique un message contradictoire concernant les intentions de l’auteur. Malheureusement.

  3. Les HEC sont responsables de cette malheureuse histoire qui rappelle tristement celle de l’Université d’Ottawa. Au moins cette dernière se situe au cœur du multiculturalisme canadien. Les HEC sont une grande institution (du moins le croyais-je) de l’État laïc québécois et se comportent très mal. Pas trop étonnant que les HEC reçoivent la bénédiction de La Presse, un OSBL toujours aussi à droite et fédéraliste que quand il appartenait à Power Corp.

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