Nos adieux au biafra

J’ai cherché très attentivement dans le document Finances d’un Québec indépendant. Un regard critique, je n’ai trouvé nulle part de référence au Biafra. Même pas dans les notes de bas de page. Ça m’a réjoui. Le Biafra est une province du Nigeria qui tentait de faire sécession pendant les années 1960. Sans succès. Dans cette époque lointaine, et pendant une partie des années 1970, les opposants à l’indépendance du Québec brandissaient l’exemple du Biafra pour évoquer dans nos consciences l’image d’un Québec indépendant où des enfants, torse et jambes nus, aux ventres ballonnés par la malnutrition, seraient réduits à mendier dans les rues en terre battue de leurs villages, comme on en voyait à la télé. Avec le facteur aggravant qu’ils devraient le faire, chez nous, à -40 degrés en février.

Plutôt que d’affirmer qu’un Québec indépendant deviendrait, ipso facto, un pays du tiers-monde, les auteurs du document, deux économistes, Robert Gagné et Louis Lévesque, et deux militants libéraux, Alain Paquet et André Pratte, ouvrent leur épître avec cette admission bienvenue : « Nous ne contestons pas le fait qu’un Québec indépendant puisse être économiquement et fiscalement “viable”. » Vous avez bien lu, économiquement et fiscalement.

Ils nous expliquent ensuite pourquoi, selon eux, l’indépendance ne permettrait pas « aux Québécois de vivre mieux ». Vient la question : « Sinon, pourquoi se lancer dans une telle aventure ? » Euh. Pour être maîtres chez nous ? Pour sortir d’un pays où nous sommes marginalisés, régulièrement méprisés, insultés ? Pour sortir d’un régime qui nous impose une immigration anglicisante, qui gonfle notre endettement ? Pour ne plus avoir sur la conscience de subventionner grassement, par nos impôts, une industrie pétrolière en train de cramer la planète ? (Comme l’espace me manque ici, je tiens une liste de raisons plus longue à leur disposition.)

Mais, j’insiste, même en discutant indépendance avec des comptables, le document témoigne d’un extraordinaire progrès. Nulle part, il ne reprend un argument qui avait fait recette au temps de René Lévesque et selon lequel le dollar d’un Québec souverain — appelé avec mépris « la piasse à Lévesque » — perdrait 25 % de valeur. Comme le dollar canadien a perdu 33 % de sa valeur dans l’intervalle, l’argument a, certes, été considérablement dévalué.

Le document nous avertit que la fusion de notre part de la fonction publique fédérale avec la fonction publique québécoise va provoquer des pertes d’emploi telles (qu’ils ne chiffrent pas) que cela pourrait avoir un impact à la baisse sur le PIB. Les auteurs ne semblent pas informés que nous sommes, pour l’avenir prévisible, en pénurie de main-d’oeuvre et que ces salariés pourront être absorbés dans un marché du travail assoiffé. Mais je les invite à répéter sur toutes les tribunes que la bureaucratie d’un Québec souverain sera ainsi amputée de dizaines de milliers de fonctionnaires, cela attirera vers le Oui beaucoup d’électeurs de droite.

Importer des chômeurs

Merci aussi de ne plus brandir le spectre d’une brusque montée du chômage. Oui, les auteurs insistent sur l’incertitude qui refroidira les investisseurs, mais on est loin de la surenchère vécue pendant la campagne référendaire de 1995. D’abord, le chef libéral Daniel Johnson avait affirmé que l’indépendance allait faire perdre au Québec 100 000 emplois. La semaine suivante, le ministre fédéral des Finances, Paul Martin, affirmait qu’« un million d’emplois seraient à risque ». Ce qui a fait dire à mon patron, Jacques Parizeau : « Il y a une semaine, les gens du Non estimaient les pertes d’emplois à moins de 100 000. Aujourd’hui c’est un million. La semaine prochaine, ce sera quoi ? Dix millions ? Il n’y a que 3 200 000 emplois au Québec. Il faudra importer des chômeurs ! » (J’avoue, je suis fier de lui avoir soufflé cette réplique.)

Il est vrai que, depuis, Jean Charest, comme Robert Bourassa avant lui, avait admis qu’un Québec souverain serait économiquement viable. (Charest disait aussi que ce serait l’équivalent de tomber dans « un trou noir ».) Je me réjouis cependant que l’ami Pratte et son groupe n’aient pas répété les sornettes formulées par le dernier premier ministre libéral, Philippe Couillard. Il affirmait sans rire il y a sept ans que l’indépendance nécessiterait « de sacrifier nos programmes sociaux, de nous trouver en état de pauvreté ».

Pour les auteurs de ce nouveau document (que Paul St-Pierre Plamondon désigne cruellement « la Pratte patrouille » — mais il faut l’excuser, il a des enfants en bas âge), des tourments affligeront certainement le futur État québécois, mais ils sont d’un autre ordre. Par exemple, « le Québec serait un joueur marginal dans le domaine de la conquête spatiale ». Je ne sais pas pour vous, mais moi, je suis prêt à faire ce deuil. Je note que nous ne ferons plus, non plus, partie d’un des principaux États pétroliers au monde. Je suis déjà réconcilié avec cet arrachement. Adieu aussi au Sénat, à la gouverneure générale, au roi ! Y avez-vous pensé ? En écrivant ces mots, mon clavier retient un sanglot.

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Une méprise sur la dette

Notre dette, surtout, disent-ils, nous coûtera plus cher, pour toutes sortes de raisons. Là, j’ai la tristesse d’informer les collègues du Non qu’ils n’ont tout simplement pas compris ce qui allait se passer. Ils s’imaginent que le Québec souverain va rapatrier, à Québec, sa part de la dette canadienne et qu’il va ensuite la gérer, avec un taux d’intérêt plus élevé. Mais il n’en est pas question !

Moi-même un peu étourdi à ce sujet dans mon jeune temps, je me suis fait instruire par Jacques Parizeau. La dette canadienne a été créée par le Canada, qui en est le seul garant. Nous aurons un intérêt politique à négocier avec Ottawa la part du fardeau de la dette qui nous revient — la crédibilité financière du nouvel État québécois en dépendra. Mais cela fera en sorte que pendant des décennies, nous enverrons des chèques à Ottawa pour payer les intérêts et le remboursement progressif de notre part, jusqu’à ce que le dernier sou soit payé. Pendant ce temps, le taux d’intérêt en vigueur sera celui, plus avantageux, commandé par le Canada sur les marchés.

Dans la négociation qui conduira à déterminer notre part de cette dette, notre rapport de force tiendra au fait qu’Ottawa, seul responsable juridique de la dette, sera demandeur. L’incertitude créée par l’absence d’un accord pèsera sur le dollar et l’économie canadienne au grand complet, d’où la pression des marchés pour qu’Ottawa règle le plus rapidement possible. Nous serons également pressés, mais moins que lui. (Aussi, les auteurs n’ont pas compris que les fonds de retraite canadiens envers ses employés et ses vétérans resteront à la charge du Canada jusqu’à l’épuisement des obligations qu’il a contractées envers ces individus. On ne s’en mêlera pas.)

On ne s’entendra jamais complètement sur les bienfaits et les coûts présumés d’un futur Québec souverain. Dans ses premières années, il s’agira évidemment d’un grand chantier. Les partisans du Non choisissent de n’y voir qu’un paquet de troubles et de risques variés qui nous arrachent à notre zone canadienne de confort. Ce sont au final des Tanguy. Je préfère, comme mes amis indépendantistes, y voir le début d’une fascinante nouvelle période de notre vie collective, pleine de défis à relever. On attribue au leader français Léon Blum, venant de prendre le pouvoir avec le Front populaire en 1936, cette phrase qui épouse parfaitement notre sentiment et notre optimisme : « Enfin, les difficultés commencent ! »

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

Les bonnes idées d’André Pratte

« L’histoire économique du Québec est jalonnée de grands projets, de la Manic à la Baie-James. Cette fois-ci, tous les experts s’entendent, le grand projet dont le Québec a besoin n’est pas fait de béton et d’acier, mais de productivité et d’innovation. » La citation, de bon sens, est tirée du « nouveau plan économique » déposé — et pour l’essentiel adopté — lors du conseil général du Parti libéral du Québec (PLQ) en fin de semaine.

Le document est le fruit du travail de l’hyperproductif André Pratte, devenu président de la commission politique du PLQ. Il s’agit d’une contribution qui doit, à mon humble avis, nourrir une discussion essentielle : celle de l’économie québécoise de l’après-François Legault et de l’après-Pierre Fitzgibbon.

Un effort colossal a été déployé par le gouvernement caquiste, souvent avec l’appui conséquent d’Ottawa, pour attirer des investissements étrangers de forte taille. La construction d’une filière batterie allant de la mine au produit fini peut devenir un pilier de l’économie québécoise si se développe autour d’elle une constellation de PME innovantes qui peuvent déployer leurs propres ailes et générer leur propre croissance. C’est à voir, mais c’est vraisemblable. L’organisme Montréal international livre aussi chaque année sa récolte parfois multimilliardaire d’investisseurs étrangers attirés par la qualité de notre main-d’oeuvre, par nos ressources, ainsi que par les charmes de notre climat et de notre savoir-vivre.

Ayant grandi avec des surplus de main-d’oeuvre et d’énergie, nous ne sommes pas encore sortis du réflexe de l’applaudissement béat pour chacune de ces annonces. Or, notre petit monde a changé. En pénurie de main-d’oeuvre et d’électricité, chaque implantation étrangère déplace vers elle des salariés et des watts qui pourraient — et qui peuvent — être mieux utilisés par nos propres entreprises. Il y a un point de bascule à partir duquel trop d’investissements étrangers nuisent.

Sans renier ce qui a été fait par l’équipe caquiste, et qui a indubitablement augmenté la richesse québécoise par habitant, le gouvernement qui sera élu en octobre 2026 (vous connaissez ma préférence) sera bien avisé d’opérer pour l’avenir une correction majeure de trajectoire et de favoriser pour cette nouvelle phase l’entreprise locale.

Il est par exemple honteux de constater que l’augmentation des tarifs d’électricité sera de 3,3 % pour la grande industrie l’an prochain, mais de 5,1 % pour les PME. Il s’agit d’une décision consciente de faire porter sur l’entreprise locale les rabais offerts aux grandes entreprises, principalement étrangères.

Un changement de cap s’impose. Le document d’André Pratte reprend des propositions connues, mais jamais complètement appliquées : la revue et la simplification de la fiscalité des petites entreprises, un effort renouvelé, et dirigé par le Conseil exécutif, d’allégement de la paperasse administrative. (Transparence totale : ces éléments faisaient partie de la stratégie Priorité PME que j’avais lancée au Parti québécois en 2016.)

Pratte propose aussi de refaire un diagnostic complet de l’enchevêtrement de programmes d’aide et de crédits d’impôt, dont certains sont contre-productifs ou désuets. Le ministre des Finances, Eric Girard, a annoncé exactement ce processus nécessaire dans le dernier budget, mais malheureusement, il n’a aucune prise sur la propension du fédéral à inventer chaque année de nouveaux programmes dont l’efficience est particulièrement oiseuse. S’il y a trop de paperasse dans le système, c’est peut-être qu’il y a un gouvernement de trop. Ou alors un gouvernement qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas.

Pour la nécessaire augmentation de la productivité par heure travaillée, qui constitue l’épine dorsale de la création de richesse, Pratte ajoute un argument massue en citant une toute récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, concluant que, pour l’essor de l’innovation, l’aide fiscale des États à la recherche et développement est plus efficace lorsqu’elle vise les PME plutôt que les grandes entreprises.

Autre piste intéressante : l’investissement plutôt que la subvention. Qu’en échange de son aide, l’État puisse « recouvrer son investissement grâce à une mécanique de participation aux bénéfices futurs de l’innovation, par une redevance sur les futurs produits commercialisés ». Bravo.

On trouve dans le document adopté par le PLQ des éléments audacieux pour ceux qui, dans ce parti, préféraient dans le passé le laisser-faire. On lit : « Les droits d’exploitation, de transformation et d’allocation énergétique seront liés à une obligation de transformation à valeur ajoutée dans les régions ressources. » De plus, on propose qu’un « seuil minimum obligatoire de transformation locale des ressources naturelles du Québec soit déterminé ». On croirait lire du Martine Ouellet. Ce qui se veut, en l’espèce, un compliment.

J’ai particulièrement apprécié la section consacrée à la concertation régionale. On y annonce la création de pôles de concertation régionale, instance décisionnelle responsable d’impliquer l’ensemble des acteurs du milieu et de coordonner le développement économique et social de chaque région.

L’idée est tellement bonne qu’elle ressemble aux Sociétés de développement économique créés à la fin des années soixante, puis aux Conseils régionaux de développement renforcés par le gouvernement de Lucien Bouchard, transformés en conférences régionales des élus par le gouvernement de Jean Charest (qui souhaitait, à la demande des chambres de commerce, en expulser les représentants syndicaux et communautaires), puis abolis par le gouvernement de Philippe Couillard, qui a procédé au démantèlement de toute cette expérience cumulée de concertation, signifiant notamment aux 3000 entrepreneurs locaux engagés dans le mentorat qu’on n’avait pas besoin d’eux.

Il était quand même paradoxal qu’un même conseil général du PLQ célèbre, sans la moindre réserve, l’action du gouvernement de Philippe Couillard et adopte simultanément des propositions économiques et régionales en contradiction totale avec son action. Mais j’insiste, il n’est jamais trop tard pour avoir raison.

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)

PLQ: Le parti de la division (avec la réponse d’André Pratte)

Avec André Pratte, quand on était jeunes !

J’avoue avoir hésité avant d’écrire cette chronique. Il me semble inconvenant de tirer sur des ambulances. Les Libéraux québécois sont aujourd’hui dans un tel état de faiblesse que mon premier mouvement est l’empathie, ayant dirigé le Parti québécois à une époque ou on nous décrivait, non comme une ambulance, mais comme un corbillard.

Je suis content qu’André Pratte codirige le Comité de relance du PLQ, avec la député Madwa-Nika Cadet  (qui était candidate libérale contre moi dans Rosemont en 2012.) Pratte est certainement la tête pensante fédéraliste la plus solide au Québec. Si quelqu’un peut trouver une assise intellectuelle distinctive sur laquelle un futur chef et une future campagne pourrait s’appuyer, c’est bien lui. Si cette assise existe. Ce qui, dans l’univers politique actuel, n’est pas certain.

Curieux de voir dans quelle direction la réflexion se portait, j’ai pris connaissance du discours prononcé par André Pratte au Conseil général. Il a abordé la question épineuse de la dose de nationalisme que les libéraux devraient afficher. “Certains, à l’intérieur comme à l’extérieur du parti, estiment que nous ne sommes pas assez nationalistes” a-t-il admis, dans un élan de lucidité (Il était jadis membre du groupe Pour un Québec Lucide, soit dit en passant.) Son comité sera attentif aux opinions diverses à ce sujet. Bien. Puis il a déclaré: “Une chose est sûre, cependant, notre histoire ne laisse aucun doute sur le fait que les libéraux ont joué un rôle crucial dans l’édification du Québec moderne.” Voilà qui est indubitable. Les délégués ont d’ailleurs eu droit à des photos rappelant les grands moments de l’histoire du PLQ, d’Honoré Mercier à aujourd’hui. 

Mais de quel bois, exactement, en 2023 – ou demain à l’élection de 2026 – se chauffera le nationalisme libéral québécois? C’est trop tôt pour le dire. Mais nous avons eu droit à cette balise: “nous sommes de fiers nationalistes québécois, mais notre nationalisme se veut rassembleur, inclusif. Nous rejetons le nationalisme qui divise les Québécois entre eux, parce qu’on ne bâtit pas une nation forte sur la division”.

Là, j’avoue, j’ai tiqué. Je me suis demandé à quel moment, exactement, le nationalisme libéral n’avait pas divisé les Québécois. À l’élection de 1962, portant sur la nationalisation de l’électricité, le plus grand geste de nationalisme économique de notre histoire ? Jean Lesage, René Lévesque et son équipe du tonnerre n’ont pas réussi à convaincre plus de 57% des Québécois de voter pour eux. Ils ont été traités de communistes pour vouloir ainsi fouler aux pieds l’entreprise privée et endetter le Québec pour des générations. Est-ce lorsque Robert Bourassa a fait adopter une loi affirmant que le français était notre langue officielle, une étape cruciale de nationalisme identitaire ? Pas moins de deux Québécois sur trois lui ont montré la porte à l’élection qui a suivi, tellement cette proposition les divisait, certains la trouvant trop timide, d’autres trop audacieuse.

Peut-être le PLQ a-t-il mieux exprimé son nationalisme rassembleur lorsqu’il était dans l’opposition. En s’opposant par exemple à la loi 101 d’origine, pourtant plébiscitée par les Québécois ? L’alors député libéral Daniel Johnson ne déclarait-il pas que le PQ de René Lévesque voulait faire du Québec “une Albanie en ceinture fléchée” ? (Avis aux jeunes lecteurs: ce n’était pas un compliment.)

La vérité toute nue est qu’aucun geste fort de promotion de la nation québécoise n’est, à l’origine, rassembleur. Chaque avancée fut un combat contre les forces du statu quo, le PLQ actionnant tantôt l’accélérateur, avec Lesage, tantôt le frein, avec Couillard, tantôt l’accélérateur et le frein en même temps, avec Bourassa.

C’est d’ailleurs vrai pour presque tout progrès. On doit remercier Adélard Godbout d’avoir donné le droit de vote aux femmes, une proposition qui divisait profondément la province, heurtait le clergé et beaucoup d’hommes blancs médiocres, selon une expression qui n’était pas, à l’époque, en vogue.

En fait, toute cette rhétorique de la division est un énorme sophisme. Il n’y a de progrès que dans le combat, donc contre un adversaire. Il faut gagner, rarement par knock out, le plus souvent aux points. En démocratie, le rassemblement est l’exception, non la norme. Sur des grands sujets sociaux – soins de fin de vie, violence conjugale, équité salariale – nous avons su nous rassembler. D’autres – l’avortement, le mariage pour tous – furent arrachés de haute lutte. Nos gains nationalistes, linguistiques, identitaires, laïcs, furent tous de cette dernière catégorie.

Vrai, il y a des cas où l’approche, le ton, la rhétorique peuvent chercher ou susciter la division là où elle n’a pas lieu d’être. Le meilleur cas récent étant la décision de Justin Trudeau de mener campagne en 2021 pour la vaccination obligatoire des fonctionnaires fédéraux et des voyageurs – contredisant son propre engagement récent et les avis de sa propre santé publique – dans le seul but de coincer les conservateurs dont la position était plus, disons, ‘libérale”. Le député Joël Lightbound a eu le courage de dénoncer cette dérive.

En cherchant bien, il y a bien un moment, un seul, où le nationalisme libéral fut véritablement rassembleur. Après Meech, quand Robert Bourassa et son parti se sont formellement engagés à donner une dernière chance au Canada d’accorder des pouvoirs substantiels au Québec, sans quoi ils proposeraient la souveraineté, s’est ouverte une période de grâce où plus des deux tiers des Québécois étaient enfin unis dans une démarche commune sur leur avenir national. Dommage que ce n’ait été qu’une tricherie, débouchant sur un naufrage. Il faudrait écrire un bouquin sur le sujet. Peut-être deux.

À moins qu’André Pratte et le PLQ veuille retenter cette expérience, mais cette fois avec sincérité, ce dont je doute, je leur propose de laisser aux partis uniques et autres dictatures l’illusion de l’unanimisme et d’assumer plutôt que la division est une condition intrinsèque de l’exercice démocratique, les partis étant des avocats plaidant leurs causes contradictoires devant un jury qui décide, à la majorité, qui a raison et qui a tort. Et c’est très bien ainsi.

André a répondu à mes arguments dans Le Devoir, dans ce texte:

Le parti rassembleur

Dans sa plus récente chronique (« Le parti de la division », 31 mai), Jean-François Lisée me fait l’honneur de citer trois phrases du « discours » que j’ai prononcé samedi dernier, à l’occasion du conseil général du Parti libéral du Québec (PLQ). J’emploie des guillemets ici, car il serait fort prétentieux de présenter cette petite allocution de quatre minutes comme un discours.

Le titre de la chronique de Jean-François (je me permets d’employer son prénom, puisque je considère M. Lisée comme un ami) se veut provocateur : « Le parti de la division ». Ces mots sont censés décrire le PLQ. Dans mon allocution, j’ai plutôt prétendu que le nationalisme du PLQ se voulait « rassembleur, inclusif. Nous rejetons le nationalisme qui divise les Québécois entre eux, parce qu’on ne bâtit pas une nation forte sur la division ». C’est ce passage qui a fait « tiquer » le chroniqueur.

Selon Jean-François, les gestes nationalistes posés par les gouvernements libéraux dans le passé ont tous divisé les Québécois, même la nationalisation de l’électricité en 1962. « La vérité toute nue est qu’aucun geste fort de promotion de la nation québécoise n’est, à l’origine, rassembleur », constate-t-il après un bref survol historique. Selon lui, il vaudrait mieux tenir pour acquis que les choix politiques divisent par nature.

Il y a du vrai dans cette analyse. Cependant, le chroniqueur interprète mal les quelques paroles que j’ai prononcées samedi. Lorsque je dis que le nationalisme du PLQ est rassembleur, je ne prétends évidemment pas qu’un futur gouvernement libéral ferait l’unanimité autour de lui. La politique, en effet, implique des décisions, des choix, dont chacun suscite son lot d’opposition.

Le mot « rassembleur » ici réfère à l’intention des libéraux, par opposition à celle d’autres partis politiques, la Coalition avenir Québec (CAQ) en particulier. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, le gouvernement Legault ne cesse d’exacerber les préjugés contre les nouveaux Québécois et la communauté anglophone, accusés d’être responsables de l’anglicisation du Québec. Comme le souligne Jean-François, « il y a des cas où l’approche, le ton, la rhétorique peuvent chercher ou susciter la division là où elle n’a pas lieu d’être ». C’est exactement ce que fait la CAQ. C’est ce contre quoi s’élèvent les libéraux.

Nous sommes nationalistes, puisque nous mettons en priorité la défense des intérêts de la nation québécoise. Nous sommes aussi rassembleurs, parce que notre conception de la nation québécoise inclut toutes les personnes qui ont choisi de vivre au Québec, quelles que soient leur origine, leur culture, leur langue ou leur religion. Notre nationalisme invite tous les Québécois à bâtir un Québec plus français, plus prospère, plus juste et plus durable au sein de la fédération canadienne.

Le conseil général tenu en fin de semaine constituait un bon exemple de cette approche. À une forte majorité francophone provenant de toutes les régions du Québec s’étaient joints des Québécois issus de la communauté anglophone et de la diversité culturelle. Il y avait des jeunes et des moins jeunes, des militants de longue date et d’autres plus récents. N’en déplaise à Jean-François, le Parti libéral n’est pas en ambulance, encore moins en corbillard. Les militants réunis à Victoriaville étaient bien vivants. Lucides quant aux difficultés auxquelles la formation fait face, ces membres sont déterminés à faire ce qu’il faut pour relancer le parti et prudemment optimistes quant à l’avenir.

Notre objectif est d’être prêts à remplacer le gouvernement de la CAQ lors des prochaines élections, en 2026. À cette occasion, nous présenterons aux Québécois un projet national rassembleur, à l’opposé de la stratégie nocive privilégiée par le gouvernement actuel.

