Selon «les sages», au moins, le sexe existe

J’ai lu attentivement le rapport du comité de sages sur l’identité de genre déposé la semaine dernière. À grands traits, les médias en ont retenu deux choses. D’abord, que loin d’être radical ou anti-trans, le rapport est prudent, sinon mou, et multiplie les suggestions plutôt que les recommandations. Ensuite, que le dépôt du rapport a été (légèrement) perturbé par (quelques) militants trans qui, par principe, en rejetaient la teneur avant de l’avoir lu.

M’étant penché sur cette question et étant, du moins je le pense, le premier à avoir demandé qu’une commission québécoise se penche sur la question (le gouvernement a désigné trois généralistes alors que je proposais un panel transpartisan ce qui, je le maintiens, aurait été plus adéquat), je me permets de donner un C + aux travaux des Diane Lavallée, Patrick Taillon et Jean-Bernard Trudeau. D’abord, les fleurs.

Il y a deux sexes. Vous ne le saviez peut-être pas, mais des outils pédagogiques utilisés dans nos écoles — et validés par le ministère — affirment que le sexe n’existe pas, qu’il s’agit d’une construction sociale ou d’un continuum. Le comité tranche : le sexe existe, et il y en a deux, sauf pour 1,7 % des enfants dits « intersexués ». Le sexe n’est donc pas « assigné à la naissance » par des médecins ignares, mais bien « constaté », sauf pour cette extrême minorité de cas.

Le rapport nous apprend qu’à l’été 2024, le ministère de l’Éducation a corrigé la définition, précédemment fautive, du mot « sexe » dans ses glossaires d’éducation à la sexualité. Mais il trouve encore trace de cette dérive dans d’autres textes du ministère. Il est « primordial » d’uniformiser les contenus, disent les auteurs.

On peut cependant changer de genre et d’orientation sexuelle. Il convient, dit le rapport, « d’assurer une distinction conceptuelle claire entre le sexe et le genre », car « le flou actuel entraîne effectivement une confusion contre-productive qui nourrit inutilement bien des controverses ». On respire.

L’écriture inclusive, non merci. Les sages mettent le holà à la progression de l’écriture inclusive. « Pour mieux se respecter, il faut d’abord mieux se comprendre et un langage commun en est la clé. Selon nous, dans le respect de tous et toutes, l’État gagne à suivre, dans ses communications officielles, les recommandations de l’Office québécois de la langue française en matière d’écriture épicène. Dans cette langue officielle, les termes “femmes” et “hommes” conservent toute leur place. » On peut, dans les communications individuelles, accommoder l’identité de chacun. Mais « le respect de l’identité de genre des personnes non binaires commande un effort individualisé d’accommodement, et non pas une transformation systématique du langage ». Bravo.

Cliquer pour commander. Versions pdf et ePub disponbiles.

Protéger les refuges féminins. Là, c’est clair : le rapport veut permettre aux refuges féminins qui le désirent de fermer leurs portes à des personnes nées hommes qui s’autoidentifient comme femmes.

Enseigner la tolérance, oui. Pousser l’élève à douter de son identité de genre, non. Le comité rapporte des cas où des enseignants ont demandé aux élèves de faire des exercices réflexifs sur leur identité de genre. « Il y a toute une différence entre, d’un côté, décrire la diversité des orientations sexuelles et des identités de genre qui font la richesse des êtres humains et, de l’autre, engager l’élève dans une réflexion quasi publique sur son identité. » Certes.

Des euphémismes, de la timidité. Les auteurs utilisent des euphémismes pour éviter de nommer le problème du caractère militant (pro-gai et pro-trans) de certaines formations données dans les écoles par des groupes externes. « L’ampleur des disparités observées dans l’enseignement de l’éducation à la sexualité crée des conditions propices à des maladresses qui, à leur tour, alimentent les controverses. » C’est trop peu. Il aurait été préférable de bannir toute promotion d’une ou l’autre orientation sexuelle dans l’école. Le rapport n’ose pas non plus aborder la question de l’embrigadement de l’école en faveur de la cause LGBTQ+ — une cause qui mérite le respect, mais pas une promotion active et une participation obligatoire.

L’absence du principe de précaution. Au sujet des mineurs de 14 ans et plus qui ont, en ce moment, le droit d’entreprendre une transition sociale (changement de prénom) et médicale (bloqueurs de puberté), le comité ne propose pas de porter, comme ailleurs, ce seuil à 16 ou 18 ans. Il prend acte de la controverse scientifique sur les effets négatifs à long terme de ces bloqueurs sur la densité osseuse et le développement cognitif. Mais contrairement au Royaume-Uni, qui a conclu qu’il fallait interdire les bloqueurs aux mineurs jusqu’à ce qu’on soit mieux informé, les sages ne recommandent qu’un suivi individuel plus rigoureux et un renvoi du débat à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux. Advienne que pourra.

Un demi-pas pour les parents. Le comité ne réclame pas que les parents soient informés de la transition de leur enfant mineur. Ils estiment cependant que les professionnels supervisant la transition ont « le devoir d’inciter l’élève à informer ses parents ».

Avancée pour les prisons. Recul pour le sport. Des hommes biologiques peuvent-ils être incarcérés avec des femmes s’ils se disent femmes ? Le gouvernement de Justin Trudeau a dit oui. Le comité dit aussi oui, mais seulement si on juge la personne sincère (ce n’est pas une arnaque) et non dangereuse. À voir. Pour les sports, le comité cite plusieurs cas étrangers où les hommes biologiques devenus femmes ne peuvent compétitionner avec des femmes que s’ils ont entrepris leur transition avant la puberté. Il ne retient malheureusement pas ce critère objectif minimal et laisse la porte beaucoup trop grande ouverte. Au moins, les boxeuses auraient, selon le comité, le droit de refuser de combattre une opposante trop virile. Ce qui revient à les abandonner.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *