Voici le texte de ma dernière balado hebdomadaire.
Je tiens à vous alerter:
ce texte est au second degré, donc complètement ironique.
Isabelle, (avant je disais Chère Isabelle, mais je me suis corrigé, vous verrez pourquoi),
Ces jours derniers, Le Premier ministre François Legault a posé un geste insignifiant. Il a nommé à un poste sans importance, la présidence du Conseil du Trésor, une femme, Sonia Lebel. On lui reprochait auparavant de ne gouverner réellement qu’avec son trio économique, formé de trois hommes. Une femme en fait maintenant partie.
Isabelle, vous qui avez la responsabilité de la condition féminine pour l’opposition officielle, avez eu raison d’attirer l’attention des abonnées de votre fil Twitter, dont je suis, non sur cette très banale avancée féminine dans le premier cercle du pouvoir Caquiste, que vous avez tue avec raison, mais sur le véritable scandale de la journée, l’affront, le recul historique. En effet, M. Legault a affirmé avec le sourire, en parlant de Mme Lebel: « Au Trésor, mon trésor ».
Vous avez bondi avec raison sur votre clavier:
« En 2020, ce genre de commentaire ne devrait plus exister surtout de la bouche du PM du Québec. »
Grâce à vous, des dizaines de personnes ont pu très justement vilipender le premier ministre pour cette déclaration rétrograde. Certains irréductibles ont, tristement, considéré la chose comme inoffensive, d’autres — et j’admet que cela est difficile à croire — ont dit trouver l’expression « charmante ». J’ai été sincèrement désolé de constater que des misogynes ont même lancé des insultes vulgaires à votre endroit et envers vos collègues féminines.
Cela dit, François Legault, devrait savoir qu’en 2020, il est interdit de s’adresser aux femmes autrement qu’en mentionnant leur intellect, leur puissance, leurs talents. Et encore ! Lorsqu’un homme mentionne les qualités d’une femme, cela fait un peu paternaliste.
En 2020, il faut faire l’impasse complètement sur des attributs innommables comme la beauté, le charme, l’élégance. Il faut proscrire pour tous toute forme de galanterie, qui n’est que le refuge du patriarcat et de la domination masculine ou, disons le franchement, de l’omniprésente culture du viol. Voyez, je ne mets pas de guillemets.
Dans le cas de François Legault, on sent bien qu’il a commis le forfait d’avoir voulu égayer son annonce, banale, de promotion d’une femme d’un trait d’humour. Il aurait du savoir, et vous faites bien de l’indiquer clairement, Isabelle, que l’esprit, l’humour, le second degré, la taquinerie et encore plus l’humour un peu daté d’hommes ayant commis l’impair de faire partie de la génération des baby-boomers, sont autant d’affronts à la valeur des femmes. Il faut imposer, là, la tolérance zéro. Merci pour votre vigilance. Les boomers, on le voit de plus en plus, sont en rupture avec le présent. Ils n’ont droit à aucun respect, aucune indulgence.
J’insiste car j’entends certains hommes et, pire, certaines membres non-complètement éveillées (woke) du monde des femmes affirmer qu’il faut réagir à cette humour vieillot par un simple haussement d’épaule, et surtout ne pas en faire tout un plat. C’est le contraire. Il faut peser de tout son poids sur chaque écart de conduite, la victoire est à ce prix.
Ces principes étant établis, examinons maintenant l’objet du délit. « Mon trésor au Trésor ».
Certains affirment que Legault avait utilisé ces mêmes termes envers le prédécesseur de Mme Lebel, Christian Dubé. Stéphane Bédard, le président du Conseil du Trésor de Pauline Marois affirme que jamais sa patronne ne l’a appelé « Mon Trésor », mais que la chose ne l’aurait nullement dérangé. Ces contre-exemples ne peuvent disculper Legault. Les hommes n’ont pas subi des siècles d’oppression, donc ne sont pas « triggered » par ce genre de blague.
Triggered, vous savez, c’est le nouveau terme expliquant qu’un écart qui peut sembler bénin lance pourtant un signal au tréfonds de la victime et enclenche chez elle une angoisse latente qui, soudain, monte à la surface et provoque une réelle douleur. Heureusement, toute une génération est en ce moment entraînée à être triggered à la moindre provocation, à être donc hyper attentif à tout ce qui pourrait les mettre mal à l’aise. Évidemment, cela induit une tension permanente dans les interactions, même privées, donc un cycle infini d’angoisse et de mal-être. Mais c’est le juste prix à payer pour atteindre une société enfin apaisée.
Alors, il a dit « Mon » et il a dit « Trésor ».
D’abord, le Mon est presque pire que le mot trésor. Car il indique que le premier ministre estime que Mme Lebel lui appartient, comme une esclave. Peut-on dire que le Mon est équivalent au fait que, de son point de vue, Legault peut dire Ma ministre, car elle fait partie, pour lui, de Mon gouvernement, qu’il a l’autorité de former ? L’argument est irrecevable. Pourquoi ? Parce qu’on est en 2020.
Passons maintenant à Trésor. N’y a-t-il pas terme plus méprisant, veule, abaissant, que de désigner quelqu’un comme un Trésor ? Cela renvoie à l’argent ou à l’or ou aux diamants, émeraudes et rubis, toutes choses sales et corrompues.
Bref, ce n’aurait pu être pire.
Alors merci, Isabelle, d’être aux premières loges de l’opposition officielle pour distinguer accessoire de l’essentiel, et de si bien choisir vos combats.
Grâce à votre intervention, et à des milliers d’autres, nous nous dirigeons enfin vers une société ou les rapports hommes-femmes seront enfin complètement délestée de tout cet amas patriarcal ou les hommes ouvraient les portes, complimentaient une tenue, une coiffure, un bijou, faisaient la moindre référence à la prétendue existence de la sensualité, du charme, de la dynamique des sexes, et surtout, surtout, de ce que certains appelaient faussement l’esprit et l’humour, qui ne sont que les masques déformants de la misogynie. Taquiner, c’est oppresser.
Enfin, grâce à notre effort incessant, nous pourrons connaître un monde de purs esprits, aseptisés, non-genrés, ou aucune parole n’est déplacée et ou aucun poil ne dépasse. Sauf en mai, évidemment.
BIen à vous Isabelle,
Jean-François
Note: il faut répéter que ce texte est ironique, et doit être lu avec le sourire. En un sens, je taquine. Pour mes écrits sérieux et féministes, c’est ici.
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