Salvador Dalí, La Poune, Duplessis… avant la pause (intégral)

C’est fou tout ce qu’on trouve quand on cherche quelque chose et qu’on ne trouve pas ce qu’on cherche. Depuis près de trois ans, je fouille les archives et les biographies pour alimenter un projet dont je vous parlerai en fin de chronique. Chemin faisant, je tombe sur des trucs étrangers à mon propos, mais que je brûle de partager avec vous. En voici trois.

Dalí et René Lévesque. Pendant les années 1970, le très estimé journaliste et éditeur Alain Stanké rencontre Salvador Dalí. S’avisant qu’il s’adresse à un Québécois, Dalí lui dit : « Vous connaissez sûrement ce petit monsieur, qui était ministre des Ressources naturelles chez vous, au Qvééébec, un Certain Rrrénéé Levesquez ? Il est venu me voir un jour à New York pour me demander de créer une immmmmmensssse fresque pour votre grand barrage qui s’appelait, je crois, Manic ou Manix. »

Dalí raconte s’être aussitôt mis au travail sur une maquette de cette oeuvre qui devait couvrir les grandes arches de Manic 5. Elle s’appelle, disait-il, La mort du Poisson, pour signifier que l’humanité était à la fin de l’ère du Poisson et au début de l’ère du Verseau. C’eût été, pensaient Lévesque et Dalí — selon ce dernier —, « la huitième merveille du monde ».

La Presse du 23 février 1965.

Il n’existe aucune trace de ce projet dans les archives de René Lévesque ou dans celles d’Hydro-Québec. Mais ni M. Stanké ni M. Dalí n’ont divagué. Un article de La Presse de février 1965 en fait état (en une !). J’ai tenté d’avoir une photo de la maquette de la part du musée Dalí à Figueras. J’attends la réponse, je vous tiens au courant.

L’anecdote est relatée dans un charmant ouvrage de Stanké, Émerveillements (Éditions La Presse, 2021). Je ne peux me retenir de relayer deux citations que l’auteur a mises en exergue : « Le monde ne mourra jamais par manque de merveilles, mais uniquement par manque d’émerveillement » — Chesterton ; « C’est une grande preuve de médiocrité que d’admirer modérément » — Guitry.

Giscard et La Poune. Dans son jeune temps, l’alors futur président français Valéry Giscard d’Estaing était enseignant au collège Stanislas de Montréal, en 1948. Il avait rencontré les jeunes étudiants Pierre Elliott Trudeau et Gérard Pelletier. Il était allé voir (avec eux ? ce n’est pas clair) La Poune au Théâtre national. « J’étais un peu surpris, a-t-il raconté, lorsque dans ce petit théâtre j’ai vu s’avancer sur la scène votre grande comédienne La Poune et dire : “Comtesse de la Tour Fondue, faudra-t-il longtemps que je vous botte le…”  »

Giscard l’a mal pris. Pas à cause de la vulgarité, mais parce qu’il a lui-même une lointaine cousine qui se nomme comtesse de la Tour Fondue. Le père Ambroise Lafortune raconte l’anecdote dans Par les chemins d’Ambroise (Leméac, 1983). Il la tient de Giscard qui, ajoute-t-il, « avait donc cru qu’on se moquait de lui, qu’on avait tramé un complot ». La Poune avait dû voir ce nom (se prêtant à la moquerie) dans le carnet mondain et raconter la même blague chaque soir.

La jeune chanteuse et Duplessis. Vous avez lu comme moi dans l’admirable Kukum (Libre expression, 2020) comment la grand-mère de l’auteur Michel Jean avait fait le pied de grue devant les bureaux de Maurice Duplessis pour se plaindre du mauvais traitement infligé aux siens dans sa réserve. Un récit moins poignant mais cocasse met en scène une chanteuse qui, dans la jeune vingtaine, au début des années 1950, souhaitait décrocher une bourse pour s’imprégner de la culture avant-gardiste parisienne et suivre des cours d’art dramatique.

Le principal distributeur de bourses au Québec à l’époque était Maurice Duplessis — qui décidait personnellement d’absolument tout. Il se trouve que le père de la chanteuse en herbe était l’arrière-petit-cousin du grand homme. La cinéaste Pascale Ferland raconte la suite dans le tout récent Figures marquantes de notre histoire, vol. 2. Lutter (Vlb, 2024) :

« Elle se rend au Parlement à Québec et se joint à une visite guidée. Apercevant la porte entrouverte du bureau du premier ministre, elle s’extirpe du groupe et se dirige vers le lieu convoité, mais un agent lui barre le chemin. [Elle] ne se laisse pas faire. Elle se met à argumenter, évoquant ses liens de parenté avec les Le Noblet Duplessis, jusqu’à ce que le premier ministre, curieux, l’invite à entrer.

