Soudan et Québec: faut-il négocier la mécanique référendaire?

IcoOuiNon-150x150La comparaison que j’ai faite ici des processus référendaires soudanais et canadien, volontairement audacieuse, m’a valu un abondant courrier et, ce mardi un commentaire radio et  un blogue de l’éditorialiste en chef de La Presse, André Pratte.

Dans mon texte, je notais la réalité bêtement factuelle que le processus soudanais ferait en sorte qu’une réponse positive de 50% +1 des Sud-soudanais en faveur de l’indépendance deviendrait immédiatement exécutoire. La loi canadienne, elle, foule aux pieds ce principe, et donnerait aux parlementaires fédéraux et aux neuf autres provinces le droit de refuser la décision d’une majorité de Québécois.

Je notais que la mécanique en cours aujourd’hui au Sud-Soudan est en phase avec la pratique internationale récente de l’ONU au Timor-Oriental, en Érythrée et éventuellement au Sahara Occidental. En aucun cas il n’est question de demander aux autres parties du pays la permission de laisser partir la province indépendantiste.

André rétorque à bon droit que la mécanique référendaire soudanaise est le fruit d’une négociation entre les parties au litige, négociation réalisée aux forceps par la communauté internationale.  L’autre cas, récent, du Montenegro relevait également de la négociation. Les parties avaient décidé d’un commun accord de fixer la barre de la victoire à 55% et s’engageaient à faire en sorte que la décision soit exécutoire. En prime, l’Union européenne allait reconnaître le nouvel État.

L’éditorialiste y va ensuite d’un rappel, puis d’une question.

Le rappel:

Rappelons qu’en 1995, le gouvernement Parizeau avait refusé même le petit amendement qu’avait suggéré l’opposition libérale à la question référendaire, soit d’ajouter à la question le mot «pays» avant «souverain».

Je me souviens précisément de ce débat entre Daniel Johnson et Jacques Parizeau  (qu’on trouve ici). Ayant été le principal rédacteur de la question référendaire de 1995 — calquée, il faut le dire, sur le libellé de la question fédéraliste du référendum de 1992 sur Charlottetown — je n’avais aucune réserve à ajouter le mot « pays » dans la question. J’avais brièvement argumenté que si Daniel Johnson était prêt à adopter la question référendaire, tel qu’amendée par lui en ajoutant le mot pays, nous devrions le faire. La question aurait gagné en légitimité. Je fus mis en minorité.

M. Johnson ne s’était cependant pas engagé à adopter la question ainsi amendée — il est vrai qu’on ne lui a pas posé directement la question.

André Pratte poursuit avec une question:

Est-il normal que, lorsque l’avenir d’un pays est en jeu, les règles soient décidées par une seule des parties? […] La pratique internationale , qu’invoque Jean-François, indique que l’ONU et les grandes puissances, dont les États-Unis et la France, préfèrent de beaucoup qu’il y ait entente préalable entre les parties. Un prochain gouvernement du Parti québécois accepterait-il de négocier avec le gouvernement du Canada les modalités d’un éventuel référendum sur l’indépendance du Québec? Je suis sûr que non. Cela fait-il de Pauline Marois une démocrate moins convaincue qu’Omar el-Bechir?

D’abord, la chute est bonne. Ensuite, la question est excellente.

Je ne parle, comme d’habitude, qu’en mon nom personnel. Mais j’estime qu’en principe, il serait hautement préférable que le prochain référendum se tienne avec une mécanique et une résultante préalablement fixées par les deux parties.

C’est vrai sur le principe. L’indépendance est un divorce et s’il est essentiel que le divorce unilatéral soit une option (c’est à dire qu’on ne puisse être contraint à rester dans le couple, comme c’est le cas suivant la loi fédérale actuelle), il est préférable que les conditions du divorce soient agrées en commun, souvent avec l’aide d’un tiers.

