PLQ: Le parti de la division (avec la réponse d’André Pratte)

Avec André Pratte, quand on était jeunes !

J’avoue avoir hésité avant d’écrire cette chronique. Il me semble inconvenant de tirer sur des ambulances. Les Libéraux québécois sont aujourd’hui dans un tel état de faiblesse que mon premier mouvement est l’empathie, ayant dirigé le Parti québécois à une époque ou on nous décrivait, non comme une ambulance, mais comme un corbillard.

Je suis content qu’André Pratte codirige le Comité de relance du PLQ, avec la député Madwa-Nika Cadet  (qui était candidate libérale contre moi dans Rosemont en 2012.) Pratte est certainement la tête pensante fédéraliste la plus solide au Québec. Si quelqu’un peut trouver une assise intellectuelle distinctive sur laquelle un futur chef et une future campagne pourrait s’appuyer, c’est bien lui. Si cette assise existe. Ce qui, dans l’univers politique actuel, n’est pas certain.

Curieux de voir dans quelle direction la réflexion se portait, j’ai pris connaissance du discours prononcé par André Pratte au Conseil général. Il a abordé la question épineuse de la dose de nationalisme que les libéraux devraient afficher. “Certains, à l’intérieur comme à l’extérieur du parti, estiment que nous ne sommes pas assez nationalistes” a-t-il admis, dans un élan de lucidité (Il était jadis membre du groupe Pour un Québec Lucide, soit dit en passant.) Son comité sera attentif aux opinions diverses à ce sujet. Bien. Puis il a déclaré: “Une chose est sûre, cependant, notre histoire ne laisse aucun doute sur le fait que les libéraux ont joué un rôle crucial dans l’édification du Québec moderne.” Voilà qui est indubitable. Les délégués ont d’ailleurs eu droit à des photos rappelant les grands moments de l’histoire du PLQ, d’Honoré Mercier à aujourd’hui. 

Mais de quel bois, exactement, en 2023 – ou demain à l’élection de 2026 – se chauffera le nationalisme libéral québécois? C’est trop tôt pour le dire. Mais nous avons eu droit à cette balise: “nous sommes de fiers nationalistes québécois, mais notre nationalisme se veut rassembleur, inclusif. Nous rejetons le nationalisme qui divise les Québécois entre eux, parce qu’on ne bâtit pas une nation forte sur la division”.

Là, j’avoue, j’ai tiqué. Je me suis demandé à quel moment, exactement, le nationalisme libéral n’avait pas divisé les Québécois. À l’élection de 1962, portant sur la nationalisation de l’électricité, le plus grand geste de nationalisme économique de notre histoire ? Jean Lesage, René Lévesque et son équipe du tonnerre n’ont pas réussi à convaincre plus de 57% des Québécois de voter pour eux. Ils ont été traités de communistes pour vouloir ainsi fouler aux pieds l’entreprise privée et endetter le Québec pour des générations. Est-ce lorsque Robert Bourassa a fait adopter une loi affirmant que le français était notre langue officielle, une étape cruciale de nationalisme identitaire ? Pas moins de deux Québécois sur trois lui ont montré la porte à l’élection qui a suivi, tellement cette proposition les divisait, certains la trouvant trop timide, d’autres trop audacieuse.

Peut-être le PLQ a-t-il mieux exprimé son nationalisme rassembleur lorsqu’il était dans l’opposition. En s’opposant par exemple à la loi 101 d’origine, pourtant plébiscitée par les Québécois ? L’alors député libéral Daniel Johnson ne déclarait-il pas que le PQ de René Lévesque voulait faire du Québec “une Albanie en ceinture fléchée” ? (Avis aux jeunes lecteurs: ce n’était pas un compliment.)

La vérité toute nue est qu’aucun geste fort de promotion de la nation québécoise n’est, à l’origine, rassembleur. Chaque avancée fut un combat contre les forces du statu quo, le PLQ actionnant tantôt l’accélérateur, avec Lesage, tantôt le frein, avec Couillard, tantôt l’accélérateur et le frein en même temps, avec Bourassa.

C’est d’ailleurs vrai pour presque tout progrès. On doit remercier Adélard Godbout d’avoir donné le droit de vote aux femmes, une proposition qui divisait profondément la province, heurtait le clergé et beaucoup d’hommes blancs médiocres, selon une expression qui n’était pas, à l’époque, en vogue.

En fait, toute cette rhétorique de la division est un énorme sophisme. Il n’y a de progrès que dans le combat, donc contre un adversaire. Il faut gagner, rarement par knock out, le plus souvent aux points. En démocratie, le rassemblement est l’exception, non la norme. Sur des grands sujets sociaux – soins de fin de vie, violence conjugale, équité salariale – nous avons su nous rassembler. D’autres – l’avortement, le mariage pour tous – furent arrachés de haute lutte. Nos gains nationalistes, linguistiques, identitaires, laïcs, furent tous de cette dernière catégorie.

Vrai, il y a des cas où l’approche, le ton, la rhétorique peuvent chercher ou susciter la division là où elle n’a pas lieu d’être. Le meilleur cas récent étant la décision de Justin Trudeau de mener campagne en 2021 pour la vaccination obligatoire des fonctionnaires fédéraux et des voyageurs – contredisant son propre engagement récent et les avis de sa propre santé publique – dans le seul but de coincer les conservateurs dont la position était plus, disons, ‘libérale”. Le député Joël Lightbound a eu le courage de dénoncer cette dérive.

