« Remède imaginaire »: le débat

Dubreuil-Marois_remede.inddC’est LE livre de la rentrée 2011. « Le remède imaginaire » de Benoît Dubreuil et Guillaume Marois lézarde les fondations de la politique d’immigration du Québec. (Lire mon résumé ici.)

Depuis quelques jours, c’était prévisible et prévu, l’argument selon lequel l’immigration massive ne réglera ni les problèmes québécois de vieillissement ni de pénurie de main d’oeuvre ni de création de richesse vaut aux auteurs des accusations d’intolérance et de « ceinture fléchée ».

D’autres auteurs, dans les journaux et dans la section commentaires de ce blogue, ont avancé des contre-arguments sérieux. Toujours soucieux de contribuer au débat public, ce blogue livre ici les principales critiques avancées (avec des liens aux articles complets) et, en exclusivité, les réactions des deux auteurs.

Victor Piché, démographe, a écrit dans La Presse:

1) Selon les auteurs, ceux qui expliquent les difficultés d’intégration sur le marché de travail par la discrimination le font parce qu’ils ne connaissent pas les causes de la non-performance économique des immigrants. C’est faire fi d’une littérature scientifique fort abondante au Canada sur la discrimination à l’égard des minorités visibles.

Réponse de Dubreuil/Marois:

Dans l’ouvrage, nous disons clairement que la discrimination existe. Nous citons l’étude récente de Phil Oreopoulos montrant que les employeurs torontois devant éplucher une pile de CV ont davantage tendance à rappeler les candidats qui portent un nom à consonance britannique que ceux dont le nom est à consonance chinoise. La question scientifique intéressante est cependant de savoir dans quelle mesure cette discrimination explique l’écart de résultats sur le marché du travail entre immigrants et natifs.

La tendance dans la littérature consiste à penser que la discrimination joue un rôle assez limité, notamment parce que les immigrants arrivés plus jeunes et ayant fait leurs études au Canada ont des résultats à peu près équivalant à ceux des natifs. Dans le cas du Québec, on peut voir, par exemple, l’étude récente de Boudarbat et Boulet (IRPP) à ce sujet.

Dans le cas du Canada, Bonikowska, Green et Riddell (2008) montrent que les immigrants tirent également (et même parfois davantage) profit de leurs compétences en littératie que les Canadiens, ce qui cadre mal avec l’hypothèse que la discrimination explique l’écart de résultat sur le marché du travail.

 

Il ne s’agit évidemment pas de nier que certains employeurs tendent à sous-estimer le capital humain des immigrants, mais de reconnaître qu’il y a d’autres employeurs qui l’évaluent de façon suffisamment objective pour que l’écart de résultats en viennent à refléter principalement des caractéristiques comme l’âge, les compétences en littératie, l’origine du diplôme et de l’expérience de travail.

2) Piché ajoute: En dernière analyse, ce qui gêne le plus dans le livre, c’est le choix des études retenues pour la démonstration.  Les auteurs citent amplement les travaux de l’économiste américain George Borjas, mais omettent de rendre compte des débats, parfois houleux, entre lui et David Card, deux économistes de renom, sur les bienfaits de l’immigration, négatifs pour l’un, positifs pour l’autre.

La présentation des travaux de Card aurait donné un autre son de cloche, celui de l’apport positif de l’immigration lié, selon lui, aux complémentarités dans les compétences.

Réplique: Pour les non-spécialistes, il peut être utile de préciser en quoi consiste le débat entre Card et Borjas: Card soutient que l’immigration aux États-Unis a peu d’impact sur les salaires des natifs (l’impact est peut-être un peu négatif, mais pas sur les travailleurs peu qualifiés, Altonji et Card 1991). Borjas, de son côté, prétend que l’impact est légèrement négatif, particulièrement sur les travailleurs peu qualifiés.

Nous ne citons pas Card, puisque ses études sur la question datent un peu, mais nous citons Ottaviano et Peri qui sont aujourd’hui les meilleures références pour ceux qui s’intéressent à la complémentarités des compétences. Selon Ottaviano et Peri, l’immigration aux États-Unis à un impact légèrement favorable sur les salaires des natifs plus qualifiés (par effet de complémentarité), neutre sur les salaires des natifs moins qualifiés et négatifs sur les salaires des immigrants.

Notons également que la méta-analyse de Longhi (que nous citons) inclut les études de Card, Borjas, Ottaviano et Peri, de même qu’une quarantaine d’autres études sur la question portant sur une dizaine de pays (parce qu’il serait ridicule de se concentrer sur la situation américaine, si particulière).

Où nous situons nous dans ce débat? Nous ne prenons pas position. Nous soutenons simplement que les études portant sur l’impact de l’immigration sur le marché du travail révèlent des effets marginaux, suffisamment marginaux du moins pour ne pas servir de justification aux politiques d’immigration. Il n’y a donc pas d’autre « son de cloche » ici. Nous sommes en parfait accord avec Borjas, Card, Ottaviano, Peri et les autres.

