Premier devoir de français

Le hasard a voulu que je sois récemment assis à la même table que le nouveau ministre de la Langue française, Jean-François Roberge. C’était avant qu’il ne déclare que « tous les feux sont au rouge » et que « nous ne marchons pas vers le mur, nous courons ». Non encore informé de l’intensité de sa conviction, je l’ai un peu vivement apostrophé : « Alors, votre mandat est d’inverser le déclin du français en quatre ans ? » Pas du tout démonté, il répondit : « Je ne vais pas l’inverser en quatre ans, mais je vais poser des conditions pour qu’il s’inverse par la suite. »

Je fus estomaqué par sa sereine certitude. Deux réflexions entrèrent en collision dans mon lobe frontal: « François Legault est-il au courant ? » et « Camille Laurin, reste dans ce corps ! ».

La déclaration d’ouverture du premier ministre allait me répondre. Renverser le déclin était son « premier devoir », une « question existentielle », a-t-il dit, ajoutant qu’une immigration économique à 100 % francophone est enfin au programme. Cela ne suffira pas. La tendance à la dégradation est à ce point forte qu’il est possible que le point de bascule soit derrière nous. Mais, toujours motivé par ma volonté de rendre service, j’avance ici ce qu’il faut, selon moi, mettre en oeuvre pour tendre vers l’objectif.

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Une immigration francophone à 150 %. C’est une façon de parler, mais la minorisation de la proportion de Montréalais — et bientôt de Lavallois et d’habitants de l’Outaouais — qui ont le français comme langue première exige un redressement urgent. Il ne suffit plus de demander une connaissance du français au point d’entrée pour tous les immigrants économiques et leurs conjoints. Il faut faire en sorte qu’au sein de ce groupe, la proportion qui a le français comme langue première, d’usage, soit majoritaire. Cela n’a jamais été fait, même jamais mesuré.

Une des options est de déplafonner le programme (fédéral) Vacances Travail avec la France et la Belgique (environ 12 000 places par an) pour qu’autant de ces jeunes qui le désirent — facilement le double — viennent fournir leurs bras à notre industrie touristique en été puis soient incités à prendre racine.

M. Legault annonce vouloir faire de l’éducation supérieure francophone le canal privilégié, une proposition que je formule et reformule depuis l’an 2000. Alors, oui !

Des réfugiés francisés à l’arrivée. Pas question de demander aux Ukrainiens ou aux Afghanes fuyant les bombes et l’oppression de passer chez Berlitz. Il faut cependant les payer pour apprendre le français pendant quelques mois avant de les envoyer sur le marché du travail.

Se fâcher au chemin Roxham. Pour l’instant, Ottawa va conduire en Ontario environ 10 % de ceux qui traversent la non-frontière la plus célèbre au monde. Que Québec se charge d’un tri plus conséquent. Qu’il garde ici ceux qui ont le français comme langue première (et les non-Francos qui ont de la famille immédiate au Québec) et qu’il conduise tous les autres à Immigration Canada en Ontario.

Rendre les jeunes anglos vraiment bilingues. La légende voulant que les diplômés de nos high schools soient bilingues a été pulvérisée lorsqu’on a appris que plus du tiers des meilleurs d’entre eux échoueraient à un cours de cégep en français. Une hécatombe atteignant 57 % des futures infirmières, 88 % des futures éducatrices. Il faut de toute urgence renforcer l’enseignement du français au secondaire anglo, hausser le niveau de français en première session de cégep, donner le quart des cours en français à la seconde, la moitié à la troisième, et faire suivre la quatrième en immersion dans un cégep franco. (17 % des profs des cégeps anglos ont le français comme langue maternelle, selon le MEQ).

À l’université anglophone, 10 % des cours doivent être en français et un examen doit confirmer au point de sortie la compétence linguistique. Ne pas adopter cette approche — qui suppose un immense courage politique —, c’est renoncer à ce que le français soit un jour la langue commune à Montréal.

Couper le robinet des étudiants unilingues anglos. Pas moins de 30 000 d’entre eux, un record, sont entrés pendant le premier mandat de la CAQ, qui ne leur a aucunement demandé d’apprendre le français avant de venir. L’application de la mesure précédente sur les cégeps et les universités rend cette condition, éliminatoire, indispensable.

Étendre la loi 101 aux cégeps anglos. Et permettre aux étudiants des cégeps francos qui désirent parfaire leur connaissance de l’anglais de passer une session d’immersion dans un cégep anglo.

Requalifier les professionnels anglos. La pluie de témoignages recueillis récemment par Le Journal de Montréal sur l’unilinguisme anglais de membres du personnel médical réclame d’exiger d’ici cinq ans une formation et un examen de français pour tous les anciens diplômés de la santé des institutions anglophones.

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Une grande fermeté dans l’ouverture. Pierre Fitzgibbon souhaite que les travailleurs spécialisés soient exemptés d’exigences linguistiques au point d’entrée. La bonne nouvelle est qu’ils sont, par définition, de bons élèves. Que l’entreprise qui les embauche soit chargée de les mener en deux ans à un niveau intermédiaire avancé de français parlé et écrit, attesté par l’OQLF. Sinon, bye-bye, Charlie Brown !

La clause Michael Rousseau. Offrir le choix suivant aux entreprises de plus de 500 employés, qu’elles soient ou non sous compétence fédérale : soit leurs cinq principaux dirigeants sont opérationnels en français et la moitié des membres de leur CA sont des francophones d’ici quatre ans, soit ils n’ont plus accès aux crédits d’impôt québécois en R&D et en amortissement accéléré.

Le principe du téléphone. Une campagne de pub massive doit expliquer qu’on peut discuter en anglais, en espagnol ou en mandarin au téléphone ou en vidéo avec les clients et les fournisseurs, mais qu’une fois ces conversations terminées, entre nous, on parle français.

L’app OQLF. Qu’on puisse déposer une plainte à l’Office directement sur son téléphone intelligent, en temps réel.

Une fois cette liste mise en oeuvre, on aura probablement franchi presque la moitié du chemin.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

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