Texte: Pourquoi j’ai honte de Charles Taylor !

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Je salue les intellectuels qui s’engagent dans le débat public. Ils ont la tâche de nous tirer vers le haut. D’éviter les clichés ou les fausses perceptions en nous présentant plutôt des faits vérifiés et vérifiables. Puisqu’ils sont payés pour chercher et penser, ils ont une grande capacité à dissiper des malentendus, citer des précédents, faire des liens qui nous échappent, nous, gens ordinaires et médiocrement informés.

J’ai donc pris l’habitude d’écouter les arguments avancés par les intellectuels qui sont d’accord avec mes propres positions, mais également et peut-être davantage avec ceux qui sont en désaccord.

J’ai donc été très attentif aux arguments avancés par une des sommités mondiales de la philosophie moderne et du rapport au religieux, Charles Taylor. Il est contre le projet de loi sur la laïcité qui interdirait le port de signes religieux par les personnes en autorité et les enseignants. C’est son droit. Il a d’ailleurs changé d’avis sur la question, (le rapport Bouchard-Taylor le proposait pour les policiers, juges et gardiens de prison). C’est également son droit.

Il était interrogé l’autre jour par Patrice Roy au téléjournal de Radio-Canada. (J’ai mis l’entrevue en fin de texte.)

L’animateur lui a demandé s’il croyait que ceux qui appuient le projet de loi ont une position légitime.

Il a répondu non. Car ce grand intellectuel ne se contente pas de s’opposer à la mesure, il met en cause la légitimité des gens qui ne sont pas d’accord avec lui. C’est fort.

L’argument de la peur de l’autre

Mais pourquoi donc, lui a demandé le journaliste.

« Je considère que ce n’est pas légitime, a expliqué Taylor, parce c’est fondé sur rien, sur des erreurs et non sur des faits. C’est fondé sur l’idée que si on laisse ces gens-là porter certains signes, ils sont un danger pour nous. »

Là, j’avoue que celle-là, je ne l’avais pas vu venir.  Le professeur Taylor ne semble pas savoir qu’on peut être pour la laïcité non par peur mais par principe, car on croit que les employés de l’État doivent se montrer neutres, ne pas afficher leurs convictions politiques, sociales ou religieuses, par respect pour chaque citoyen.

Le grand universitaire connaît bien la méthode scientifique. Lorsqu’on pose une hypothèse, il faut la valider, en la testant dans des contextes différents. C’est en multipliant ces validations qu’on arrive à une vérité scientifique. Ça vaut pour les mathématiques comme pour les sciences sociales.

Le Dr Taylor a fait une vérification de sa théorie de la peur. Il détient, dit-il, la preuve que sa théorie est valide. Je le cite encore :

« La preuve en est, dit-il,  que dès que les Québécois de souche rencontrent dans un certain contexte ces communautés -là,  les préjugés tombent. » Il ajoute : « dès que les Québécois connaissent ces gens-là, les problèmes disparaissent. »

Alors c’est clair. Les pro-laics n’ont tout simplement jamais cotoyé de personnes religieuses portant des signes.

La méthode scientifique

La méthode scientifique suppose qu’on teste son hypothèse dans plusieurs contextes. Alors, si vous croisez M. Taylor, demandez-lui  comment expliquer qu’on rencontre au Québec un bon nombre de citoyens issus d’Afrique du nord, et même certains musulmans, et même plusieurs femmes musulmanes, qui appuient l’interdiction de porter des signes religieux. On ne peut quand même pas penser qu’ils n’ont jamais rencontré de femmes voilées, non ?

Sa théorie, si elle est valide, devrait s’appliquer ailleurs dans le monde. Pourquoi l’Algérie interdit-elle à ses policières de porter le voile ? Est-ce parce que les autorités algériennes ne sont pas en contact avec la communauté musulmane ? J’en doute, M. Taylor. J’en doute énormément.

Et pourquoi une douzaine de pays Africains interdisent-ils le port, en public, du voile intégral. Est-ce parce qu’ils côtoient trop de Québécois de souche ? Expliquez nous aussi, cher professeur,  pourquoi les deux tiers des musulmans vivant en France sont favorables à l’interdiction du port de signes religieux pour tous les employés de l’État ? Sont-ils tous membres de La Meute ?

Non, je suis au regret d’affirmer que le doute s’installe sur l’utilisation de la méthode scientifique par le professeur Taylor.

Heureusement, il a deux autres arguments.

L’argument de la singularité

D’abord, celui de l’isolement. Si cette loi est appliquée, dit-il, le Québec sera la seule juridiction en Amérique du nord à agir ainsi. Il a parfaitement raison. Ça peut se vérifier facilement. « Même l’Amérique de Trump n’agit pas ainsi » ajoute-t-il. C’est vrai.

Mais doit-on en conclure que si nous sommes les seuls sur le continent à faire quelque chose, nous sommes condamnables ? L’Amérique de Trump et le reste du Canada n’ont pas de loi 101. Ni d’assurance-automobile. Ni l’équité salariale dans le secteur privé. Ni des congés parentaux de deux ans. Ni des garderies à bas coût. C’est tout dire, ils n’ont même pas de Céline Dion. Ils sont obligés d’emprunter la nôtre !

J’ai bien peur de devoir conclure que ce deuxième argument de M. Taylor ne mérite pas non plus la note de passage.

Le troisième est le plus intéressant. C’est celui de la solidarité.

Pour M. Taylor, la solidarité réclame que les Québécois pro-laicité soient solidaires des individus qui tiennent à porter leurs signes religieux lorsqu’ils travaillent pour l’État. Il applaudit d’ailleurs ceux qui se mobilisent pour prendre leur défense.

L’argument de la solidarité

Mais pour le plus grand malheur du professeur Taylor, 70% des québécois ne sont pas solidaires, car ils appuient l’interdiction des signes, même chez les enseignants. C’est ce qui rend le professeur honteux. « Quand j’ai dit que j’avais honte, a-t-il expliqué, c’est qu’on présente les Québécois comme un peuple qui n’a pas le sens de la solidarité. »

Attardons-nous, comme le font les intellectuels, au sens des mots. Le beau mot Solidarité est généralement défini comme, je cite, « un lien social d’engagement et de dépendance réciproques entre des personnes ». Notez l’usage du mot « réciproque ». On dit parfois « mutuelle ». La solidarité n’est pas une rue à sens unique. Sinon, ce serait un non sens.

On peut donc complètement retourner l’argument du professeur. Pourquoi les minorités religieuses opposées au projet de loi sur la laicité ne font-elle pas preuve de solidarité envers la majorité des québécois qui appuie le projet ? Car ce qui me frappe, dans les propos de Charles Taylor comme de beaucoup de détracteurs du projet de loi, c’est l’absence, non seulement de solidarité, mais de sensibilité envers une nation qui, depuis 60 ans, est engagée dans un processus de laicisation. Comme si les luttes des hommes, et surtout des femmes, pour faire reculer le pouvoir religieux dans leurs vies depuis des décennies n’était pas digne de respect. Même pas digne de mention.

Je serais plus indulgent envers des personnes qui ne connaissent pas l’histoire du Québec ou qui ne côtoient pas la communauté majoritaire. Mais faut-il en avoir aussi envers un grand intellectuel que les Québécois ont rémunéré, il y a 11 ans, pour faire le tour du Québec et les écouter ?

Parce que j’ai écrit quelques livres, des gens disent parfois de moi que je suis un intellectuel. Je n’en suis pas complètement certain mais, pour les fins de la discussion, admettons.

J’ai honte

En tant que membre, donc, de la communauté intellectuelle québécoise, et après avoir appliqué la méthode scientifique aux arguments avancés par Charles Taylor dans le débat sur la laicité, je ne peux qu’arriver à une conclusion.

J’ai honte, M. Taylor, j’ai honte de la piètre qualité de vos arguments. J’ai honte du fait que vous, un intellectuel québécois, soyez incapable de comprendre, sans les approuver, mais de simplement comprendre les arguments avancés par tous ceux qui souhaitent davantage de laicité. J’ai honte de votre incapacité à comparer correctement la situation du Québec avec celle du reste du monde.  J’ai honte de votre insensibilité et de votre absence de solidarité. J’ai surtout honte qu’un grand esprit comme vous soit incapable de reconnaitre la légitimité des autres positions.

Votre position, M. Taylor, est légitime. Mais de tous ceux qui défendent le droit de porter des signes religieux au service de l’État, vos arguments sont parmi les plus faibles, pour ne pas dire médiocres. J’ose croire qu’un étudiant vous présentant un tel argumentaire obtiendrait une note E. Pour un intellectuel comme vous, vraiment, j’ai honte.

