Point de bascule

« Ainsi s’éteint la liberté. Sous une pluie d’applaudissements. » Lorsque l’ex-reine Padmé Amidala, représentant sa planète Naboo au Sénat galactique, prononce ces mots, les pleins pouvoirs viennent d’être votés au chancelier de la république, Sheev Palpatine. Cette décision, pourtant, est démocratique. Les sénateurs ont certes été manipulés, désinformés, mais techniquement, ils sont consentants. La constitution est respectée. Sur Terre, plusieurs pays démocratiques ont donné les pleins pouvoirs à leurs gouvernements en invoquant l’urgence, la guerre, l’insurrection appréhendée. Puis, une fois le danger, réel ou imaginé, passé, la démocratie a repris ses droits.

La démocratie galactique n’est pas morte le jour où Amidala l’a annoncé. Elle est morte le jour où Palpatine s’est déclaré empereur. Ce qui nous mène, mais vous le sentiez déjà, au cas Donald Trump.

Il a été élu démocratiquement, avec 49 % du vote populaire et une forte majorité de grands électeurs. Rien dans la Constitution ne l’empêche d’appliquer ou de renier ses promesses, de changer de politique étrangère, d’engueuler le président d’un pays agressé, de modifier son avis entre aube et couchant. L’incompétence, par exemple, n’est pas incompatible avec la démocratie. L’espace me manque ici pour vous donner tous les exemples qui me viennent en tête.

Ses critiques affirment notamment qu’en s’arrogeant le droit de réduire les dépenses votées par le Congrès, il viole la division des pouvoirs. Ce serait plus net si la majorité au Congrès, qu’il contrôle, s’en formalisait. Elle prévoit plutôt d’avaliser, a posteriori, ses diktats, leur donnant une assise légale. On ne compte plus le nombre de recours judiciaires contestant la légalité ou la constitutionnalité de ses décrets et des actions de DOGE, le super-ministère extra-intrusif d’Elon Musk. Des juges ont en effet invalidé certaines décisions, forcé des délais et des reports, et en certains cas ordonné de respecter des contrats que Musk avait brusquement invalidés.

Il s’agit d’un premier test de respect de la démocratie. Le pouvoir exécutif, que dirige Trump, va-t-il se plier aux décisions du pouvoir judiciaire ? Le portrait est trouble. Toutes les décisions fâcheuses qui pouvaient être portées en appel l’ont été, ce qui respecte les formes. Certaines, mêmes prises par une cour de première instance, doivent cependant avoir un effet immédiat. Trump ne les a pas toutes respectées, mais aucun juge n’a encore osé le sanctionner. Elon Musk et des alliés au Congrès ont lancé une campagne pour destituer ces juges indociles. Cette procédure, encore, est légale. Ses chances de succès sont nulles, car il faudrait qu’une quinzaine de sénateurs démocrates soient du voyage.

Les avocats de la Maison-Blanche veulent faire avaliser par la Cour suprême des théories juridiques qui donneraient au président un pouvoir plus large qu’auparavant. S’ils y arrivent, le plus haut tribunal du pays indiquera que c’est le président qui avait raison depuis le début, et la démocratie sera sauvée, dans cette nouvelle interprétation.

La Cour ayant précédemment déclaré que le président ne pouvait être tenu criminellement responsable d’aucune des actions qu’il rend dans le cadre de ses fonctions — y compris, en l’espèce, des crimes — on peut présumer qu’elle agira tel un tampon d’approbation pour confirmer ses désirs. Rien n’étant jamais parfait, il se trouve qu’une juge nommée par Trump semble vouloir lui faire faux bond. Amy Coney Barrett a trois fois déjà exprimé des réserves sur les prétentions présidentielles, ce qui lui vaut désormais d’être jugée traîtresse par la mouvance MAGA.

S’il fallait que, sous peu, la Cour suprême invalide une décision que Trump juge essentielle et qu’il décide d’y passer outre, on serait là en présence d’un réel déni de démocratie. Suspense.

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Il faut aussi distinguer autoritarisme et dictature. Les électeurs ont le droit de se donner des leaders à poigne, qui brisent les normes et instrumentalisent les institutions. Le ministère de la Justice, le FBI et maintenant les Forces armées sont l’objet de purges idéologiques à la fois détestables et destructrices pour la qualité et la compétence des services de l’État. Elles peuvent être vues comme annonciatrices d’un État totalitaire.

La vraie question est de savoir si, demain, l’électorat aura aussi le droit de changer d’avis et de chasser les actuels occupants du pouvoir.

Nous savons que Donald Trump et les siens sont parfaitement respectueux de la démocratie, mais dans un seul cas de figure : lorsqu’ils gagnent. La tentative ratée de coup d’État de 2021 serait suffisante pour attester de leur refus du jeu démocratique. Leur stratégie, très élaborée, pour voler l’élection de 2024 en cas d’échec complète le dossier à charge (il s’agissait de bloquer la désignation des grands électeurs dans un État pivot, rendre ainsi impossible la détermination du vainqueur, donc renvoyer le choix du président à la Chambre des représentants, où Trump avait la majorité). On entend aussi Trump régulièrement rêver tout haut à un troisième mandat, ce qui est clairement proscrit dans la loi fondamentale du pays.

« À semer du vent de cette force-là », chantait Vigneault, Trump se prépare une joyeuse tempête, lors de l’élection de mi-mandat, dans seulement 20 mois. La perte, prévisible, de sa majorité à la Chambre des représentants au profit des démocrates mettrait un cran d’arrêt à ses ambitions de réforme et déclencherait sur son gouvernement une série d’enquêtes, ce dont il a horreur.

C’est à ce moment qu’arrivera le premier vrai test démocratique. Paradoxalement, il est beaucoup plus difficile de trafiquer les élections de mi-mandat que les présidentielles. Trump devra soit trouver un moyen d’y arriver, soit se soumettre au choix de l’électorat. C’est à ce moment, et pas avant, qu’on saura si nous sommes en présence d’un autocrate ou d’un dictateur.

(Ce texte fut d’abord publié dans Le Devoir.)

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

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