3) Victor Piché conclut: Un autre son de cloche également aurait pu être donné en incluant les travaux des nombreux sociologues qui ont montré le dynamisme de l’entreprise ethnique.

Réplique: Il est vrai que les immigrants ont tendance à être légèrement sur-représentés chez les entrepreneurs et les travailleurs autonomes (quelques points de pourcentage), mais nous ne voyons pas en quoi il aurait pu en ressortir un autre son de cloche. Quel est l’impact global de cette légère surreprésentation puisque les immigrants représentent une part modeste de la population?

D’ailleurs, lorsque nous parlons de la détérioration des résultats économiques immigrants au cours des dernières décennies, nous ne considérons pas seulement les « salaires et traitements », mais les « revenus » en général, ce qui inclut les revenus d’entreprise et de travail autonome. Par conséquent, on ne voit pas ce qu’une modeste sur-représentation chez les entrepreneurs et travailleurs autonomes changent à l’argument général: l’immigration n’a pas beaucoup d’impact (favorable ou défavorable) sur la prospérité globale

Yves Capuano, économiste et mathématicien, écrit également dans La Presse

Pour analyser l’impact économique de l’immigration, il faut considérer le coût de remplacement de cet immigrant par la mise au monde d’un enfant à partir de la grossesse de la mère jusqu’à l’âge de 20 à 25 ans, âges auxquels les enfants deviennent «rentables» pour la société, car ils se mettent à travailler et à payer de l’impôt. Si on tient compte de tous ces coûts sociaux, l’arrivée de l’immigrant adulte constitue en fait un vol économique à son pays d’origine.

Bien sûr que l’immigrant qui arrive ici à 30 ans engendrera des coûts d’adaptation à notre société. Mais si on les compare aux coûts totaux de «fabrication» d’un travailleur productif né ici, ils sont certainement inférieurs et marginaux! En plus d’économiser tous ces coûts, le choix d’un immigrant en santé et ne possédant pas de dossier criminel vient encore renforcer l’avantage économique de l’immigration.

Les immigrants sont généralement les gens les plus dynamiques de leur pays. Il n’est pas surprenant de voir comment ils réussissent bien après quelques années dans notre pays; leur progéniture est souvent parmi l’élite de nos écoles…

Réplique: L’idée est la suivante: si un immigrant en début de carrière arrive bien formé sur le marché du travail, son impact sur les finances publiques sera favorable. C’est tout à fait exact. Le problème est cependant que les immigrants qui ont exactement ce profil sont relativement peu nombreux.

D’abord, si la moyenne d’âge des immigrants est plus faible que celle de la population, la structure par âge de l’immigration demeure relativement étendue. Une part importante des immigrants est d’âge mineur (environ 25%) et à peu prêt la moitié a plus de 30 ans. Dans le premier cas, l’immigration imputera des coûts de formation.

Dans le second cas, les coûts de formation seront négligeables, mais la vie active (et, donc, la période de contribution) sera aussi considérablement plus courte. Un immigrant de 32 ans est encore relativement jeune, mais il entre sur le marché du travail dix ans plus tard qu’un jeune québécois (sa période de contribution sera donc environ 25% plus courte).

Par ailleurs, il faut noter que, parmi les immigrants arrivant en début de carrière (20-25 ans), seuls ceux qui ont fait des études postsecondaires au Canada (ou dans un pays où l’éducation universitaire est à peu prêt équivalente) obtiendront un bon rendement de leur formation.

On pourrait évidemment choisir d’optimiser l’intégration en emploi en limitant la sélection aux jeunes immigrants en début de carrière formés au Canada, mais cela réduirait considérablement le bassin de sélection. Avant de se prononcer sur cette option, il faudrait évidemment mener une réflexion sur l’ensemble des finalités au fondement de nos politiques.

Pour ce qui est des résultats scolaires des jeunes issus de l’immigration, les données montrent que ceux qui sont arrivés au Canada très jeunes ont des résultats scolaires équivalant à ceux des natifs, mais que ceux qui sont arrivés plus tard dans leur cheminement scolaire ont plus de difficultés.

Pierre Sormany, journaliste, écrit dans la section commentaires (ici, commentaire 51)de ce blogue:

1) S’il est vrai que les immigrants qui s’installent ici ne comblent pas la pénurie d’emplois parce que, comme tu l’écris, ils génèrent presque autant de nouveaux emplois qu’ils n’en occupent (constructeurs, bouchers, électriciens, services de garde, comme tu mentionnes), alors il faut reconnaître qu’ils génèrent une importante activité économique (49 emplois créés par chaque groupe de 50 immigrants, disent les auteurs).

