Rien d’inédit dans la citoyenneté interne. Les exemples scandinave, français, suisse et… canadien !

23 octobre 2007, Le Devoir – La Presse – Le Soleil

Pauline Marois a surpris, la semaine dernière, en proposant la création d’une citoyenneté québécoise interne, ajoutée à la citoyenneté canadienne, et qui conférerait des devoirs et des droits particuliers. Ceux qui n’obtiendraient pas cette citoyenneté — c’est la nature de la proposition — n’auraient pas ces droits.

Pour étonnante qu’elle soit, cette proposition n’est pas inédite en Occident. On trouve, en fait, des citoyennetés internes plus contraignantes que la proposition de Mme Marois en Finlande, en France, en Suisse et (roulement de tambour…) au Canada.

Finlande : Les 27 000 habitants de l’archipel d’Aland, en Finlande, parlent le Suédois. La Finlande accorde à cette province, à l’identité et à l’histoire singulière, une citoyenneté interne. Pour l’obtenir, les habitants doivent avoir la citoyenneté finlandaise, avoir résidé pendant cinq ans à Aland et démontrer leur connaissance du suédois. Seuls ces citoyens peuvent se présenter ou voter aux élections locales et provinciales.

France : La France a reconnu en 1998 aux 230 000 habitants de Nouvelle-Calédonie une identité et une citoyenneté spécifique, cumulée à la citoyenneté française. Cette citoyenneté interne distingue entre la totalité des citoyens français — qui peuvent voter aux élections nationales (présidentielles, législatives) — et les citoyens résidants en Nouvelle-Calédonie depuis plus de 20 ans, qui sont les seuls électeurs pour les élections locales et pour les consultations qui définissent le statut politique de la Nouvelle-Calédonie.

D’autres États souverains ont créé des citoyennetés internes sur la totalité de leur territoire. C’est le cas de la Suisse (on est citoyen d’abord de la municipalité, puis du canton, puis du pays) et des États-unis. En effet, les Américains sont citoyens de leur état et du pays. Il n’y a cependant pas, dans ces cas, de différence de droit. Intéressant de noter tout de même que le concept de citoyenneté interne n’est pas anathème. Puerto Rico, également, émet depuis cette année des certificats de citoyenneté interne, de portée purement symbolique.

Chacun de ces cas est ancré dans une histoire, un contexte, une démographie et une géographie particulière. Mais chacun nous indique que des États de droit et de grande tradition démocratique n’ont pas hésité à créer une seconde citoyenneté, interne, pour respecter l’identité d’une minorité.

Et au Canada ?

Le cas le plus intéressant, et le plus lourd de sens pour le Québec, est celui du Canada. En 1999, le gouvernement libéral de Jean Chrétien a signé avec la nation Nisga’a, de Colombie Britannique, un accord prévoyant la création d’une citoyenneté Nisga’a, cumulée à la citoyenneté canadienne. Aux termes de l’accord, seuls les citoyens Nisga’a ont la certitude d’avoir droit de vote et droit de se présenter lors de l’élection des membres du gouvernement Nisga’a. Ce gourvernement, s’il le désire, peut accorder le droit de vote aux citoyens canadiens résidents de son territoire qui ne sont pas Nisga’a, mais il peut décider aussi de se contenter de les consulter. Les Nisga’a ne sont que 6000, mais leur gouvernement gère un espace de 2000 kilomètres carrés. La constitutionnalité de l’existence de ces deux niveaux de citoyenneté est actuellement contestée en cour, mais les gouvernements fédéral et de la Colombie-Britannique défendent sa constitutionnalité.

La proposition du Parti québécois est évidemment bien plus acceptable que celle défendue par le gouvernement fédéral en ce qui concerne les Nisga’a, car la citoyenneté québécoise s’acquerrait comme toute autre citoyenneté nationale et est ouverte à l’immigration de toute origine. La citoyenneté Nisga’a, elle, est liée au sang.

Ce précédent fédéral canadien n’est pas la seule porte d’entrée juridique d’une citoyenneté interne québécoise qui restreindrait à ses seuls détenteurs le droit à l’éligibilité, mais également, comme je le propose depuis 2000, le droit de vote. Il est vrai que la Charte fédérale des droits prévoit que tous les citoyens canadiens doivent être éligibles et avoir droit de vote aux élections législatives canadiennes et provinciales (Notons au passage que cela ne couvre pas les élections scolaires, municipales ou les référendums). Mais une disposition restreignant aux seuls citoyens québécois les élections législatives québécoises, pour des raisons identitaires et de défense de la prédominance du français, pourrait être jugée constitutionnelle en vertu de l’article premier de la Charte, qui prévoit des « limites raisonnables » aux droits, dont à celui sur l’éligibilité et au droit de vote. L’exemple Nisga’a serait dans la balance. Les citoyens canadiens résidant au Québec devraient toujours, cela va de soi, voter aux élections fédérales (les listes électorales sont déjà distinctes).

Il faut savoir aussi que la Cour suprême permet déjà aux provinces d’appliquer des conditions au droit de vote : des conditions de résidence, qui varient fortement d’une province à l’autre. L’acquisition d’une citoyenneté interne serait une condition supplémentaire. Notons aussi que l’article conférant l’égalité aux personnes ne concerne pas la citoyenneté. Car il y a en effet deux catégories de résidents au Canada : ceux qui sont citoyens et le million de personnes (immigrants reçus) qui ne le sont pas, certains pour quelques années, certains pour toute leur vie. Signalons finalement que les articles portant sur les deux langues officielles canadiennes créent des obligation au gouvernement fédéral, pas à celui du Québec.

Une restriction raisonnable ?

Cela signifie-t-il qu’une Cour suprême interrogé par, disons, Brent Tyler, confirmerait la constitutionnalité d’une citoyenneté québécoise ? Ce n’est pas certain. Mais il n’est pas certain non plus que l’inconstitutionnalité de la mesure coule de source.

Quel argument « raisonnable » le Québec pourrait-il invoquer pour convaincre la Cour que cette nouvelle citoyenneté est nécessaire pour compléter le dispositif québécois visant à protéger la prédominance du français au Québec ? L’argument est fourni par les documents de consultation sur l’immigration du gouvernement Charest, qui nous informe qu’au cours des 10 dernières années, 180 000 immigrants totalement ignorants du français se sont établis au Québec. Avec l’augmentation prévue du nombre d’immigrants, et selon les prévisions officielles, au cours des 10 prochaines années, ce seront 210 000 immigrants qui se présenteront au Québec sans connaissance du français. La nécessité de mieux soutenir l’apprentissage du français de ces centaines de milliers de futurs Québécois, couplé à l’envoi d’un signal fort, celui de l’acquisition d’une citoyenneté offrant des droits, dont le droit d’éligibilité et, selon moi, le droit de vote, est l’étape à laquelle la défense de la prédominance du français est maintenant arrivée.

La proposition de citoyenneté embrasse bien sûr d’autres impératifs. Les nouveaux citoyens feraient vœu de loyauté à des valeurs communes, démocratiques et québécoises. Elle répond aussi à la nécessité d’offrir une réponse forte aux inquiétudes identitaires qui troublent le Québec.

Mais les expériences de pays étrangers dont l’attachement aux valeurs démocratiques n’est pas en doute, l’avancée canadienne en faveur des Nisga’a, la singularité de la situation québécoise font en sorte que la proposition d’une citoyenneté québécoise, donc d’un renforcement durable de l’identité québécoise, est certes politiquement audacieuse, mais elle est socialement souhaitable et juridiquement crédible.

* L’auteur favorise la création d’une citoyenneté québécoise interne depuis 2000 et a bénévolement participé à l’élaboration de la récente proposition du Parti québécois en ce sens. Il s’exprime ici à titre personnel.

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À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !