En cette saison des Oscars, j’ai pensé attirer votre attention sur des victimes de discrimination et d’ostracisme dont on parle trop peu : les grands films américains. Certes, les superproductions de Hollywood dominent dans les salles et sur les ondes du monde entier, et on peut penser qu’elles n’ont guère besoin de notre empathie.
Mais justement, il faut parfois s’apitoyer sur le sort de Goliath, qui reçoit tant de pierres… Les plus durs sont les dirigeants chinois, qui contrôlent le plus grand marché du monde. En juin dernier, ils ont retiré des salles plusieurs films yankees pour donner toute la place à une superproduction chinoise sur les débuts de la Révolution. Mal leur en prit, car des internautes (rapidement censurés) ont incité les spectateurs à crier en chœur avec les acteurs : « Fini la dictature du parti unique, longue vie à la démocratie et à la liberté ! » Dans le film, il s’agissait évidemment de la dictature du parti unique qui précédait la dictature actuelle du parti unique.
Les Chinois ont un système de quotas : pas plus de 20 films étrangers par an. Ils ont par exemple empêché la distribution d’Avatar parce que, selon le magazine The Atlantic, ils estimaient que le refus des habitants de la planète Pandora de quitter leur arbre ancestral pour laisser place à une mine rappellerait trop aux spectateurs la résistance de milliers de Chinois expropriés sans ménagement pour qu’on puisse construire des routes, des usines ou des barrages.
L’an dernier, les censeurs chinois ont aussi décidé d’exclure des salles tous les films Retour vers le futur, Star Trek, Terminator, La planète des singes et autres productions du genre. Pourquoi ? L’idée du voyage dans le temps semble déplaire souverainement aux souverains chinois. Pour eux, les « producteurs et scénaristes [de ces films] ont une approche frivole de l’histoire, et cela ne doit plus en aucun cas être encouragé ». Exclus également les scénarios qui contiennent « du fantastique, des compilations de mythes, des intrigues bizarres, des techniques absurdes, des superstitions féodales, des leçons morales ambiguës », qui promeuvent « le fatalisme et la réincarnation » ou, même, qui manquent « de pensées positives ». Bref, on n’a pas l’impression que les films de vampires vont réussir à mordre dans le marché chinois.
La fermeture de la Chine aux grands succès américains est fâcheuse à plus d’un titre : elle retire à Washington un important levier de négociation. Nous en savons quelque chose, au Québec. En effet, lorsque le gouvernement de René Lévesque a voulu imposer aux studios américains l’obligation de distribuer simultanément au Québec les versions anglaise et française des nouveaux films, le lobbyiste en chef du cinéma, Jack Valenti, a évoqué une grave menace : le retard de la distribution au Québec du nouvel épisode de la série La guerre des étoile
René Lévesque allait-il céder à la menace du Darth Vader d’Hollywood ? Il ne l’a pas fait. Luke, Leia et Han Solo ont fait leur apparition sur les écrans à la date prévue, dans les deux langues, et les films américains ont, au total, augmenté leur part de marché.
Mais on voit bien la difficulté. La Chine n’est pas le Québec. Menacer de ne pas y envoyer Avatar II sera perçu non comme un boycottage, mais comme une soumission.
Non, la seule solution pour les studios de Hollywood est de mettre à l’œuvre leurs meilleurs scénaristes et meilleurs acteurs pour tourner une superproduction à la gloire de Deng Xiaoping, grand leader de la Chine moderne. Puis, de refuser sa diffusion en Chine, sauf si Pékin accepte de distribuer aussi la suite : Deng Xiaoping contre Terminator !
Et encore:
Le film Zoolander, avec Ben Stiller, une comédie assez mauvaise portant sur le monde des mannequins masculins, fut interdit en Iran. La raison ? Il est défendu d’y montrer des homosexuels, même chastes, à l’écran. Le gag : rien dans ce film n’indique que les protagonistes sont gais !