Prendre le frais à l’ombre de la GG ? Très peu pour le PM

139149-gouverneure-generale-canada-michaelle-jean-150x150Dans Le coeur au poing, son autobiographie, l’ex-gouverneure générale Adrienne Clarkson raconte une anecdote qui dit tout. La scène se passe en Normandie, en 2004, lors des célébrations du 60e anniversaire de l’armistice. Les chefs d’État sont tous là : Bush, Chirac, Schöder, Poutine et… Clarkson.

Ces chefs sont véhiculés d’un site à l’autre dans un véhicule commun. Une vingtaine de minutes d’intimité, entre grands de ce monde. Pour le chef d’une puissance moyenne comme le Canada, une occasion inestimable d’entretenir ses relations. Mais le Canada y est représenté, non par son premier ministre Paul Martin qui a la responsabilité de la politique étrangère du pays, mais par une personne choisie par le premier ministre pour symboliser le pays : la gouverneure générale. En ce cas, Mme Clarkson raconte avoir eu l’élégance d’inviter M. Martin à monter à bord. « J’ai pensé qu’il serait bien qu’il rencontre le président Chirac ou d’autres personnes qui seraient à bord », écrit-elle, sans ironie.

Je reviens sur cette anecdote parce que mon collègue blogueur, Vincent Marissal, indiquait ce lundi que l’actuelle GG, Michaëlle Jean — qui, à mon avis, a excellé dans le poste –, ne verrait pas son mandat renouvelé notamment parce que le premier ministre Harper juge qu’elle lui fait de l’ombre.

Vincent note ces quelques motifs d’irritation de la part du premier ministre:

– Octobre 2009 : une polémique éclate entre Rideau Hall et le bureau du premier ministre à propos du titre exact de la GG. Mme Jean se présentait à l’étranger comme « chef d’État » alors que le bureau de M. Harper affirmait qu’elle n’est que la représentante de la reine au Canada.

– Novembre 2009: Michaelle Jean « vole le show » lors du Jour du souvenir en se présentant en treillis militaire, allusion à son rôle (symbolique) de chef des armées (M. Harper n’a pas aimé non plus !)

– Mars 2010 :  Mme Jean met les services de sécurité sur les nerfs en prenant des bains de foule imprévus (et potentiellement dangereux) lors de sa visite en Haïti.

On pourrait ajouter d’autres cas :  la complicité évidente entre Mme Jean et Barack Obama lors de la visite officielle du président américain à Ottawa, la forte présence de la GG dans tout le dossier haïtien, etc.

U.S. President Barack Obama talks with Canadian Governor General Michaelle Jean after arriving in Ottawa 1) Obama avec Michaëlle…

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2) … et avec Harper. Où est le problème ?

Un problème systémique

Comment reprocher à la GG de se prendre pour le Chef de l’État, alors que c’est ainsi qu’on la présente depuis des années ? Son niveau protocolaire en fait la vis-à-vis des présidents et de la royauté étrangère. Cela ne pose pas de problème lorsqu’il s’agit de rencontrer le roi des Belges ou le président italien, deux fonctions essentiellement honorifiques.

Mais le dîner d’État avec notre GG est aussi le passage obligé pour de « vrais » présidents — français, américain, russe, etc. Je n’ai pas le moindre doute qu’ils aient eu beaucoup de plaisir à converser avec Mme Jean et avec Mme Clarkson.

Mais pour huiler l’engrenage et faire avancer tel ou tel dossier, il y a erreur de casting. Au Canada, le vrai président est le premier ministre (institutionnellement, il a d’ailleurs plus de pouvoir que le président américain qui, lui, ne contrôle pas son parlement).

Revenons à Adrienne Clarkson, qui résume très bien dans son ouvrage, pour s’en plaindre, la réticence du PM (alors Paul Martin) envers le poste de GG:

Pour compliquer les choses, il y a souvent une rivalité tacite entre le bureau du Premier ministre et le Gouverneur général. Nous avons pris l’habitude de regarder le modèle présidentiel par-delà la frontière et il est donc difficile pour un Premier ministre (souvenez-vous que les mots Premier ministre ne sont même pas mentionnés dans noter Constitution) d’accepter que le Gouverneur général soit le chef de l’État canadien et soit traité comme tel quand il se trouve à l’étranger. […] J’ai l’impression que, dans l’esprit de plusieurs Premiers ministres, il y a le sentiment que le Gouverneur général est une nécessité constitutionnelle, certes, mais qui ne mérite guère d’être traité comme les chefs d’État européens ou les président latino-américains.

C’est entendu, le GG fait de l’ombre au Premier ministre. C’est ainsi que cette fonction, reliquat de l’Empire, est conçue. Le seul remède est l’abolition du poste.

Problème personnel

Mais au problème systémique s’additionne en l’espèce un problème de personnalité. Brian Mulroney, être charmeur et expansif, ne s’offusquait nullement de la présence de sa GG Jeanne Sauvé. Au contraire, il avait insisté pour que le président Mitterrand lui fasse un accueil de chef d’État à Paris, avec drapeaux sur les Champs Élysées et tout le fla fla. Et personne ne pouvait faire de réelle concurrence à Pierre Trudeau — surtout pas les discrets Michener, Léger, Schreyer.

Mais voilà, Stephen Harper a le charisme d’une planche à repasser. Mettez à ses côtés une des plus belles femmes du pays, qui n’a pas la langue dans sa poche, qui sait rire, pleurer, danser, et qui a plutôt le cœur à gauche, et vous avez les ingrédients, non de l’ombre portée sur le pauvre Harper, mais d’une éclipse totale.

C’est donc officiel. Michaëlle Jean ne sera plus GG en septembre. Et à Ottawa, la chasse est ouverte : il faut trouver quelqu’un qui soit plus fade encore que le premier ministre. Ce sera difficile. Mais j’ai confiance. Je suis certain que, quelque part au Canada, on trouvera cette perle — pardon, cette pierre mate — rare.

Ce contenu a été publié dans Canada, Stephen Harper par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !