Quatre ans de Legault: Côté obscur

Gouverner est un art difficile. Les problèmes sont complexes, les acteurs nombreux, les arbitrages difficiles. L’erreur rôde à chaque tournant. L’indulgence s’impose lorsque les ratages sont mineurs. Mais il y a des cas où des décisions structurelles sont nécessaires, promises, puis abandonnées. On entre alors dans le domaine de l’inexcusable. Voici quelques cas.

Aplaventriste à l’égard des médecins Face au caractère scandaleux de la hausse des revenus des spécialistes sous le gouvernement libéral, tous avaient compris qu’un gouvernement de la CAQ allait soustraire un milliard de dollars par an à leur rémunération. Le regretté Claude Castonguay insistait aussi pour qu’on retire aux syndicats médicaux la gestion de leur propre enveloppe de revenus, une situation indéfendable. Le fait que les médecins, profitant d’un monopole d’État, puissent au surplus s’incorporer pour payer moins d’impôts fut dénoncé de toutes parts. François Legault a cependant cédé. Au point que, au moment de la reddition, la présidente du syndicat des spécialistes d’alors s’est écriée : « c’est le plus beau jour de mon mandat ». Ça ne s’invente pas. L’essentiel ici est que le premier ministre a gaspillé le plus grand rapport de force jamais constitué au Québec pour recadrer le salaire des médecins. Grâce à lui, ils s’en sont tirés indemnes.

Employé de l’année, pendant quatre ans, d’Air Canada M. Legault s’était fait connaître par sa participation à la création d’Air Transat, dont l’existence a cassé le monopole d’Air Canada pour les destinations du Sud et de l’Europe. Avant la pandémie, la décision des actionnaires d’Air Transat d’empocher des millions en se vendant à Air Canada aurait dû le faire sortir de ses gonds. La transaction allait réduire la concurrence et augmenter les coûts. Au lieu de s’y opposer, il l’a au contraire encensée. Heureusement que les Québécois ont pu compter sur l’Europe pour refuser cet achat. Sur les vols intérieurs, Air Canada impose un surcoût de 30 % par rapport aux prix de ses liaisons similaires en Ontario. Plutôt que d’agir pour casser son quasi-monopole, la CAQ a imaginé un absurde programme de subvention (les billets à 500 $) qui conforte les surprofits et la position dominante d’Air Canada.

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Timoré face à l’ALENA et aux GAFAM Le premier ministre se présente comme un nationaliste économique. Il semble pourtant inconscient du rapport de force qu’il peut et doit exercer au nom du Québec. Lorsque le nouvel ALENA a été négocié avec les États-Unis et le Mexique, le secteur de l’acier a été privilégié, mais pas celui de l’aluminium. On comprend que François Legault se sente minuscule face au président américain. Mais il ne l’est pas face à Justin Trudeau. Refusant de mener bataille, il s’est dépêché d’appuyer l’ALENA malgré son iniquité envers l’aluminium québécois et sans même réclamer une compensation fédérale, comme pour le lait. Le Bloc québécois a montré davantage de colonne en arrachant à Ottawa un engagement écrit de réclamer le même traitement que pour l’acier si la situation de l’aluminium se dégradait. Le premier ministre québécois a montré la même faiblesse en n’appuyant pas l’imposition de 3 % des profits des GAFAM au moment des négociations de l’OCDE à ce sujet. Avec cette attitude, jamais le Québec n’aurait ouvert la marche en taxant Netflix.

Vire-capot sur la réforme du scrutin Il avait promis, signé, réitéré son engagement dans un débat des chefs, puis a jeté la réforme aux poubelles de l’histoire, à temps pour que son parti fasse, à l’élection d’octobre prochain, la démonstration que le système est inéquitable, lui donnant un nombre complètement disproportionné de sièges.

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Épris de nominations partisanes Dans l’opposition, la CAQ était féroce, en particulier lorsque les libéraux nommaient à un poste clé de la fonction publique une figure qui ne s’était distinguée que pour son rôle au PLQ, comme l’organisateur Pietro Perrino, promu secrétaire général associé. M. Legault a littéralement fait un copier-coller de ce qu’il dénonçait en désignant comme secrétaire général associé Stéphane Le Bouyonnec, ancien président de la CAQ.

Innovant dans les excuses éthiques Dans l’opposition, François Legault et son député Éric Caire étaient intraitables face à tout soupçon de manque d’éthique des ministres libéraux. Mais lorsque la commissaire à l’éthique a démontré que le ministre Pierre Fitzgibbon était en infraction, nous avons assisté à une conférence de presse surréaliste. M. Legault a admis l’infraction, mais a plaidé que c’était la faute du code qui, lui, n’était pas adéquat. Son ministre avait donc raison d’être hors-la-loi. Jamais les libéraux n’avaient pensé utiliser cet argument.

Entêté sur les maternelles 4 ans Les électeurs apprécient la capacité de la CAQ à reconnaître certaines erreurs et à corriger le tir. Elle a fait le contraire dans la gestion des maternelles 4 ans pour tous. Rien ne permet de démontrer que la maternelle est supérieure aux CPE pour l’éveil des enfants de 4 ans. Or, les coûts estimés de construction et de fonctionnement du programme s’élèvent maintenant à 653 % et 361 % de l’estimation initiale, et 70 % des enfants inscrits étaient déjà dans un service de garde. C’est un coûteux échec détournant des sommes colossales dont les écoles — et les garderies — avaient bien besoin. On peut dire la même chose des maisons des aînés (dont la facture par place s’élève à 208 % du montant prévu) et du troisième lien, pour lequel aucune étude justifiant la construction n’existe.

Déserteur sur Octobre L’histoire a voulu que François Legault ait été premier ministre au moment du 50e anniversaire des événements d’octobre 1970. Plusieurs des 500 Québécois détenus injustement à l’époque sont toujours parmi nous. À Ottawa, Justin Trudeau avait signalé qu’il envisagerait des excuses publiques si Québec et Montréal prenaient aussi leur responsabilité, réelle, dans les emprisonnements. François Legault a refusé de se montrer à la hauteur et d’engager un dialogue qui aurait conduit à des excuses des trois gouvernements et à un dédommagement pour les quatre cinquièmes des détenus d’Octobre qui n’en ont jamais obtenu. Décevant. Très.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)


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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !

1 avis sur « Quatre ans de Legault: Côté obscur »

  1. « Avant la pandémie, la décision des actionnaires d’Air Transat d’empocher des millions en se vendant à Air Canada aurait dû le faire sortir de ses gonds ».
    Bien sûr que non. Il a fait la même chose en 1997 quand il a vendu ses parts dans Air Transat sans en informer ses co-partenaires. Le résultat? La valeur de l’action d’Air Transat a baissé de 13$ à 4$ du jour au lendemain. C’est ce qu’on appelle « se pousser avec la caisse ». Édifiant!

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