Quelle joie de recevoir du courrier de son député. Enfin, un élu s’occupe de nous. Habituellement, c’est pour nous renseigner sur ses activités locales. Mais qu’en est-il du salut de notre âme ? La députée fédérale d’Outremont, Rachel Bendayan, s’en préoccupe. Pour le dernier ramadan, elle a fait fabriquer un calendrier que vous pouvez opportunément fixer sur votre frigo, car il est doté d’un aimant à cet effet. C’est pratique, il vous donne le moment du début du jeûne (le Sehri), de sa fin (l’Iftar), ainsi que la prière du midi. Comme cela change tous les jours, il faut être précis. Puisqu’il est interdit d’afficher une image du prophète, celle de la députée est bien en vue. Notons : pour cet envoi à ses électeurs musulmans, la députée juive sépharade n’a pas cru bon de recouvrir sur sa photo son ample chevelure. C’est un choix qui l’honore, mais qui réduira considérablement l’utilisation de son calendrier sur les frigos des mosquées.
Au Québec, il est interdit aux députés d’utiliser les listes électorales pour des envois, généraux ou ciblés, pendant leur mandat. Au fédéral, la pratique est permise. Mais comment savoir à qui envoyer, parmi cette longue liste de noms, un objet religieux ?
Un bénéficiaire non musulman du calendrier de la députée m’a contacté pour se plaindre d’avoir été ainsi inclus contre son gré parmi les ouailles de Mahomet. « Je suis profondément troublé par le fait que le gouvernement m’ait ciblé par rapport à mes origines et je me pose des questions sur l’étendue du profilage racial pratiqué au fédéral, m’écrit-il, réclamant l’anonymat. Notre État devrait être laïc, du moins c’est ce que nous avons appris en tant que Québécois. Je pense que ce genre de pratique nuit à l’intégration des immigrants (je peux le dire, je suis techniquement un immigrant), contribue aux divisions dans la société et doit cesser. »

Un autre a signalé son recrutement non sollicité au journal Le Soleil. Le bureau de la députée a expliqué au quotidien de Québec que des envois semblables sont faits pour la Pâque juive et les Pâques chrétiennes, entre autres. Mais sur la base de quelle information ?
De toute évidence, l’équipe de Mme Bendayan a dû présumer que tous les électeurs dont le nom est à consonance arabe feraient l’affaire. Mais alors, comment trouver les récents convertis, anglophones ou francophones, qui s’appellent Smith ou Tremblay ? Peut-on demander à être soustraits de ces listes ? D’exercer, pour ainsi dire, une apostasie postale ? C’est déjà pénible d’expliquer à sa famille dévote qu’on a quitté le sérail, faut-il en plus se justifier auprès de sa députée ?
J’ai tenté de le savoir auprès du bureau de Mme Bendayan. Comment les listes sont-elles constituées, puisque la plupart des Québécois nés catholiques ne sont plus pratiquants, ou alors à des degrés très variables ? Et que leur envoie-t-on pour Pâques ? Un crucifix aimanté ? Combien de fêtes sont ainsi couvertes ? Et pour les athées, on a prévu quoi exactement ? J’attends toujours des réponses mais je suis indulgent, puisqu’il y a eu les congés de Pâques et, en plus, on est en campagne électorale. Je vous tiens au courant.
Le mélange entre religion et politique procure d’infinies complications et variations. Rares sont-elles plus amusantes que dans le cas de la Québécoise d’origine iranienne Mandana Javan.
Devenue militante laïque, elle a choisi la semaine dernière de tester les répercussions du niqab, ce voile intégral couvrant le visage à l’exception des yeux, lors du passage du leader de la gauche française Jean-Luc Mélenchon à Montréal. « C’est mon esprit de physicienne expérimentale qui bouillonnait, a-t-elle écrit sur son profil Facebook. Une hypothèse me travaillait depuis longtemps : dans quelle mesure les militants de la gauche radicale québécoise [accordent-ils] IMPLICITEMENT une forme d’autorité sociopolitique à ceux et celles qui portent [le] hidjab [ou le] niqab ? »
L’événement organisé par Québec solidaire était un grand succès. À l’arrivée de Javan, une file de 400 personnes attendaient, dans le froid et sous le vent, à l’extérieur du cégep du Vieux Montréal, dont la salle est déjà pleine.
« Une idée me vient : je me mets à marcher vers le début de la file. Je ne fais pas semblant de chercher ma place ou de me faufiler discrètement. Non. J’assume pleinement mon geste. J’avance, droite, calme, voilée de noir. Je longe toute la file, regardant les visages. Puis, arrivée tout à l’avant, sans hésiter, je me place devant tout le monde. D’un pas franc. Délibérément. Presque avec une provocation douce, mais assumée. Je voulais observer. Allaient-ils réagir ? Allaient-ils oser dire quelque chose ? Me rappeler [à] l’ordre ? M’interpeller ? Mais non. Absolument rien. Pas un mot. Pas une remarque. Pas même un regard appuyé. Le silence et des sourires. »
Une fois à l’intérieur, aucune place n’est disponible. Quelqu’un lui trouve une chaise. Comment expliquer ce passe-droit ? Prudence ? Peur d’être accusé d’islamophobie ? Le constat, pour elle, est limpide : « Le niqab que je portais, cette simple pièce de tissu, m’offrait un bouclier social. Une immunité implicite. Une grande autorité, un grand privilège, carrément délicieux ! Ça serait fou de s’en passer, non ?! Mais j’aurais été curieuse, vraiment curieuse, de voir ce qui se serait passé si j’avais été en jeans et en t-shirt. »
Ce test est intéressant, et il est devenu viral ces derniers jours. Mais il ne serait scientifique que si on avait testé d’autres accoutrements religieux. Supposons maintenant qu’un curé en soutane, ou une sœur portant sa coiffe, ou un homme arborant une kippa, ou encore un moine bouddhiste tout d’orange vêtu avaient tenté de se mettredevant la file ? Je vous laisse en discuter entre vous.
(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)