Comment peuvent-ils alors arriver à la conclusion que l’immigration ne contribue pas à la relance économique, à l’augmentation de la richesse ?

Ils semblent avoir écarté ce “bénéfice” en considérant les revenus “moyens” des immigrants, qui seraient moindres que ceux des natifs. Peut-être ! Mais les revenus moyens ne sont pas pertinents dans ce cas. Se peut-il par exemple que l’apport de 50 000 nouveaux Québécois, même de revenus modestes, contribue à accroître les revenus des 5 millions de travailleurs de la société d’accueil ?

Si on prenait en considération les revenus moyens des nouveaux arrivants, on conclurait que de faire des enfants (dont le revenu moyen sera nul, pendant 15 à 20 ans au moins) est une source d’appauvrissement… ce que contredisent toutes les études.

En fait, toute économie progresse en fonction de deux variables : la croissance du bassin de consommateurs, et les hausses de productivité. L’arrivée d’immigrants (déjà formés, déjà adultes) contribue à améliorer les 2 variables.

Réplique: Évidemment, l’immigration contribue à accroître la taille de l’économie, puisque elle augmente à la fois l’offre et la demande sur le marché du travail. Notre argument ne concerne évidemment que la « prospérité relative » et la santé des finances publiques. Ici, l’impact de l’immigration ne peut être que très faible (légèrement favorable ou légèrement défavorable), parce que le profil et les comportements des immigrants ne sont pas suffisamment éloignés de ceux des natifs pour faire une grande différence.

Pour ce qui est de l’impact de l’immigration sur la productivité, les données sont plutôt contrastées. Si on considère le PIB par heure travaillée, les revenus plus faibles des immigrants laisse penser qu’elle est plutôt négative (après tout, les revenus personnels représentent la part du lion dans le PIB). Cela dit, il n’est pas impossible que certains effets bénéfiques découlent de la « complémentarité » des compétences des immigrants et des natifs.

2) Pierre Sormany poursuit: Enfin, au sujet des emplois occupés par les immigrants, on ne dit rien du fait que ces derniers occupent souvent, dans tous les pays d’accueil, des emplois que les “natifs” ne veulent plus occuper. Même si le bilan total des emplois occupés et créés est égal (ce qui invalide du reste la thèse des immigrants comme “voleurs de jobs”), il n’en reste pas moins qu’ils peuvent représenter un apport nécessaire dans beaucoup de secteurs.

Réplique: C’est un argument que l’on entend souvent, en effet. Nous y consacrons un chapitre entier (le chapitre 9). À la base, nous sommes plutôt d’avis que, dans une économie de marché, l’offre et la demande doivent fixer les prix (dans ce cas, les salaires). Donc, il ne va pas de soi qu’il existe une telle chose que « des emplois que les natifs ne veulent plus occuper ».

Si un employeur est incapable de trouver des gens prêts à travailler à 10$/heure pour vendre des escalopes au Super C le mardi soir à 23h30, il n’a qu’à payer plus cher. À 20$/heure, il trouvera sans doute quelqu’un. S’il en est incapable, cela veut tout simplement dire qu’il doit innover et chercher à développer de nouveaux modèles d’affaire.

 

Évidemment, dans certains domaines, il y a de véritables obstacles qui font en sorte que les salaires demeurent démesurément élevés de façon structurelle. On peut penser à certains domaines professionnels comme la médecine. Dans ce cas, cependant, ce n’est pas parce que les natifs ne veulent plus occuper ces emplois (les facultés n’acceptent qu’un étudiant sur dix), mais parce que, pour le meilleur et le pire, l’histoire nous a légué un véritable système de « gestion de l’offre » qui empêche les salaires de diminuer.

Mais, en pratique, les « emplois dont on ne veut pas » désignent souvent des emplois peu qualifiés dans le secteur des services. Personnellement, nous n’avons aucun problème à ce que les salaires augmentent dans ces secteurs.

Finalement (du moins pour l’instant) l’internaute Rachad Lawani consacre une longue critique au livre (à lire ici, commentaire 59)

1) M. Lawani critique en particulier la simulation effectuée par Le Remède imaginaire pour démontrer que l’immigration n’a qu’un impact marginal sur la structure des âges.

« L’idée, écrit-il, est d’isoler les immigrants accueillis entre 1971 et 2006 et comparer la structure des âges ainsi obtenue avec celle actuelle qui inclut les immigrants. C’est évident que le million d’immigrants arrivé sur 35 ans ne transformera pas significativement la structure des âges, surtout si leurs enfants et petits enfants nés au Québec ne sont pas considérés comme immigrants.