En cherchant bien, il y a bien un moment, un seul, où le nationalisme libéral fut véritablement rassembleur. Après Meech, quand Robert Bourassa et son parti se sont formellement engagés à donner une dernière chance au Canada d’accorder des pouvoirs substantiels au Québec, sans quoi ils proposeraient la souveraineté, s’est ouverte une période de grâce où plus des deux tiers des Québécois étaient enfin unis dans une démarche commune sur leur avenir national. Dommage que ce n’ait été qu’une tricherie, débouchant sur un naufrage. Il faudrait écrire un bouquin sur le sujet. Peut-être deux.

À moins qu’André Pratte et le PLQ veuille retenter cette expérience, mais cette fois avec sincérité, ce dont je doute, je leur propose de laisser aux partis uniques et autres dictatures l’illusion de l’unanimisme et d’assumer plutôt que la division est une condition intrinsèque de l’exercice démocratique, les partis étant des avocats plaidant leurs causes contradictoires devant un jury qui décide, à la majorité, qui a raison et qui a tort. Et c’est très bien ainsi.

André a répondu à mes arguments dans Le Devoir, dans ce texte:

Le parti rassembleur

Dans sa plus récente chronique (« Le parti de la division », 31 mai), Jean-François Lisée me fait l’honneur de citer trois phrases du « discours » que j’ai prononcé samedi dernier, à l’occasion du conseil général du Parti libéral du Québec (PLQ). J’emploie des guillemets ici, car il serait fort prétentieux de présenter cette petite allocution de quatre minutes comme un discours.

Le titre de la chronique de Jean-François (je me permets d’employer son prénom, puisque je considère M. Lisée comme un ami) se veut provocateur : « Le parti de la division ». Ces mots sont censés décrire le PLQ. Dans mon allocution, j’ai plutôt prétendu que le nationalisme du PLQ se voulait « rassembleur, inclusif. Nous rejetons le nationalisme qui divise les Québécois entre eux, parce qu’on ne bâtit pas une nation forte sur la division ». C’est ce passage qui a fait « tiquer » le chroniqueur.

Selon Jean-François, les gestes nationalistes posés par les gouvernements libéraux dans le passé ont tous divisé les Québécois, même la nationalisation de l’électricité en 1962. « La vérité toute nue est qu’aucun geste fort de promotion de la nation québécoise n’est, à l’origine, rassembleur », constate-t-il après un bref survol historique. Selon lui, il vaudrait mieux tenir pour acquis que les choix politiques divisent par nature.

Il y a du vrai dans cette analyse. Cependant, le chroniqueur interprète mal les quelques paroles que j’ai prononcées samedi. Lorsque je dis que le nationalisme du PLQ est rassembleur, je ne prétends évidemment pas qu’un futur gouvernement libéral ferait l’unanimité autour de lui. La politique, en effet, implique des décisions, des choix, dont chacun suscite son lot d’opposition.

Le mot « rassembleur » ici réfère à l’intention des libéraux, par opposition à celle d’autres partis politiques, la Coalition avenir Québec (CAQ) en particulier. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, le gouvernement Legault ne cesse d’exacerber les préjugés contre les nouveaux Québécois et la communauté anglophone, accusés d’être responsables de l’anglicisation du Québec. Comme le souligne Jean-François, « il y a des cas où l’approche, le ton, la rhétorique peuvent chercher ou susciter la division là où elle n’a pas lieu d’être ». C’est exactement ce que fait la CAQ. C’est ce contre quoi s’élèvent les libéraux.

Nous sommes nationalistes, puisque nous mettons en priorité la défense des intérêts de la nation québécoise. Nous sommes aussi rassembleurs, parce que notre conception de la nation québécoise inclut toutes les personnes qui ont choisi de vivre au Québec, quelles que soient leur origine, leur culture, leur langue ou leur religion. Notre nationalisme invite tous les Québécois à bâtir un Québec plus français, plus prospère, plus juste et plus durable au sein de la fédération canadienne.

Le conseil général tenu en fin de semaine constituait un bon exemple de cette approche. À une forte majorité francophone provenant de toutes les régions du Québec s’étaient joints des Québécois issus de la communauté anglophone et de la diversité culturelle. Il y avait des jeunes et des moins jeunes, des militants de longue date et d’autres plus récents. N’en déplaise à Jean-François, le Parti libéral n’est pas en ambulance, encore moins en corbillard. Les militants réunis à Victoriaville étaient bien vivants. Lucides quant aux difficultés auxquelles la formation fait face, ces membres sont déterminés à faire ce qu’il faut pour relancer le parti et prudemment optimistes quant à l’avenir.

Notre objectif est d’être prêts à remplacer le gouvernement de la CAQ lors des prochaines élections, en 2026. À cette occasion, nous présenterons aux Québécois un projet national rassembleur, à l’opposé de la stratégie nocive privilégiée par le gouvernement actuel.

Ma réplique:

Cher André,

tu as raison de mettre en cause des propos tenus à la CAQ. Ceux de Jean Boulet auraient dû, malgré ses excuses, lui interdire de retourner de sitôt au Conseil des ministres. Permets-moi de contester cependant ton affirmation voulant que la CAQ (et les autres nationalistes, dont je suis) s’en prenne aux « nouveaux Québécois et [à] la communauté anglophone, accusés d’être responsables de l’anglicisation du Québec ».

Les néo-Québécois ont respecté les conditions exigées d’eux, les Anglos défendent leurs acquis, c’est normal. Nous critiquons l’imprudent laxisme des politiques d’immigration, et notamment la faiblesse des exigences linguistiques dans l’enseignement anglo, ce qui est complètement différent. Si ta contribution permettait d’imposer cette distinction dans la rhétorique de ton parti, cela permettrait un énorme assainissement de notre discussion publique.

Bien amicalement,
Jean-François.

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