Le monde va changer. Donald Trump no 2 s’en occupe. Son premier mandat, en rétrospective, n’était qu’un apprentissage. En 2016, la victoire l’avait pris par surprise. Il n’avait pas la moindre idée du fonctionnement du pouvoir. Il l’a appris depuis. Aujourd’hui, rarement un candidat aura été aussi équipé pour investir, dès son entrée en fonction, le 20 janvier, toutes les structures du pouvoir. Même s’il ne met pas en pratique la totalité des recommandations du Project 2025 coordonné par le think tank trumpiste Heritage Foundation, le travail de déblayage est accompli.
Des dizaines de décrets présidentiels sont déjà rédigés et prêts pour sa signature au premier jour. D’habitude, un président dégomme 5000 hauts cadres du gouvernement pour les remplacer par ses affidés. Trump en remplacera 50 000. Quelques dizaines de milliers de candidats ont déjà été choisis, validés, formés par l’infrastructure trumpiste. Ils ont même appris comment ne donner que des directives verbales pour se soustraire aux demandes d’accès à l’information. L’efficacité opaque deviendra le principe opérationnel.
Trump était stupéfait que des juges conservateurs qu’il avait nommés pendant son premier mandat ne lui soient pas complètement inféodés. Une nouvelle filière de juristes Trump pur jus a été créée pour qu’il puisse pourvoir rapidement tous les postes qui s’offriront à lui.
Les récits de sa première présidence regorgent de cas où les volontés présidentielles ont été contrariées par ses chefs de cabinet, ses conseillers juridiques, ses ministres, ses généraux, son procureur général, même par le leader républicain à la Chambre des représentants. Tout cela est du passé. La nouvelle génération Trump est faite toute d’un bloc, à l’image des volontés du chef. Comme le disaient les Borg dans un autre univers : la résistance est futile.
Voici une liste partielle de ce qui nous attend :
Pour le climat, chaud devant. Trump estime que le réchauffement climatique est une supercherie. À moins qu’une majorité démocrate à la Chambre des représentants l’en empêche, il abolira la totalité des aides prévues par Joe Biden pour le développement des énergies vertes. Trump a promis d’étendre massivement la production pétrolière et gazière et s’est déclaré hostile à l’énergie éolienne et solaire. Washington redeviendra une force de nuisance dans les forums internationaux sur le climat et son refus d’agir réduira la pression sur les autres nations, notamment l’Inde. La réélection de l’ex-président marque la fin de tout espoir de limiter à 1,5 degré le réchauffement de la planète d’ici 2030, voire au-delà.
Pour l’Ukraine, capitulation en vue. Trump, et encore davantage son colistier, J.D. Vance, n’ont pas caché leur opposition à toute prolongation de l’aide militaire américaine à l’Ukraine. Le rapport de force de Kiev vient de s’anéantir, l’Europe ne pouvant pas compenser la perte de l’investissement américain. Trump a promis de régler le conflit « en un jour ». Vladimir Poutine gardera, à peu de chose près, l’ensemble du territoire conquis et obtiendra, à coup sûr, l’interdiction pour l’Ukraine de faire partie de l’OTAN. Poutine pourra regarder sur la carte la prochaine étape de la reconstitution de la grande Russie. Je mets deux dollars sur l’invasion des pays baltes.
OTAN en emporte Trump. Le président a toujours détesté les rencontres de l’OTAN. « Nous avons des alliés qui sont pires que certains adversaires », a-t-il dit pendant la dernière campagne. Son ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, est convaincu que Trump retirera les États-Unis de l’OTAN. D’ailleurs, restera-t-il dans le G7 ?
Taïwan dans la balance. Trump a toujours voulu que les États-Unis retirent leurs bases militaires en Corée du Sud, à moins que le gouvernement de Séoul ne lui rembourse ses coûts jusqu’au dernier sou. Il n’a jamais fermement défendu le droit de Taïwan à son indépendance et dit surtout en vouloir à l’île d’avoir « volé l’industrie des semi-conducteurs ». Les Taïwanais doivent se préparer à se défendre seuls.
Guerre commerciale en vue. Personne n’a jamais réussi à convaincre Trump que l’érection de tarifs douaniers tous azimuts était contre-productive. Il promet jusqu’à 20 % de tarifs sur la totalité des importations, y compris canadiennes. L’impact inflationniste aux États-Unis serait majeur — jusqu’à 4000 $US de dépenses de plus par ménage par année, selon certaines estimations. Un coup de frein majeur serait donné aux exportations canadiennes, avec des conséquences négatives sur l’emploi.
Une ruée de migrants. En promettant la plus grande opération d’expulsion de l’histoire, et même s’il n’en expulse que quelques millions, Trump insécurise quelque 11 à 13 millions de résidents irréguliers. Combien d’entre eux n’attendront pas la visite des agents de l’immigration avant de partir, surtout en direction nord ? Impossible de l’évaluer. Les plus à risque sont les 309 000 réfugiés haïtiens qui bénéficient d’une protection spéciale que Trump s’est engagé à abolir. Il a promis d’expulser en priorité les 15 000 réfugiés haïtiens vivant à Springfield, en Ohio, ceux qu’il a accusés faussement de manger des animaux de compagnie.
Davantage d’expulsions, davantage de récession. Pendant son premier mandat, Trump a expulsé 1,5 million de migrants illégaux. Biden presque autant. Puisque la plupart des migrants irréguliers occupent des emplois, leur retrait du marché du travail provoquerait des baisses de production. S’il expulsait la totalité des 11 millions d’irréguliers, l’American Immigration Council a calculé qu’il en résulterait une récession au moins équivalente à celle vécue entre 2007 et 2009, avec un taux de chômage de 10 %.
Moins de vaccins. Trump a promis de suivre les recommandations du vaccinosceptique et adversaire du fluor Robert Kennedy Jr. D’où ce commentaire du chroniqueur conservateur anti-Trump David Frum, à qui je laisse le dernier mot : l’élection de Trump est une grande victoire « pour la rougeole, les oreillons, la polio et la carie ».
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)
On retient notre souffle. Qui vivra, verra!
Les USA se relèveront-ils de l’ère Trump, si tant est que cette ère soit passagère. Car cet homme âgé est certes de passage mais sa relève est déjà là, dans sa famille éventuellement mais surtout dans son clan en la personne de Vance. Redoutable comme tout bon avocat, il manipule bien le mot mais les idées aussi. Trump a son fou utile (Musk) ou Musk a son fou utile (Trump) mais Vance se démarque par son intelligence que je qualifierais de machiavélique. Bref, pour qui croit en la démocratie, il n’y a pas de quoi être rassuré, d’autant plus qu’il est un des participants au « Projet 2025 », d’autant plus que les Républicains ont obtenu le vote populaire, qu’ils détiennent le pouvoir au sénat que ce n’est qu’une formalité avant qu’ils ne soient majoritaires à la Chambre des Représentants.
Ma crainte est que la moitié de la population des USA, laquelle usurpée par cette élection vraisemblablement propre, soit tellement été assommée par le retour de Trump qu’elle ne se relève pas à temps, pire, qu’elle soit comme en Russie, résignée et apathique par prudence face au danger de confronter Putin. Trump n’est pas Putin mais pourrait-il le devenir? Si nous avions affaire à une personne normale, sensée, réfléchie et dotée d’un minimum d’empathie et régulée par un tant soit peu d’inhibition, je ne dis pas. Mais l’Ogre à l’égo insatiable, narcissique et animé d’idées de grandeur maintes fois exprimées, nous a prouvé qu’il était capable de tout, du pire mais pas du meilleur. Avec une armée de sous-fifres dévots à sa cause, je le vois comme un enfant ayant à sa disposition une pléiade de leviers pour satisfaire son estime de soi probablement cassée. Et les jours sombres ne planent pas seulement au-dessus des USA, l’ordre mondial, certes très imparfait, se prépare à subir des perturbations dont certains ne se remettront possiblement pas. À moins que celles et ceux au USA qui croient encore en la démocratie ne crient assez fort pour refreiner les ardeurs du roi et de ses valets…