En exposant les raisons de sa visite, [elle] fait rire Maurice Duplessis, au point où celui-ci lui accorde finalement une bourse de 1000 dollars [une valeur de 11 500 $ aujourd’hui]. »

Je ne vous ai pas encore dit son nom : Pauline Julien.

Un grand projet

J’en ai plein d’autres à vous raconter, mais je les garde pour mon prochain ouvrage. Et c’est ici que je dois vous annoncer, à contrecoeur, que je prends congé de vous pendant quelques mois pour m’immerger dans la recherche et la rédaction d’un passé qui me passionne et que je veux partager avec vous : l’histoire parallèle des deux plus grands hommes politiques de notre histoire récente, René Lévesque et Pierre Elliott Trudeau. Voici comment je résumerais, à grands traits, ce qui m’attire dans ce couplage détonnant, et ce que je peux déjà vous en dire.

Ils sont nés à trois ans d’intervalle et à 700 km de distance, au lendemain du premier conflit mondial. Sans se connaître, d’abord, ils ont partagé la même soif de savoir, de voyage, de dépassement. Le même goût pour l’irrévérence, pour les pieds de nez aux puissants, aux corrompus, aux repus.

Au seuil de la Révolution tranquille, ils se sont reconnus dans un combat commun contre la corruption et la médiocrité duplessiste. Ils se sont flairés, mesurés, bousculés l’un l’autre dans des années de grande intensité où il leur fallait imaginer l’avenir, le leur et celui de leur nation. Ils se sont soutenus dans les balbutiements de leur engagement politique. Ils ont ensuite conçu et incarné chacun une trajectoire de sortie de l’impasse québécoise. Cela allait les conduire à diriger la nation qu’ils incarnaient, québécoise pour l’un, canadienne pour l’autre.

Ils allaient ainsi s’opposer dans des combats entraînant des millions de personnes et marquant à jamais l’histoire de leurs contemporains. Ils sont morts à treize ans d’intervalle et à quelques kilomètres de distance, au crépuscule d’un siècle qui porte désormais leurs signatures.

J’espère vous présenter mon premier tome (ben oui, chose, il y aura plus qu’un tome !), Lévesque / Trudeau. Leur jeunesse, notre histoire (La boîte à Lisée 2025) à mon retour en avril.

(Ce texte a été publié dans Le Devoir.)

Cette chronique a suscité chez quelques-uns de mes lecteurs des informations supplémentaires fort intéressantes.

Sur Dali et la Manic.

André Sirois, ancien journaliste et avocat auprès de l’ONU m’écrit:.

« J’ai connu Dali en 1968 à New York où j’allais régulièrement voir mon amie qui était journaliste à Life Magazine.

Elle avait, dans son entourage, certaines personnalités très, très connues avec lesquelles elle avait développé une amitié solide. Et, par la force des choses, j’ai connu plusieurs de ces personnalités qui venaient chez elle prendre un thé ou un verre le dimanche après-midi alors que je m’y trouvais aussi.  Entre autres, Dali que je trouvais intelligent, amusant et exubérant. Toujours est-il qu’il m’a dit qu’il voulait me parler et m’a proposé de venir prendre un verre avec son assistant à l’hôtel Saint-Régis où il habitait. Il me demanda si je ne voulais pas l’aider pour un projet au Québec, un projet de murale pour la Manic. Tous les deux se mirent à me décrire le projet qu’il avait déjà envisagé, en me montrant des esquisses. Personne n’a parlé de René Lévesque et de son offre, que j’ai apprise dans votre article, mais je pouvais voir qu’ils étaient solidement documentés. D’après ce que j’ai compris, Dali avait déjà un bon début de projet. Il ne s’agissait pas d’une idée en l’air comme bien d’autres dont je l’avais entendu parler. Il m’a dit clairement qu’il s’adressait à moi parce qu’il savait que j’étais journaliste (au Devoir) et que je devais avoir des contacts et certains accès. Un peu étonné et perplexe, je leur promis de tâter le terrain et de faire mon possible.

