La tension entre l’Alberta et le Québec ne fait que commencer. Nous l’avons vu depuis le début de la semaine: l’augmentation de la production pétrolière et la montée du prix du baril va faire de la province riche une province hyper-riche. Nous avons vu aussi que la pression ainsi exercée par le pétrole sur le dollar canadien allait continuer à détruire des emplois manufacturiers au Québec (et en Ontario).
C’est donc inéluctable: non seulement l’enrichissement de l’Alberta va rendre le Québec relativement plus pauvre dans la fédération (notre économie ne peut croître à leur rythme, car nous n’avons pas de pétrole). Mais les effets pervers de la montée du pétrole et du dollar détruisent et détruiront nos emplois manufacturiers, ce qui poussera le Québec à devenir absolument plus pauvre.
Or, que fait-on avec les pauvres ? Deux choses: on les aide, du moins un temps. Puis, on les tient responsables de leur pauvreté et on leur coupe les vivres. C’est exactement ce qui a commencé à se produire, depuis 14 mois.
1. La péréquation
Tout le monde le sait, le Québec est la province qui reçoit le plus gros chèque de péréquation. (Tous les contribuables canadiens contribuent, par leurs impôts fédéraux, à la péréquation, mais seulement certaines provinces reçoivent ce chèque d’Ottawa). On peut arguer que le Québec reçoit ainsi en «aide sociale fiscale» ce que d’autres, notamment l’Ontario, ont reçu pendant des décennies en investissements productifs et créateurs d’emplois, y compris les quelque 40 milliards fédéraux investis dans les sables bitumineux albertains pour les rendre rentables.
Reste que les finances du Québec sont maintenant accrocs à la péréquation, à hauteur de 8,5 milliards pour l’année en cours. Les sables mouvants que constituent pour le Québec — et pour l’Ontario, maintenant membre du club des provinces recevant les chèques — la montée du pétrole et du dollar, les poussent à vouloir toujours plus de péréquation pour rester à flot, d’autant que l’enrichissement de l’Ouest rend ces sommes disponibles.
Ils devront pourtant s’en passer,car les années de vaches grasses sont déjà terminées… pour les provinces maigres. En décembre 2008, le gouvernement fédéral a unilatéralement modifié le mode de calcul de la péréquation pour en freiner fortement la croissance. Cette décision a coûté un milliard au Québec pour l’année en cours, et pour toutes les autres. C’est toute la courbe d’augmentation de l’aide sociale fiscale qui vient d’être aplatie.
Le freinage n’est pas terminé. Si le gouvernement fédéral, dirigé par un Albertain, a mis le frein à main, le nouveau ministre albertain des Finances, Ted Morton, voudrait faire marche arrière. Dans une lettre envoyée au Globe and Mail ce 22 janvier, Morton met en cause le fondement même du principe de la péréquation. C’est un système, croit-il, qui encourage les provinces pauvres à rester paresseuses. Comme le BS pour les individus pauvres. J’exagère ? Jugez vous-mêmes. Ce système, écrit-il,
contribue à faire en sorte que la productivité canadienne ne croisse pas au rythme des autres pays du G8. Les provinces qui reçoivent de la péréquation sont moins enclines à réduire leurs taxes car, si elles le faisaient, les bénéfices qu’elles en retireraient [en augmentation de l’activité économique] entraîneraient une réduction de leur chèque de péréquation. Or les impôts et taxes élevées font fuir les investissements et tuent les emplois. Alors le nombre de contribuables potentiels se réduit, les revenus fiscaux déclinent, et la péréquation augmente. C’est un cercle vicieux.
Évidemment, avec cet argument, il est dans l’intérêt de la province pauvre de lui couper au maximum sa péréquation. L’Alberta est donc aujourd’hui officiellement en campagne pour réduire le système même qui permettrait de compenser l’appauvrissement relatif et absolu que son propre enrichissement provoque au Québec et en Ontario.
2. Un ressentiment spécifiquement anti-Québec
J’en ai récemment parlé sur ce blogue, l’Alberta est, après le Nouveau-Brunswick, la province canadienne où on compte le plus de citoyens qui détestent (précisément, qui ont une opinion «hautement défavorable») des Québécois. Ils sont 11% dans ce cas. Au total, 30% des Albertains ont une opinion défavorable des Québécois, contre 47% qui en ont une opinion favorable (22% ne savent pas ou refusent de répondre). Ce n’est peut-être pas un hasard si c’est le ministre canadien de l’Environnement, élu en Alberta, Jim Prentice, qui qualifie de «folly» une politique québécoise sur les émissions polluantes des voitures qui est pourtant adoptée par 14 États américains, dont la Californie.
Les débats internes en Alberta ont un impact aggravant. Les conservateurs, au pouvoir et à mi-mandat, sont contestés sur leur droite par le nouveau Wildrose Alliance. Un sondage de décembre donnait le nouveau parti gagnant, avec 39% des intentions de vote, contre les conservateurs, ne récoltant que 25%.
Il est intéressant pour le Québec de noter la réaction de la Wildrose Alliance lorsque les libéraux et néo-démocrates fédéraux ont proposé, en décembre 2008, de former une coalition gouvernementale pour remplacer le gouvernement Harper. La coalition aurait eu l’appui parlementaire du Bloc Québécois.
Le Wildrose Alliance a réclamé que, si cette coalition devait prendre le pouvoir (de manière parfaitement démocratique, il faut le souligner) l’Alberta devrait réclamer la fin du régime de péréquation, et organiser à la place un régime régional de péréquation ne profitant qu’aux provinces de l’Ouest.
3. Une spirale dangereuse
Les planètes politiques semblent alignées, au Canada, pour un prolongement de la domination albertaine du gouvernement fédéral. Il est probable que Stephen Harper restera Premier ministre du Canada pendant encore quelques années.
Mais il faut savoir aussi qu’un gouvernement libéral, même lorsqu’il n’a pas de député en Alberta, prend des gants blancs avec la province pétrolière. Jean Chrétien, à qui on doit de grands moments de franchise, déclarait ce qui suit,en janvier 2008, à l’Edmonton Journal: «Si j’avais offert au Québec ce que j’ai donné à l’Alberta en termes d’aide gouvernementale aux sables bitumineux, j’aurais remporté tous les sièges au Québec !»
Son ministre de l’Environnement, Stéphane Dion, déclarait au New York Times: «Aucun ministre de l’environnement au monde ne peut empêcher ce pétrole de sortir des sables, parce que les sommes d’argent en jeu sont trop élevées.»
Aujourd’hui, Michael Ignatieff est également très prudent lorsqu’il discute de cette question. La montée de l’Alberta fait partie de sa vision de l’avenir du pays, et de son parti.
Du pays, d’abord. Les sables bitumineux, a-t-il dit il y a un an, « changent tout: pour notre avenir économique et pour l’importance du Canada dans le monde ». Ignatieff est conscient de la nécessité de « nettoyer » les sables, mais les trouvent « prodigieux » et estiment qu’on ne fait que commencer à se rendre compte de combien ils vont « nous rendre puissants » en tant que pays.
Du parti, donc. « La chose la plus idiote à faire est de faire campagne contre le secteur de l’énergie de l’Ouest canadien » a-t-il dit à Régina. « La chose la plus stupide à faire — et que les Libéraux ne devraient jamais faire — est de faire campagne contre l’Alberta, faire de l’Alberta l’ennemi, isoler l’Alberta. » (Merci à l’alertinternaute JCPomerleau pour ce renvoi.)
Il faut s’y faire. L’avenir de l’économie canadienne sera pétrolier, le Canada étant, comme le répète Stephen Harper « une superpuissance énergétique émergente ». L’avenir de la politique canadienne sera teinté par la richesse du nouvel eldorado albertain et par sa volonté de partager le moins possible sa richesse. Il faudra nous habituer plutôt à entendre les Albertains, et leurs représentants à Ottawa, nous faire la leçon et nous expliquer que notre paresse est la cause de notre pauvreté et que, pour notre bien, il est préférable de nous laisser nous en sortir seuls.
Et ils voudraient qu’on applaudisse.