Santé : dimanche, les États-Unis sont entrés dans le XXe siècle

Dimanche soir, le pays le plus riche et le plus puissant du monde, les États-Unis d’Amérique, est finalement entré au XXe siècle. Oui, pas au XXIe, mais au XXe. Car les E-U sont le dernier pays industrialisé à offrir à sa population une couverture universelle d’assurance-maladie.

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Obama, un nouveau Roosevelt ? Pour la santé, oui.

Tous les autres pays industrialisés — et plusieurs pays non-industrialisés — avaient assuré ce droit il y a 60, 50 ou 40 ans. Deux présidents, Richard Nixon puis Bill Clinton, ont tenté de faire entrer les USA dans ce club avant la fin du précédent millénaire, mais sans succès. Il aura fallu Barack Obama pour que ce moment historique soit enfin atteint.

Et encore. La victoire historique des démocrates ne signifie pas exactement une couverture médicale universelle.

Une réforme majeure, mais pas radicale

Aujourd’hui, 55 millions d’Américains, soit un sur six, n’ont pas de couverture médicale (et on estime que 18 000 personnes meurent chaque année du fait de cette non-couverture). Grâce à la réforme Obama, 32 millions de personnes seront couvertes, mais il en restera 23 millions sans couverture, soit un sur 13, — le tiers de ces derniers étant des immigrants illégaux. Autrement dit, alors que les autres pays industrialisés couvrent 100 % de leur population,  les USA couvriront, dans neuf ans,95 % de leurs résidants légaux.

Je ne veux pas chipoter. Le vote d’hier constitue un progrès historique majeur. Il s’est produit malgré une opposition déterminée, démagogique, souvent mensongère. Plusieurs membres démocrates du Congrès ont pris, en votant oui hier, le risque très réel d’une fin de carrière abrupte lors des élections de mi-mandat en novembre prochain, tant le ressac anti-État d’une partie de l’électorat conservateur peut être vengeur.

La chose est paradoxale, car la réforme votée est la moins socialisée des pays industrialisés — et à des années-lumière des régimes canadien ou britannique. Les démocrates américains ont abandonné à contrecoeur leur espoir premier d’introduire un régime public universel. Puis ils ont abandonné leur espoir d’introduire une assurance publique témoin parmi les assureurs privés (ce qu’on a appelé la Public Option).

Au-delà de l’extension de la couverture, le projet plante un pieu dans la pratique la plus détestée des assureurs privés américains : leur capacité de refuser de traiter un assuré qui avait une « condition antérieure », c’est-à-dire un problème médical avant de contracter son assurance.

« Ce n’est pas une réforme radicale, a dit Obama hier, mais c’est une réforme majeure. »

À certains égards, encore au Moyen-Âge

Avec ce vote et la signature présidentielle, probablement ce mardi, du projet de loi, les États-Unis nous ont-ils rejoints dans le XXe siècle, en matière de politiques publiques ?

Non. Pour arriver complètement, il leur faudrait voter une loi qui garantisse aux salariées le maintien de leur emploi au retour de leur grossesse. A l’heure actuelle, et depuis Clinton en 1998, seules les salariées des grandes entreprises ont ce « privilège ». Une fois cette étape franchie, la superpuissance américaine pourrait envisager une autre réforme : assurer des congés de maternité rémunérés. En effet, moins de 10 % des salariées américaines y ont droit, aujourd’hui.

What change looks like

Tout cela étant dit, le vote d’hier démontre que même dans un contexte de bipolarisation extrême, il est possible de faire voter des réformes majeures à Washington. Jusqu’à hier soir, ce n’était pas certain.

« Nous avons réussi à nous élever au-dessus des pesanteurs de notre vie politique » a dit le président hier soir. « Nous avons prouvé que nous sommes un peuple encore capable de réaliser de grandes choses. »

Barack Obama et les démocrates ont fait en sorte que, d’ici un an, des dizaines de millions de personnes sortent de l’incertitude et de l’angoisse de tout perdre en cas de maladie ou d’accident. Il a fait en sorte que, dès la signature de la loi, les assurés n’aient plus à craindre que leur assurance soit annulée, plafonnée, amputée, au gré des trucs et des arnaques dont plusieurs de ces entreprises sont passées maîtres.  Le cap franchi, pour le système politique et pour la qualité de vie des Américains, est majeur.

Et c’est pourquoi Barack Obama a eu raison de dire hier que venait d’être scellée «une autre pierre dans le socle du rêve américain».

Et il avait raison d’ajouter : « Voilà ce à quoi ressemble le changement / This is what change looks like. »

Ce contenu a été publié dans États-Unis par Jean-François Lisée. Mettez-le en favori avec son permalien.

À propos de Jean-François Lisée

Il avait 14 ans, dans sa ville natale de Thetford Mines, quand Jean-François Lisée est devenu membre du Parti québécois, puis qu’il est devenu – écoutez-bien – adjoint à l’attaché de presse de l’exécutif du PQ du comté de Frontenac ! Son père était entrepreneur et il possédait une voiture Buick. Le détail est important car cela lui a valu de conduire les conférenciers fédéralistes à Thetford et dans la région lors du référendum de 1980. S’il mettait la radio locale dans la voiture, ses passagers pouvaient entendre la mère de Jean-François faire des publicités pour « les femmes de Thetford Mines pour le Oui » ! Il y avait une bonne ambiance dans la famille. Thetford mines est aussi un haut lieu du syndicalisme et, à cause de l’amiante, des luttes pour la santé des travailleurs. Ce que Jean-François a pu constater lorsque, un été, sa tâche était de balayer de la poussière d’amiante dans l’usine. La passion de Jean-François pour l’indépendance du Québec et pour la justice sociale ont pris racine là, dans son adolescence thetfordoise. Elle s’est déployée ensuite dans son travail de journalisme, puis de conseiller de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard, de ministre de la métropole et dans ses écrits pour une gauche efficace et contre une droite qu’il veut mettre KO. Élu député de Rosemont en 2012, il s'est battu pour les dossiers de l’Est de Montréal en transport, en santé, en habitation. Dans son rôle de critique de l’opposition, il a donné une voix aux Québécois les plus vulnérables, aux handicapés, aux itinérants, il a défendu les fugueuses, les familles d’accueil, tout le réseau communautaire. Il fut chef du Parti Québécois de l'automne 2016 à l'automne 2018. Il est à nouveau citoyen engagé, favorable à l'indépendance, à l'écologie, au français, à l'égalité des chances et à la bonne humeur !