On peut voir l’entrevue ici:


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12 avis sur « Texte: Pourquoi j’ai honte de Charles Taylor ! »

  1. Quand un philosophe fait dans la politique, et plus carrément dans les mesures politiques, il usurpe son titre. Il n’use que d’un argument d’autorité, et ce n’est pas valable.

    Qui plus est quand il déborde joyeusement sur la psychologie des impressions sensibles et des cas pathologiques en ce sens, des procès d’intention gratuits et des prophéties de vilaine sorcière lançant des sorts… Et ce, au lieu de quelque rationalité propre à la philosophie considérant une majorité d’individus adultes et raisonnables.

  2. Charles Taylor connaît bien la méthode scientifique mais il préfère utiliser la bonne vieille méthode de Philippe Couillard. La peur de l’autre, le repli sur soi, la culpabilité et même la solidarité. Vous dites inconsistant,
    moi je dis lamentable.

  3. Une fois le Québec RÉVEILLÉ, il va reconnaître les grandes QUALITÉS à Jean-François de nous expliquer la vraie VÉRITÉ et non les supposées Idées de grandeurs à Charles Taylor… qui s’est laissé MANIPULER…

  4. Conquérir le monde! Parole du Coran!
    Alors s’il est question de partager notre Terre, ils doivent laisser tomber ces identifications visibles de loin: le voile islamique.
    Magnanimes, fort bien, mais pas suicidaires.
    Prêcher l’arrivée sans compter, c’est une TRAHISON.
    Merci M. Lisée, on a encore besoin de vous!

  5. J’aimerais aussi qu’on discute un peu plus de l’idéologie de l’islam. Car soyons lucides et francs: pas de voile islamique pas de projet de loi 21, car depuis 60 ans, la laïcisation du Québec s’est faite relativement en douceur et aurait probablement continué dans le même esprit. Mais voilà, l’islam, idéologie suprémaciste (Coran 3.110 – « Vous êtes la meilleure communauté au monde ») et conquérante (Coran 3.109 « À Allah appartient la terre et les cieux ») est arrivée du Maghreb, avec le besoin d’immigration française du Québec dans les années 70-80. Et depuis ce temps, les insultes et injures nous tombent dessus: « racistes » – comme si la religion était une race – « xénophobes » – comme si tous les immigrants étaient des musulmans pratiquants – et « islamophobes » mot inventé par les islamistes pour empêcher toute critique de l’islam comme si une idéologie parce qu’elle se désigne officiellement comme une « religion » la met à l’abri de toute critique. Ajoutée à tout cela la doctrine perverse du multiculturalisme canadien imposé de force au peuple québécois par l’infâme Loi constitutionnelle du Canada de 1982 et vous avez là tous les ingrédients pour détruire ce qui reste de fierté et de dignité au peuple québécois après les deux défaites référendaires. Je connais très bien le Coran, sa doctrine, son idéologie et je sais fort bien que cette idéologie est incompatible avec la démocratie – l’islam est une théocratie – l’égalité homme-femme, la liberté de conscience,t la liberté d’expression et la laïcité. Financés probablement par l’Arabie Saoudite et le Qatar, encouragés par le multiculturalisme canadien, encouragés par des idiots utiles comme Charles Taylor, la mairesse de Montréal, les libéraux et les gauchistes dogmatiques de Québec solidaire et profitant de la liberté d’expression que leur offrent les chartes québécoise et canadienne des droits et libertés de la personne, les islamistes poursuivent un agenda politique très précis: ils ne s’assimilent pas à la majorité québécoise et essaient de la détruire de l’intérieur pour imposer l’islam et la charia. Le projet de loi 21, dans un tel contexte, même s’il est un texte minimal est un puissant « accélérant » qui peut vraiment nous ouvrir la porte de l’indépendance en permettant au peuple québécois de retrouver sa dignité perdue. Source Le Coran, traduction arabe-française en ordre chronologique, par le professeur et docteur en droit musulman et arabe Sami Awad Aldeeb Abu Salieh, suisse d’origine palestinienne. Voir ici: https://www.youtube.com/watch?v=xevJnEb0qlU&t=443s
    Je termine en vous donnant ma définition du mot « islamophobe »: peur irrationelle et excessive (la phobie) d’aborder le sujet de l’islam. Sont islamophobes la majorité des intellectuels, des journalistes, des professeurs et des politiciens au Québec et au Canada. Islam? Connais pas!

    • N’oubliez pas aussi le multiculturalisme, avant lestrudeau nous n’étions pas multiculturalistes, et tout fonctionnais bien, merci pour votre commentaire

  6. Tout cela repose sur la supposée renommée mondiale de Charles Taylor et sur sa autant supposée grandeur d’esprit. Mais qui donc lui a érigé ce socle? La réponse à cette question expliquerait pas mal de choses sur ses soliloques.

    • Dans L’idée de justice, 2009, page 14, en préface, Amartya Sen, prix Nobel d’économie, un grand penseur des 50 dernières années, cite Charles Taylor pour sa contribution parmi d’autres intellectuel.les au concept de pluralisme des évaluations. Sen inclut Charles Taylor parmi des centaines d’autres dans ses remerciements à la pensée, conscience publique.

    • Le commentaire précédent écrit, Charles Taylor n’est pas ma tasse de thé.

      J’ai en tête une inéquité intergénérationnelle, salut Éric, l’absence de représentation politique électorale des moins de 18 ans dans notre mode de gouvernement.

      En dépit d’un droit constitutionnel au Canada depuis 1982 mais d’une décision législative conservatrice de la Chambre des communes par la suite, au moins 20 % de nous Canadiens n’avons pas de poids politique électoral.

      Nous ne sommes pas soumis nous Québécois.es à cette constitution, nos élu.es provinciaux ne l’ont jamais signée. Y avons-nous droit ? Faudra voir cette question quand nous nous donnerons une constitution. D’ici là, dans la constitution de 1982, l’âge de vote est de compétence provinciale.

      J’ai découvert Laurent de Briey lors d’une recherche sur l’absence de ce droit de vote chez les moins de 18 ans. L’absence d’un poids politique électoral chez environ 20 % des Canadiens me semble une imperfection démocratique plus dommageable que notre mode de scrutin actuel en sursis. Notre prochain en plan pourrait corriger d’une certaine manière l’injustice.

      Ce jeune brave le 23 octobre 2012 est venu parler d’interculturalisme et de multiculturalime aux Mardi Midi du Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal. J’ai manqué. Il y a été question du rapport conjoint de Gérard Bouchard et de Charles Taylor. Laurent présentait sa contribution ainsi :

      « Dans leur rapport conjoint, Gérard Bouchard et Charles Taylor distinguent deux manières de penser le pluralisme moral et culturel. Le modèle multiculturaliste serait dominant dans l’ensemble du Canada, à l’exception du Québec qui lui privilégierait le modèle interculturaliste. La pertinence de cette distinction est parfois remise en question. Même les deux auteurs du rapport paraissent lui donner une portée différente dans leurs écrits ultérieurs.

      Si Bouchard insiste sur le fait que le modèle interculturel n’est pas une défense déguisée du multiculturalisme, notamment parce que le modèle interculturel pense la diversité culturelle sur le modèle d’une dualité entre une culture majoritaire et des cultures minoritaires, alors que le multiculturalisme, canadien à tout le moins, récuse l’existence d’une culture majoritaire, Charles Taylor considère pour sa part que les dispositifs politiques justifiés par les deux modèles étaient similaires et qu’il s’agissait principalement d’une différence de « récits ».

      Dans ma présentation, j’aimerais dans ce texte proposer une défense de la distinction entre interculturalisme et multiculturalisme ne se réduisant pas à une différence de récits. La spécificité du modèle interculturel serait de considérer que la reconnaissance de l’irréductibilité du pluralisme moral n’impose pas de renoncer à l’idée d’une identité collective, fondée sur un ensemble de valeurs potentiellement relatives au juste comme au bien, qui puisse favoriser un sentiment d’appartenance collective et renforcer la solidarité ainsi que la cohésion sociale.

      Le modèle interculturel pourrait ainsi être compris comme participant à une critique républicaine du libéralisme. »

      C’est révélateur pour une chatte qui cherche ses chats.

      C’est bon d’avoir un point de vue de l’extérieur, c’est essentiel dans L’idée de justice d’Amartya Sen.

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