Québec: la meilleure droite du continent!

tobinVous le savez, je commets chaque vendredi un billet vantant tel ou tel aspect d’un modèle québécois qui, j’en conviens, pourrait être amélioré à 150%. J’aligne d’habitude chiffres et graphiques. J’ai un jour démontré que le patronat québécois truandait moins ses salariés que ceux des USA.

Aujourd’hui, je me permets une audace plus grande encore, du moins pour mes lecteurs de gauche. Je vais affirmer que le Québec possède la meilleure droite sur le continent.

Demain, à Québec, se rencontrent un demi-millier de libertariens, d’adéquistes, de conservateurs et de péquistes de droite sous la bannière du nouveau Réseau Liberté-Québec.

Comme je le fais avec tous ceux qui veulent participer au débat public, je leur souhaite bienvenue et (pas trop quand même) succès.

Mais je tiens à souligner à grands traits le caractère, disons, distinct de la droite québécoise. Les porte-paroles de ce mouvement, notamment Éric Duhaime et Joanne Marcotte, admettent la parenté idéologique qui les lie aux autres libertariens (le moins d’État possible) et à la droite économique nord-américaine.

Cependant ils récusent avec force tout lien avec les théo-conservateurs, cette droite morale, ancrée dans le mouvement religieux évangélique, qui progresse de façon préoccupante et dans le Parti Républicain américain et dans le Parti Conservateur canadien. (Ce qui ne les empêche pas de dénoncer « l’endoctrinement » des enfants québécois par le cours Éthique et Culture Religieuse, une position cependant partagée par bien des laïcs.)

Maxime Bernier: non à la chasteté !

Nos droitistes québécois rejettent la volonté de cette droite morale de dicter aux citoyens leur comportement personnel:  condamnation de l’homosexualité, réprobation du divorce,  condamnation, parfois, de la masturbation, exigence de la foi — et pas n’importe laquelle –, opposition à l’avortement, fermeture sur le monde.

Notre droite québécoise ne mange pas à cette auge-là. Les libertariens de Liberté-Québec lui disent non, par principe. Ils exigent pour chacun la plus grande liberté de choix, économique, sociale et morale, possible. (Ce qui pousse à plusieurs négations de nécessités collectives. Je mentionne par exemple que mon ami Éric Duhaime est pour le libre choix de tous à l’école anglaise ou française publique au Québec. Au diable l’avenir de la nation!)

Le député conservateur le plus audible au Québec, Maxime Bernier, est également très éloigné de ses collègues conservateurs albertains. S’il est, comme on l’est à droite, climato-sceptique, il ne croit pas que les dinosaures et les humains ont vécu ensemble il y a 6 000 ans, comme c’est le cas de deux ministres de son gouvernement. Ils ne prie pas, non plus, pour l’imminence d’une guerre au Moyen-Orient contre l’antéchirst et ne pense pas être sauvé parmi les justes qui seront télétransportés au ciel au moment du grand combat. (Julie Couillard n’y sera pas non plus, alors à quoi bon ?)

Les économistes, pour plusieurs libertariens, de l’Institut économique de Montréal sont également réfractaires au théo-conservatisme et n’ont pas une haute opinion de Sarah Palin. (À preuve, ils n’accusent pas Obama d’être musulman, seulement d’être socialiste !)

Il existe, au Québec, une frange religieuse anti-avortement qui s’apparente aux théo-cons anglo-américains. Ils sont actifs sur ce terrain, comme sur celui des écoles religieuses. Leur porte-parole était Mgr Ouellet, qui les a maintenant quittés pour des cieux plus cléments. Surtout lorsque 94% des Québécois ont indiqué, dans un sondage ce printemps, qu’il ne partageait pas ses vues sur le caractère criminel de l’avortement. C’est beaucoup, dans une société naguère catholique, un tel niveau de rejet. Le terreau québécois n’est donc pas fertile pour la progression de ces thèses morales restrictives.

Un patronat parlable

J’ajouterais, plus généralement, que le patronat québécois est le plus « parlable » sur le continent. Lorsque le PQ est au pouvoir, le patronat est entraîné dans un processus de conciliation avec les autres forces sociales et économiques de la nation, ce qui l’oblige à un plus grand réalisme, et à une plus grande acceptation, du pluralisme et des exigences sociales.

De même, la proximité obligée de personnalités de droite et de gauche au sein du PLQ et du PQ, pour cause de question nationale, a pour conséquence de limer les aspects les plus tranchants — et contreproductifs– des différences idéologiques et de concentrer les esprits sur le pragmatisme. Les tables patronales-syndicales à la CSST, dans les grappes, aux organes de formation professionnelle, la présence de tous les acteurs au sein des Centres locaux de développement sont aussi autant de lieux davantage propices à la concertation pragmatique qu’à l’affrontement idéologique.

Le Réseau Liberté-Québec exècre évidemment tous ces lieux de dilution des idéaux de droite et espère raviver les différences idéologiques et mener le combat contre l’État à bride abattue.

Pour gagner: faire peur !

Leur rencontre de la fin de semaine sera un succès d’audience, c’est entendu. Ils ont l’avantage d’avoir l’appui de l’empire Quebecor (PKP n’est pas loin de leurs thèses) et sont entendus et écoutés dans les radios de Québec et à l’émission de Mario Dumont, entre autres.

Mais j’ai l’impression que les Québécois en général sont peu tolérants de ces discours jusqu’au-boutistes de droite, comme ils l’ont été des groupes d’extrême gauche des années 1970 qui sont, à plusieurs égards, les grands-pères idéologiques des libertariens actuels.

Pour mobiliser l’électorat autour de leurs thèses, il faut faire peur. Et avant de voir la vidéo où ils annoncent l’apocalypse économique pour le Québec de gauche (ils reprennent le « Québec à feu et à sang » de l’économiste Pierre Fortin, la phrase la plus oubliable de son considérable apport aux débats québécois), gardez en tête que: au cours de la décennie écoulée,

*le PIB par habitant du Québec a connu la seconde plus importante progression des pays du G7,
*la charge fiscale des familles est plus faible au Québec que dans le G7 et aux USA;
*le Québec est l’endroit en Occident qui a le mieux résisté à la crise en cours,
*la dette québécoise est préoccupante mais le déficit un des plus faibles, par rapport au PIB, en Occident, et que
*le taux de pauvreté québécois est le plus faible en Amérique.

Maintenant, écoutez et ayez peur:

Et maintenant, écoutez cette parodie qui fait un copie-coller de la pub, 2010, de Liberté-Québec et de discours, circa 1965, du Parti créditiste, aujourd’hui disparu.

Note en petits caractères :
Les billets du vendredi « Temps durs pour les détracteurs du modèle québécois » ne prétendent pas que tout est parfait au Québec, loin s’en faut. L’auteur a d’ailleurs proposé, dans ses ouvrages et sur ce blogue, des réformes nombreuses et importantes visant à surmonter plusieurs des importants défis auxquels le Québec est confronté. Cependant, la série permet de percer quelques trous dans le discours ambiant qui tend à noircir la situation globale du Québec qui, pourtant, affiche d’assez bons résultats comparativement aux autres sociétés semblables.