Imaginez un couple marocain venu au Québec et qui a fait 4 enfants au Québec. Dans cette simulation, le couple est isolé comme immigrant mais leurs 4 enfants nés ici sont comptés comme Québécois. Même chose pour mes voisins vietnamiens qui sont arrivés au Québec il y a plus de 20 ans avec 3 enfants mineurs, les enfants sont aujourd’hui des parents de 3 à 4 enfants pour un total de 10.

Les 10 enfants sont considérés aussi comme des natifs. C’est tout à fait illusoire d’évaluer l’impact de l’immigration sur la démographie en s’arrêtant seulement à la première génération. »

Réplique: Ce n’est pas de cette manière que la simulation a été effectuée. Contrairement à ce que vous pensez, il ne s’agit pas d’une simple soustraction des immigrants à la population totale. Les nouvelles naissances de la simulation sont calculées à partir de taux annuels de fécondité par âge. En l’absence d’immigration, la population féminine à laquelle s’appliquent ces taux est plus petite.

Vous prétendez également que nous sous-estimons la contribution réelle des immigrants au nombre de naissances. Nous devons avouer ne pas bien comprendre la nature de ce reproche. Telle que mentionnée précédemment, la simulation repose sur des taux de fécondité et non sur un nombre brut de naissances. Supposer que l’immigration n’a pas un impact important sur les taux de fécondité est une hypothèse raisonnable. C’est d’ailleurs celle utilisée dans les projections officielles de l’ISQ.

La littérature sur la question montre clairement que s’il est vrai que les immigrants font un peu plus d’enfants que les non-immigrants, peu importe leur contribution au nombre total des naissances, l’impact global sur les taux de fécondité est somme toute très faible. Nous mentionnons à cet égard une étude de Statistique Canada (2e partie de ce document (pdf)) révélant également que les filles d’immigrants font moins d’enfants que les femmes de 3e génération ou plus.

2) M. Mawani ajoute:

« Par ailleurs la faible différence entre les rapports de dépendance dans la simulation peut s’expliquer par la période de simulation qui n’est pas suffisamment longue pour révéler un impact significatif. Sur 35 ans, les immigrants ont juste le temps de vieillir et de passer du côté des 65 ans et plus (inactifs) alors que la majorité de leurs enfants sont probablement encore mineurs (inactifs). D’ailleurs rien ne prouve que la légère différence (0,43 vs 0,45) apparue en 2006 à la fin de la simulation ne puisse s’accentuer dans le futur.

Prétendre qu’une simulation sur 35 ans n’est pas suffisamment longue a quelque chose d’un peu saugrenu. C’est près de la moitié d’une vie! Entre 1971 et 2006, il est rentré plus d’un million d’immigrants au Québec! C’est largement suffisamment pour en mesurer l’impact. Les immigrants arrivés en 1971 sont d’ailleurs, pour la plupart retraités aujourd’hui. Par ailleurs, vous aurez remarqué que nous citons également les projections du MICC qui portent sur le futur et montrent également que l’effet sur le rapport de dépendance est plutôt faible.

3) et puisque M. Mawani signe: Un immigrant de pays en développement dont les auteurs semblent mépriser le système éducatif, les auteurs ajoutent:

Pour ce qui est de l’écart de performance entre les systèmes éducatifs, je ne crois pas que nous portions un jugement de valeur ou que nous ayons soulevé une thèse particulièrement nouvelle en soulignant que les principaux pays sources de l’immigration au Québec font face à des défis considérables en matière de performance. Les spécialistes de l’économie du développement (et les dirigeants de ces pays) l’avaient remarqué avant nous.

Au sujet de la qualité de l’enseignement à l’étranger, je m’en voudrais de ne pas reprendre cette information reprise par l’internaute Honorable (ici, commentaire 60)

Les immigrants et les points alloués pour la scolarité.

1) Le ministère de l’immigration devrait faire une distinction entre les diplômes provenant des 100 meilleurs universités au monde, des 500 meilleures universités au monde, et des autres (1). Par exemple: une maitrise d’une université marocaine = un Bacc. d’une des 500 meilleurs universités au monde et un diplôme secondaire d’un immigrant provenant d’un pays qui possède une des 100 meilleures universités au monde.

2) Le ministère devrait distinguer entre un premier de classe et un dernier de classe. Il devrait distinguer aussi entre un premier de classe et un moyen de classe!

Il y aura un peu d’arbitraire dans ces distinctions mais au total beaucoup plus de justice dans les points alloués pour la scolarité.

(1) Parmi les 100 meilleures universités au monde, 4 sont canadiennes et aucune n’est du Tiers-Monde.

Parmi les 500 meilleures universités au monde, il y en a 477 qui proviennent des pays développés (dont 23 qui sont canadiennes) et 23 qui proviennent du Tiers-Monde:
– 12 en Chine
– 4 au Brésil
– 2 en Inde
– 1 au Mexique
– 1 en Egypte
– 1 en Turquie.