Politique, langue, marché et hockey

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D’un strict point de vue d’affaires, aurait-il été préférable que les vendeuses de chez Eaton, dans les années soixante, acceptent de parler français à leurs clientes, dans un marché majoritairement francophone ? Évidemment.

De même, les majors américains se sont battus becs et ongles contre la loi québécoise les forçant à présenter le même jour au Québec des versions françaises et anglaises de leurs films. (Ils avaient menacé de retirer Star Wars de nos écrans!) Pourtant, une fois la mesure appliquée, leur part de marché a augmenté.

C’est ce qu’on appelle un market-failure, une incapacité de la main invisible du marché de reconnaître son véritable intérêt. En l’espèce, l’anglicisation du Canadien de Montréal est à la fois une insulte à son public et une idiotie pour l’entreprise.

Au moment du rachat de l’équipe par les frères Molson, on a fait grand cas de la francophilie des acheteurs. En rétrospective, on voit qu’il s’agissait d’une pure opération de communication. Et on trouve dommage que l’achat se soit fait sans l’offre de prêt du gouvernement de Québec, un levier qui aurait pu peser sur les orientations linguistiques de l’équipe.

Je serais cependant curieux de savoir si le Fonds de solidarité des travailleurs de la FTQ, qui est propriétaire minoritaire des Canadiens à hauteur de 50 millions $, a fait quelque représentation que ce soit au sujet des pratiques linguistiques du Canadien ces derniers jours. (Je suis d’autant plus intéressé que je suis personnellement actionnaire du Fonds, dans mon REER.)

Que fait notre premier ministre ?

Je note cependant que l’autorité politique québécoise n’a jamais seulement demandé aux propriétaires et aux dirigeants du Canadien de modifier leurs politiques. Ces derniers n’ont jamais été convoqués au bureau du Premier ministre pour s’expliquer.

Je me souviens du jour de 1998 où nous avions appris que les grands magasins du Centre-ville avaient décidé d’abandonner l’affichage unilingue français pour introduire de l’anglais (avec le français prédominant). C’était leur droit. Mais Lucien Bouchard les a convoqués en fanfare à son bureau et ce mouvement a été stoppé net. Il leur a fait honte. (Il était très bon là-dessus.)

Que devrait demander Jean Charest (peut-être avec l’appui d’une motion l’Assemblée nationale) aux frères Molson ?

1. De s’engager à ce que les entraîneurs du Canadien puissent s’exprimer convenablement en français au moment de leur prise de fonction;
2. De redevenir la meilleur équipe de la ligue pour le repêchage de talents québécois et francophones;
3. De repêcher, à compétence égale, des joueurs québécois, francophones ou bilingues  ;
4. De démontrer un effort réel pour enseigner des rudiments de français à ses autres joueurs;
5. D’établir la nette prédominance du français dans les communications à l’intérieur du Centre Bell.

Et s’ils disent non ?

Alors qu’on envisage une prise de participation de l’État québécois dans la propriété de l’équipe, genre de Golden Share (invention de Margaret Thatcher) qui donnerait au représentant de l’État voix au chapitre de manière très balisée, sur les politiques générales, y compris sur la cession de l’entreprise.

Tous disent ces derniers jours que le Canadien est une « institution ». Qu’on la traite en conséquence. Ce n’est pas une entreprise comme les autres.

Je gage que la simple discussion de cette possibilité rendra son exécution superflue…

(Cet extrait est tiré de ma série Hockey et Identité, publiée en septembre 2010 pendant le débat sur le nouveau Colisée de Québec)