À la décharge des souverainistes, il faut dire qu’en aucun moment, avant 1980 ou 1995, Ottawa n’a proposé une telle négociation, se limitant à dénoncer le processus québécois. C’est seulement après 1995 qu’Ottawa a voulu s’en mêler, unilatéralement, refusant même les arguments avancés par les fédéralistes québécois du PLQ, dont Daniel Johnson et Claude Ryan.

Une négociation: un gain politique net pour le Oui

En fait, depuis René Lévesque, les souverainistes ont toujours été ceux qui ont proposé la négociation post-référendaire, la transition négociée vers la souveraineté. C’est Ottawa qui a toujours affirmé qu’il n’y aurait pas de négociation — jusqu’à ce que la Cour Suprême, dans son renvoi sur la sécession, donne raison aux souverainistes en imposant aux parties une obligation de négocier de bonne foi, après le référendum.

Mais que se passerait-il s’il y avait négociation de la mécanique avec Ottawa ?

Ce n’est pas que le libellé de la question et le niveau d’appui qui seraient sur la table (dans la seule fourchette internationale existante: entre 50 et 55%). Ce serait, surtout, la certitude qu’en cas de victoire du Oui, le Canada accepterait immédiatement le verdict sans tenter de saboter les choses.

Cette condition soustrairait au camp du Non son principal argument: celui de l’incertitude ou, pour citer Jean Charest, du « trou noir ». Des sondages réalisés naguère par le Conseil pour l’unité canadienne montraient que le vote pour le Oui gagne 20 points de pourcentage lorsque les Québécois sont rassurés sur le caractère pacifique de l’après référendum. (Ce que recouvre, en fait, les mots « association » ou « partenariat ». Le message d’un divorce négocié.)

La loi C-20 est d’une déviance telle par rapport à la pratique internationale et aux principes démocratiques proprement dits (elle ouvre la porte à a partition, ce qui est complètement rejeté par tous les précédents référendaires récents) qu’on ne voit pas très bien comment les partis canadiens, qui se sont fait peinturés dans ce coin par l’inexcusable texte de Stéphane Dion et Jean Chrétien — même le NPD a voté pour! — pourraient revenir de cette dérive.

De plus, le Canada affirme que sa constitution — impossible à amender comme on le sait — l’oblige à demander aux neuf autres provinces leur consentement. À supposer qu’un futur premier ministre canadien veuille s’engager dans une négociation de la mécanique référendaire, il se trouvera bien des premiers ministres provinciaux pour affirmer que le fédéral ne parle pas en leur nom.

L’ex-ministre fédérale de la justice Ann Mclellan a bien dit en 1999 qu’avec l’indépendance du Québec «nous aurions affaire à des circonstances tellement extraordinaires qu’elles ne sauraient être traitées dans le cadre constitutionnel existant. Il faudrait probablement alors reconnaître la nature extraordinaire de l’événement et déterminer un processus en conséquence.»

Pour un futur gouvernement péquiste, ça ne coûte rien d’essayer. Au débotté, une idée comme ça: proposer une négociation, entre le Québec et le Canada (qui formera sa délégation comme il l’entend) fondée sur la pratique internationale récente et chapeautée par deux médiateurs, un ancien secrétaire d’État américain et un ancien ministre français des Affaires étrangères.

Alors, André, es-tu d’accord ?

Réponse d’André Pratte

Rapide sur son clavier, André m’a répondu sur son blogue. Malheureusement, soit il m’a mal lu, soit je me suis mal expliqué, mais il pense que je propose que les termes de l’association soient négociés avant le référendum.

Il n’en est pas question. Dans sa réponse, il ne se dit disposer à négocier que trois choses:

– le libellé de la question. Ma préférence: «Voulez-vous que le Québec devienne un pays indépendant?»

– le pourcentage requis: 55% des suffrages exprimés.

– la date du référendum.

Or, ce qui fait l’intérêt de la pratique internationale courante, est que les deux parties acceptent à l’avance de respecter le résultat et de reconnaître le nouvel État. C’est le contraire de la loi C-20. La pratique internationale courante rejette également la partition. La loi C-20 lui ouvre la porte.

Je réitère que j’estime que si les Québécois ont la certitude que le Canada acceptera le résultat (à 50% +1), ils seront beaucoup plus nombreux à voter oui.

Ensuite, s’engagera la négociation sur la transition, le partage de la dette et des actifs, les éléments possibles de partenariat. Mais avec une mécanique négociée, nous aurions l’assurance que la négociation s’ouvrira au lendemain d’un Oui majoritaire. Cela changerait beaucoup de choses.

Par ailleurs André n’aborde nullement la difficulté posée au Canada par sa propre proposition de négociation. Il est également muet sur ma suggestion de médiation internationale.

Un peu d’audace, André, que diable !

Une autre réponse d’André:

Finalement, André Pratte admet m’avoir mal compris, dans sa dernière entrée de blogue.

Voici ce qu’il ajoute, avec mes commentaires entrelardés:

J’ai mal compris ce que JFL voulait dire. Mes excuses. Nous nous entendons donc tous les deux sur le fait que le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec dirigé par le PQ devraient s’entendre sur les règles d’un éventuel troisième référendum sur l’indépendance du Québec. Cela dit, je vois mal comment un tel accord serait possible, tellement les positions sont lointaines. Un gouvernement du PQ serait-il prêt à poser une question simple et limpide, telle celle que je proposais plus tôt? JFL tient mordicus au 50% plus un. Mais cette règle n’a pas la valeur universelle qu’il lui prête; le cas du Monténégro en est la preuve (55%). Les Québécois eux-mêmes ont très souvent indiqué dans des sondages qu’ils souhaitent une majorité plus forte que la majorité simple.

Les excuses sont acceptées. Nous ne parlons qu’à titre personnel et nous verrions dans le contexte, mais s’il y a négociations, ces questions seront discutées, évidemment.

Enfin Jean-François voudrait que si entente il y a, le gouvernement du Canada s’engage à respecter le résultat. Cela va de soi. Mais cela ne signifie pas que les Québécois sauront, avant de voter, à quoi ressemblera l’avenir. Tout dépendra de la négociation subséquente au vote. Rien ne garantit que cette négociation soit brève ou facile, au contraire. Elle pourrait même échouer. Le gouvernement du Canada peut promettre de respecter le vote des Québécois; ça ne veut pas dire qu’il s’engage à satisfaire toutes les exigences du gouvernement québécois le lendemain d’un OUI (dette, devise, partage des actifs, etc.)

Nous sommes d’accord.

Et si le fédéral accepte de s’engager à respecter le résultat, le Parti québécois est-il prêt pour sa part à promettre de ne pas tenir de référendum en l’absence d’une entente?

Voyons André. Ne pas tenir de référendum en l’absence d’une entente sur la mécanique référendaire ? Ce serait donner un droit de veto à l’autre partie. Restons plausible, ça allait bien.

Un peu d’audace, lance JFL. Une médiation internationale? Là, on est dans la fabulation. Attendons donc d’être à la veille du début d’une possibilité qu’il y ait un référendum! Et puis, cette question est, jusqu’à un OUI majoritaire, interne au Canada. Je ne voudrais pas soumettre le sort du Canada et du Québec aux volontés des États-Unis et/ou de la France.

Il n’est pas question de soumettre notre sort aux volontés externes, mais d’une médiation à l’aide d’un tiers. Les parties étant toujours souveraines et pouvant accepter ou rejeter la médiation.

Mais je crois que 1) C-20 a tellement tordu la position fédérale qu’il serait politiquement impossible à Ottawa de revenir à une position respectueuse de la pratique internationale en simple face à face avec Québec et que 2) il serait improbable qu’une négociation Québec/Canada soit fructueuse, dans la période de polarisation pré-référendaire, en l’absence de médiateurs crédibles, donnant par leur présence une caution internationale.

Bon, Jean-François, tu conviens avec moi qu’il y a des enjeux plus immédiats à discuter? Alors, passons à autre chose. Et au plaisir de re-bloguer en ta compagnie.

À la prochaine chicane, médiation, donc.