PQ: De la difficulté à tuer le père

freud_464235Freud n’en démordait pas. Pour devenir adulte, l’adolescent doit nécessairement éliminer le père. Pas de panique, il ne s’agit pas de faire gicler le sang. Au contraire, le parricide, et l’inceste, sont tabous. Mais il doit y avoir un moment où, symboliquement, l’ado (ou le jeune adulte si ce n’est déjà fait) élimine le père, prend sa place et devient adulte (et père) à son tour. Vous aurez compris qu’on parle des jeunes péquistes et de Jacques Parizeau.

C’est classique, le jeune adulte se révolte contre le caractère autoritaire du père. Dans ce rôle, l’ex-président de l’aile jeunesse sous Parizeau, Nicolas Girard, entonne parfaitement ses répliques. Il a dit ce mardi:

«À l’époque où M. Parizeau était chef [de 1988 jusqu’après le référendum de 1995], il n’y avait qu’une seule direction, droit devant, et les gens avaient intérêt à suivre cette direction, puisqu’il n’y avait pas de place pour la confrontation ou pour contredire les orientations du chef.»

On se souvient que le jeune André Boisclair avait d’ailleurs été mis en pénitence pour avoir publiquement contredit le chef.

Jacques Parizeau joue aussi la partition très efficacement. Le père, autoritaire, doit résister à la prise de contrôle du fils. Sinon, la victoire du fils n’a pas de valeur. Ainsi, ce mardi matin, dans sa lettre aux jeunes révoltés-très-très-polis, papa péquiste les mouche en leur disant qu’à leur âge, René Lévesque avait déjà nationalisé l’électricité (sous entendu, avec l’aide du conseiller Parizeau, qui s’y connaissait en emprunts internationaux).

Les jeunes montent le ton. La partie n’est pas terminée.

Mais, au PQ, rien n’est jamais simple.

Normalement, le fils veut rivaliser avec le père pour tirer vers lui l’amour de la mère (Pauline). Mais M Parizeau déjoue ce schéma car… il n’a pas l’air d’aimer la mère ! Il lui préfère une Dame Lapointe. Nous voilà donc dans un cas de figure non-freudien ou le jeune adulte en veut au père de…  ne pas aimer la mère.

En plus, le père accuse à son tour la mère d’être trop autoritaire et de l’avoir empêché, lui et Dame Lapointe, de faire valoir leurs points de vue. On a donc l’impression que Parizeau veut « tuer la mère ». Ce n’est pas dans la pièce ! Soit-dit entre nous, Freud en ferait lui-même une névrose.

Droit de parole, devoir de réserve

Rétrospectivement, on doit admettre que Jacques Parizeau fut chanceux. Lorsqu’il prend le contrôle du parti, en 1988, le père-fondateur, René Lévesque, a déjà rejoint le paradis des souverainistes et son successeur, Pierre-Marc Johnson, quitte la vie politique.

Donc, de 1988 à 1994, pendant toutes ses années d’opposition, le chef Parizeau n’a pas à subir les humeurs des « ex ». Personne pour critiquer la nature extrêmement vague de la plateforme souverainiste de 1989, ni pour souligner que la souveraineté n’est pas au coeur de la campagne électorale de 1994, dont le slogan n’est pas « on veut un pays » mais « gouverner autrement« .

J’en fus le témoin, d’abord incrédule: une fois devenu premier ministre, M. Parizeau a eu à subir les humeurs des « futurs » — notamment de Lucien Bouchard qui, d’Ottawa, donnait privément et publiquement ses avis sur la stratégie.

Disons que mon premier ministre de patron ne prenait pas toujours ces sorties avec une grande sérénité. Ses conseillers non plus. Bernard Landry, alors vice-premier ministre, y est lui aussi allé d’une ou deux ogives aussi imprévues que mal accueillies.

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Beaucoup de monde sur la glace…

Je crois que c’est à ce moment, dans la remise en cause en direct et en public de la stratégie souverainiste de Jacques Parizeau par deux autres figures souverainistes que le concept de devoir de réserve a été mis en terre.

On parle beaucoup, ces jours-ci, du « droit de parole » du citoyen Parizeau. Avec raison. Mais personne ne parle plus du « devoir de réserve ». Il a disparu. Il semble d’une autre époque.

En tout cas, il est d’une autre école. On n’a pas entendu Trudeau critiquer publiquement Chrétien. Ni Chrétien critiquer Martin pendant qu’il était chef (ensuite, oui). Ni Chrétien ou Martin critiquer Dion. La matière ne manquait pourtant pas. Ni Chrétien, Martin ou Dion critiquer Ignatieff. Il semble y avoir une tendance, là. Une conviction que le devoir de réserve sert le parti (même lorsqu’il va de défaite en défaite, c’est dire !).

Dans la famille souverainiste, cependant, il a disparu. On a compris que, après sa démission, M. Parizeau rende à l’alors premier ministre Bouchard la monnaie de sa pièce et, de jugé, se pose en juge. On a compris aussi qu’il renvoie l’ascenseur à Bernard Landry, un temps grand défenseur du concept « d’Union confédérale ».

Ces précédents étant établis, le fait que Bernard Landry, lui aussi démissionnaire, commente les stratégies de ses successeurs, a semblé aller de soi. Lucien Bouchard, qui avait, le plus, gardé sa réserve, s’y laissa aller lui aussi à quelques reprises. Tout le monde le fait…

Les progrès de l’alimentation et de la médecine étant ce qu’ils sont, nous nous retrouvons désormais avec des « ex » de plus en plus nombreux, toujours en forme, toujours combatifs. Un énorme avantage pour les souverainistes si tous tiraient… dans la même direction. Mais, pour rendre la chose divertissante, ils sont rarement d’accord avec le chef en fonction — et encore plus rarement d’accord entre eux.

Pauline Marois hérite de tout cet équipage. Elle doit gérer le caucus, ce qui n’est jamais simple, et les ex, ce qui l’est moins encore. Et quatre députés, dont un jeune (et cinq si on compte Camil Bouchard) quittent le navire car ils ne veulent plus jouer à la politique telle qu’on la pratique depuis Churchill. (Autre problème que Parizeau n’avait pas.)

Je ne dis pas qu’ils ont tort. Mais je constate que, pour ceux qui restent, cela fait un peu, beaucoup.

Le bouillant François Rebello, un des signataires de la lettre des 12 (répliquant qu’à 40 ans, Jacques Parizeau n’était pas député!), a résumé le fond de l’affaire en ces termes:

« On voulait lui dire [à M. Parizeau] de faire attention à ce qu’il allait dire.
Parce que nous, on continue le combat, il ne faut pas qu’il coule le bateau. »

Bref, les jeunes péquistes ne tueront pas le père, c’est entendu. En plus, leur bateau prend l’eau. Ils ne demandent pas au père de bouées de sauvetage. Seulement d’y aller mollo, sur les torpilles…