De retour à Montréal, je m’adressai à Marcel Couture, fameux directeur des communications à Hydro-Québec, que je connaissais un peu et avec lequel j’avais de bonnes relations. Couture se montra poli et réservé. Il ne me parla pas de Lévesque ou d’une quelconque autre version de ce projet. Je le relançai à quelques reprises pour tenter de le convaincre que l’affaire était vraie et semblait sérieuse. Mais il me donnait l’impression de ne pas être convaincu de mon histoire et de ne pas oser me dire que j’étais un farfelu qui lui faisait perdre son temps. Par ailleurs, je répétai quelques fois à Dali que je faisais des démarches sans beaucoup de succès. L’autre possibilité aurait été évidemment que je fasse un article pour Le Devoir, mais Ryan ne semblait pas intéressé et je ne voulais sûrement pas risquer mon emploi et ma réputation professionnelle pour une histoire qui, il faut le reconnaître, paraissait bien farfelue.  L’affaire mourut de sa belle mort.

C’est seulement, récemment, quand Alain Stanké a publié son livre que j’ai appris, avec grand plaisir, qu’il y avait au moins un autre témoin de ce projet et qu’il y avait peut-être quelque chose de plus solide que ma petite anecdote. »

Et puis: « Vous avez bien raison de vous adresser au Musée Dali, mais d’après le souvenir que j’en ai il y a plus d’un musée Dali et les archives pourraient se retrouver ailleurs, et il faudra tenir compte des nombreux vols dont les proches de Dali se sont rendus responsables. Reste donc à savoir où se trouveraient les documents concernant la Manic. Cependant, la bonne nouvelle c’est que des documents existaient: je me souviens très bien que, lors de notre première rencontre à ce sujet, l’assistant de Dali avait tout un dossier et des plans montrant le projet de Manic 5 qu’il a agités devant moi. N’étant pas ingénieur, je ne m’y suis pas vraiment intéressé, je dois dire.  Ces documents pourraient donc se trouver quelque part et, avec un peu de  chance, des esquisses de Dali pour ce projet. »

La Fondation Salvador Dali

J’ai interrogé la Fondation sur l’existence de cette maquette. J’ai reçu cette réponse:

Bonjour M. Lisée, merci de nous avoir contacté.

Nous avons recherché dans nos archives mais nous n’avons pas trouvé d’évidence documentaire de cette maquette. Désolées de ne pas pouvoir donner suite à votre demande.

Cordialement,
Imma Parada Soler
Comunicació i Protocol
FUNDACIÓ GALA-SALVADOR DALÍ

Sur La comtesse de la Tour Fondue.

Geneviève de la Tour Fondue

Plusieurs m’ont écrit pour dire qu’elle a existé, à Montréal, et qu’elle signait des articles dans La Presse et dans Le Devoir. Elle a même une page wikipedia ici.

Elle était effectivement parente, cousine, de Valery Giscard d’Estaing. Ce dernier n’en a pas longtemps voulu à La Poune, Rose Ouellet.

Voici ce que m’écrit la petite-fille de Mme Ouellet, Kathleen Verdon:

Pour nourrir vos découvertes de Giscard et La Poune voici quelques éléments :

1. Dans le livre de Philippe Laframboise, La Poune, paru en 1978, on retrouve sur les deux
premières pages qui précèdent la préface écrite par Gilles Latulippe :
Page de gauche – « À travers un message de RUFI, suivi d’un encadré avec photo de V. Giscard d’Estaing et, à côté de la photo le texte : Valéry Giscard d’Estaing Président de la République française rend publiquement hommage à notre chère et grande Poune ! »

Page de droite – André Rufiange, « Message à La Poune, Chère Mme Ouellette, (…) Ces civilités étant faites, chère Poune, je veux en arriver à ce que je voulais vous dire : Savez-vous que vous avez été l’une des vedettes préférées de l’actuel Président de la France ? Mais oui ! Et Valéry Giscard d’Estaing ne se gêne pas pour le raconter. Alors qu’il était jeune professeur au collège Stanislas, à Montréal – il y a belle lurette – Giscard passait ses soirées les plus gaies à aller vous applaudir au National. « C’était pour moi une façon très amusante de relaxer, après les cours», écrivait récemment le Président français dans une revue parisienne dont le réalisateur Louis Arpin, de Radio-Canada, possède une copie. D’ailleurs Arpin, qui a étudié à Stanislas, est lui-même un ancien élève

2. Souvenir personnel : V. Giscard d’Estaing demande des nouvelles de La Poune lors d’un voyage officiel de Robert Bourassa à Paris. Je n’ai pas retrouvé la source, mais ma mémoire est fidèle.

2.  Paris, le 14 septembre 1993.  Lettre de V. Giscard d’Estaing à M. Albert Guhur.  Extrait : (…) « Auriez-vous la gentillesse de lui transmettre l’expression de mon respectueux souvenir, et de mes vœux personnels à l’occasion de son 90ième anniversaire ?»  (…)
« PS : Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m’envoyer l’adresse du domicile de Madame Rose Ouellette, afin que je puisse lui faire parvenir quelques fleurs de France en hommage.»

1 avis sur « Salvador Dalí, La Poune, Duplessis… avant la pause (intégral) »

  1. Oui, ces temps qui ont donc changé! Trudeau-Lévesque. Quid de comparable aujourd’hui?
    FacaLisée, quid de comparable aujourd’hui, côté paisibleté d’dépôt d’écriture?

    Ainsi, allez-vous vous r’atteler (râteler?) à autre qqch sérieux, Trudeau-Lévesque. Le duo, oui, le plus fort et pertinent qu’ait-on eu au(x) pays.
    Comparé au duo le plus faible, aujourd’hui, y ayant là, concomitamment, les deux PMs les plus médiocres de l’Histoire. C’est dire.

    Mais il n’y a pas qu’eu égard à eux qu’a-ce décliné.
    Ne peut-on, en effet, ne pas s’souvenir qu’il y a quatre, cinq décennies, avait-on eu les parlements les plus studieux et disciplinés ainsi qu’haut de gamme – (allez r’voir ça e.g. au moment du début des télédiffusions Q d’ANQ).

    Entretemps, i.e. entre LA Belle époque et aujourd’hui, r’pensez e.g. également aux discussions bien étoffées et arguées qu’y avait-il avec ces Lisée à L’actualité et celles entre Facal et ses « disciples » sur son propre blogue.
    Hé! C’était tellement différent de maintenant, côté respect, que Facal laissait là son blogue des jours durant, sans y aller voir, pendant que des dizaines de posts s’y déposaient… (l’dépotoir-Toile n’était p’arrivé à c’moment…).
    Et il s’en disait, s’en débattait, des choses, in extenso, en profondeur !
    Bon, maintenant, Joseph s’est aussi déplogué virilement d’Facebook; quoiqu’ironiquement n’est-ce qu’via… Facebook que du monde puisse encore réagir à ses mots…
    Plus tôt, bcp plus tôt, avait-il lâché l’Assemblée pour partir en famille…
    D’vot’ côté, côté écrits, même chose, L’actualité n’en manquait pas non plus, hein, et point n’était besoin, à ma souvenance, de surveillance comme en cour d’école. Ah, les temps ont changé (dixit Diane une Tell en l’une de ses chansons).

    Alors, donc, voilà, c’est ça qui est ça. Ç’a « ‘évolué’ » d’même…

    Le petit Trudeau nouveau, ç’aura été AVANT d’être PM qu’il fût bon…
    ‘Souv’nez – son combat de boxe avec Brazeau? Du tonnerre!, ça, monsieur. Presqu’aussi excitant qu’au hockey les Russes contre le Canada, il y a l’d’mi-siècle.
    C’est là, avec ça, qu’s’tait-il fait un nom…
    Même année, une demi-douzaine de mois plus tard, en disais-je, en titre in Métro : « Trudeau plus rationnel qu’Obama »… Pas rien, hein?
    Avait-il en effet fait preuve d’éminemment plus de sagesse et raison, en répondant quatre ans plus tôt que, oui, advenant leur avènement en terre canadienne, « la Charte canadienne des Droits et Libertés s’appliquerait à eux [les ETs], comme elle le fait pour tous les Canadiens, sans aucune considération à l’égard de leur pays (ou planète) d’origine. »
    ÇA c’est d’l’Accueil! et d’l’Intégration, ‘trouvez pas?
    Comparativement au beau Obama qui, lui, d’une part en rigola[it] et d’autre part jura[it] qu’il n’y en a(vait) [jamais eu] nulle part d’c’t’engeance-là [même p’ailleurs dans l’univers], et qu’n’y en aurait-il eue encore moins d’aperçue en Amérique ou par Américains. Eh, dites, mais faut-ti être assez fourbe et menteur, et s’foutre d’la gueule du monde, l’considérer et l’traiter comme imbécile!

    ‘Fait que, oui, vous l’juré-je, c’p’tit Trudeau-là, avant qu’d’être PM, était un Roi.
    Un AS de sagesse, vous dis-je. Car cette même année-là, aussi, avait-il dit croire qu’on puisse « changer le monde avec un sourire ».
    https://www.lapresse.ca/actualites/quebec-canada/politique-canadienne/200811/14/01-800926-justin-trudeau-franchir-une-etape-a-la-fois.php
    Or, n’est-ce pas vrai? Bien sûr qu’l’est-ce! :-)-

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