Ma réplique:

Cher André,

tu as raison de mettre en cause des propos tenus à la CAQ. Ceux de Jean Boulet auraient dû, malgré ses excuses, lui interdire de retourner de sitôt au Conseil des ministres. Permets-moi de contester cependant ton affirmation voulant que la CAQ (et les autres nationalistes, dont je suis) s’en prenne aux « nouveaux Québécois et [à] la communauté anglophone, accusés d’être responsables de l’anglicisation du Québec ».

Les néo-Québécois ont respecté les conditions exigées d’eux, les Anglos défendent leurs acquis, c’est normal. Nous critiquons l’imprudent laxisme des politiques d’immigration, et notamment la faiblesse des exigences linguistiques dans l’enseignement anglo, ce qui est complètement différent. Si ta contribution permettait d’imposer cette distinction dans la rhétorique de ton parti, cela permettrait un énorme assainissement de notre discussion publique.

Bien amicalement,
Jean-François.

OUI: Le scénario Charest

Le Canada est « toujours à une crise près de l’indépendance, à un sursaut nationaliste près d’une victoire du OUI ». On doit ce constat à l’intellectuel fédéraliste le plus lucide du dernier quart de siècle, André Pratte. L’ex-éditorialiste en chef de La Presse, fondateur de l’Idée fédérale puis sénateur vient de mettre ses neurones au service de Jean Charest, candidat conservateur.

Pratte avait écrit cela dans son livre antisouverainiste, Aux pays des merveilles (VLB). Mais c’était il y a 16 ans. Y a-t-il toujours péril séparatiste en la demeure ? Oui, a-t-il clairement expliqué à ses lecteurs anglophones en décembre dans sa chronique du National Post. La crise est imminente. Elle portera sur la laïcité. « Si jamais la Cour suprême déclare la loi [sur la laïcité] inconstitutionnelle, écrit-il, la colère et la frustration au Québec vont atteindre des niveaux qu’on n’a vus que lorsque l’accord du lac Meech a échoué. »

Note pour mes lecteurs plus jeunes : en 1990, cet accord devant reconnaître dans la Constitution l’existence du Québec comme « société distincte » fut rejeté par deux provinces, relayant l’opposition d’une majorité de Canadiens anglais. Pratte continue : « À l’époque, l’appui à la séparation a grimpé au-dessus de 60 %. Heureusement, la province était gouvernée par un premier ministre fédéraliste suprêmement habile (Robert Bourassa). » Comme c’est bien dit. J’ai moi-même commis deux ouvrages sur cette suprême habileté, l’un intitulé Le tricheur, l’autre Le naufrageur.

Pratte surestime-t-il l’ampleur du ressac québécois ? On peut le penser, mais qui sommes-nous pour contredire un conseiller de Jean Charest ? Il y a pire. Selon lui, comparé à Bourassa, le premier ministre actuel, François Legault, « est aussi un leader accompli, mais c’est un séparatiste ». Bref, nous sommes à une décision de la Cour suprême près de l’indépendance.

Charest: Monsieur -72%

J’ajouterais à cette prédiction une condition gagnante : Jean Charest. Il a déclaré que, premier ministre, son gouvernement demanderait à la Cour suprême de s’opposer à la Loi sur la laïcité de l’État. À Québec, M. Charest n’avait jamais montré d’appétit pour l’interdiction des signes religieux dans le secteur public et avait rejeté la recommandation de la commission Bouchard-Taylor de cibler avec l’interdiction les juges, les policiers et les gardiens de prison.

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Cependant, on n’avait jamais entendu M. Charest demander à Ottawa d’invalider une loi québécoise. Pendant ses neuf ans de pouvoir, à aucun moment M. Charest n’a proposé aux Québécois d’adhérer à la Constitution qui nous fut imposée en 1982. Il nous annonce maintenant que, premier ministre du Canada, il demanderait aux juges d’appliquer, pour invalider une loi québécoise, une constitution que lui-même n’a jamais eu le courage de faire avaliser. Si on souhaite aviver la colère et la frustration, voilà un intéressant revirement.

Il y a les questions de fond, puis il y a les perceptions. Le débat sur la Loi sur la laïcité porte, d’abord, sur les mesures de vivre-ensemble, puis sur la capacité du Québec de faire ses choix. Même des gens opposés à la loi s’opposent à ce que le gouvernement fédéral s’en mêle. C’est le cas de Québec solidaire et, les jours pairs, du Parti libéral du Québec. L’Assemblée nationale est donc unanime, non sur la loi, mais sur le respect de la loi.

La popularité des personnes qui défendent la position inverse pèse dans la balance. Plus cette personne est impopulaire, plus il lui est difficile de susciter l’adhésion. Le sondeur Léger a comparé en octobre 2020 les bonnes et les mauvaises opinions laissées par les anciens premiers ministres. Jean Charest est l’ex-premier ministre le plus détesté au Québec : 72 % des Québécois (et 79 % des francophones) gardent de lui un goût amer. Je n’ai pas souvenir que Pierre Elliott Trudeau au moment du référendum de 1980 ou Jean Chrétien au moment du référendum de 1995 ait jamais atteint un tel niveau de rejet.

Finalement, il y a la question du calendrier. À quel moment cette crise de régime s’abattra-t-elle sur nous ? La justice prend son temps. La Cour d’appel doit d’abord se prononcer. Ce n’est que conjectures, mais des juristes proches du dossier m’informent que les juges pourraient entendre les parties plus tard cette année, puis rendre un jugement début 2023. C’est donc dans l’année qui suit, 2023-2024, que le premier ministre du Canada demanderait à la Cour d’invalider la loi. Puisque le gouvernement actuel est minoritaire, et que la durée de vie de ce type de gouvernement est de moins de deux ans, il est probable qu’une élection aurait eu lieu entre-temps. Dans le scénario Charest, l’homme serait donc à pied d’œuvre pour poser ce geste générateur de mécontentement au Québec.

Le calendrier

Le temps pour la Cour suprême d’entendre la cause, puis de rendre un jugement, cela nous mène sans doute en 2025. On serait donc dans la dernière année d’un potentiel deuxième mandat de François Legault. Celui-ci serait possiblement en réflexion sur la décision de passer la main ou de faire le troisième mandat qu’il disait en octobre vouloir accomplir.

La situation politique serait alors très fluide. Défendre le legs que constitue la Loi sur la laïcité et surfer sur la vague de colère et de frustration prévue par l’ami Pratte serait tentant pour le conduire à nouveau à la victoire. Si, usé, il cédait sa place, le nom de son successeur serait déterminant. S’il s’agissait de Geneviève Guilbault, fédéraliste convaincue, le Canada pourrait être sauvé ; s’il s’agissait de Simon Jolin-Barrette, nationaliste bleu foncé, il serait en péril.

Et Jean Charest, premier ministre du Canada, serait devenu une condition gagnante de l’accès du Québec à l’indépendance. En cas de victoire du Oui, il perdra évidemment son emploi. Et deviendra, à son corps défendant, l’accoucheur du Québec souverain. Quelle spectaculaire fin de carrière ce serait !

(Ce texte a d’abord été publié dans Le Devoir.)


Mettez de l’histoire dans vos oreilles

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Lire: La dent dure d’André Pratte

Trouviez-vous, comme moi, qu’André Pratte avait la dent dure, lorsqu’il était pendant 14 ans éditorialiste en chef du quotidien La Presse ? Dent dure envers les indépendantistes, bien sûr. Mais aussi avec les écolos, parfois avec les citoyens qui se plaignaient, à tort selon lui, du prix de l’essence. Il fut aussi très dur envers les leaders étudiants du printemps érable de 2012.

Je vais vous faire un aveu: je le lisais toujours. J’ai même lu ses bouquins. Parce qu’André Pratte était pendant ces années le fer de lance de la pensée fédéraliste québécoise et qu’il est essentiel de bien connaître et de bien comprendre ce que pense et fait l’adversaire. Il n’y avait jamais de langue de bois dans les textes de Pratte. Il allait au cœur de son argument, la plupart du temps avec lucidité.

Il était fréquemment soucieux de la faiblesse de l’argumentation fédéraliste, il se désolait du trop petit nombre de porteurs intellectuels de la cause. C’est pourquoi il travaillait si fort à inciter de nouvelles plumes pro-canadiennes à faire leur entrée dans son journal, pourquoi il a mis sur pied le think tank l’Idée fédérale, pourquoi il a tant écrit. Ainsi à cheval entre l’analyse et le prosélytisme, il lui arrivait de franchir le pas entre l’opinion et la propagande, mais assez rarement pour que ce soit l’exception. À sa décharge, admettons que sous Jean Chrétien comme sous Stephen Harper et Jean Charest, les défenseurs du Canada étaient souvent réduits à défendre l’indéfendable.

Que ceux qui se sont sentis meurtris par la prose d’André Pratte se rassurent. Dans son nouvel ouvrage « Sénateur, Moi ?« , il retourne sa sévérité sur lui-même. Il ne fait pas de quartier.

Il ne renie rien de ses convictions. Mais lorsqu’il fait un bref retour sur son parcours, depuis l’enfance jusqu’au Sénat dans les premières 50 pages du livre, il nous fait le récit d’une série de ratages. Enfant chétif, nul en sport, peu porté aux relations amicales, en proie à la dépression, rescapé d’une tentative de suicide, c’est triste à pleurer.

Son rapport avec son père, juriste jusqu’en Cour suprême, reste une cicatrice vive. « À ma naissance, écrit Pratte, vu mon état rachitique, mon père m’a surnommé ‘moustique’. Et, de fait, il m’a écrasé. »

Dur.

Décrocheur d’études en économie trop théoriques, il se replie sur les sciences politiques et trouve un emploi à CKAC – la grande radio privée de l’époque. Il découvre enfin un métier qui l’enchante, le journalisme. Il ne le quittera plus et s’investira dans le travail. Mais le stress inhérent à la fonction provoquera chez lui des migraines qui persisteront sa vie durant, malgré toutes les tentatives de traitement.

On aurait aimé avoir davantage de détails sur ses années à La Presse, sur ses rapports avec les puissants, sur ce qu’il a vu, entendu, vécu. Sur son combat pour ré-outiller idéologiquement le camp fédéraliste. Mais cela passe trop vite. Ce sera peut-être pour une prochaine fois.

Le dilemme permanent du sénateur

Le reste du livre — les autres 300 pages — sont consacrées à ses trois ans comme sénateur. Mélange de récit de ses combats et de réflexion sur le rôle du Sénat dans la démocratie canadienne.

Comme toujours, l’écriture de Pratte est claire, compréhensible, sans fioritures. Mais il faut beaucoup s’intéresser au Sénat pour prendre plaisir à le suivre jusqu’au bout. Comme dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur est sévère sur ses propres stratégies et choix dans les batailles qu’il mène. Il est plus dur encore envers la partisanerie, notamment conservatrice, qui mine la capacité du Sénat à réfléchir vraiment indépendamment aux enjeux soulevés par les projets de loi envoyés par la Chambre.

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Il décrit bien le dilemme permanent qu’incarne l’existence d’une seconde chambre, non élue et généralement mal aimée. Puisqu’il arrive fréquemment que le Sénat propose des amendements qui bonifient effectivement les projets venus de la Chambre, Pratte est un défenseur du maintien du Sénat. Cela se défend. Mais comment y faire reculer la partisanerie et en faire une vraie assemblée de sages ? Comme plusieurs autres, Pratte estime que l’élection du Sénat au suffrage universel poserait les conditions d’une impasse permanente entre deux chambres également légitimes.

Il passe en revue plusieurs propositions de réforme mais se replie finalement sur une version un peu bonifiée de ce que Justin Trudeau pratique depuis son arrivée, donc la nomination de sénateurs vraiment indépendants proposés par un comité de sages.

Bizarre que Pratte ne commente pas les idées émises pendant les débats constitutionnels de 1991-1992, sur des sénateurs nommés par les provinces. Puisque le Sénat a le mandat de défendre les provinces et les régions — et les droits de minorités — les Assemblées provinciales pourraient désigner ces sénateurs. Si une majorité qualifiée était requise, comme pour le Vérificateur général, il n’y a aucun doute que chaque province enverrait au Sénat des gens de qualité, faisant consensus. Le niveau de partisanerie serait de beaucoup réduit, sinon complètement évacué. La légitimité du Sénat en serait grandement rehaussée. Pas besoin de changement constitutionnel pour y arriver, le premier ministre canadien pourrait simplement indiquer qu’il userait de son pouvoir de nomination sur la base de ces recommandations des assemblées des provinces.

Évidemment cela suppose qu’on veuille maintenir le Sénat en vie. Pratte souligne que l’étude des projets de lois à la Chambre des communes souffre d’une absence de professionnalisme de députés trop engagés dans la lutte partisane pour bien faire le travail de législateurs. Je ne sais si cette opinion est avérée. Mais il est certain que la pratique des gouvernements, conservateurs comme libéraux, d’envoyer des lois omnibus épais comme des bottins téléphoniques rend impossible un bon travail législatif, à la Chambre comme au Sénat.

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Ma brève expérience de législateur pendant six ans à Québec m’a cependant permis de constater que, sauf pour les projets très litigieux, le travail en commission parlementaire est efficace et rigoureux. Rares sont les projets de lois qui ne sont pas bonifiés, de façon trans-partisane, par les députés et les ministres.

Tout étant perfectible, il est certain que si chaque projet était examiné une seconde fois par un second groupe de législateurs, on en retirerait une valeur ajoutée. Mais l’expérience québécoise démontre que la société se tire très bien d’affaire avec une seule chambre qui fait correctement son travail.

Le contre-argument est que le Québec détient le quart des sièges au Sénat, alors que son poids relatif  à la Chambre des communes est en diminution constante. Pratte indique bien comment, en fédéraliste québécois conséquent, il a défendu les droits du Québec, notamment lorsque le gouvernement Trudeau a voulu donner aux banques canadiennes le droit de faire reculer les protections offertes par la loi québécoise des consommateurs. Ici, le Sénat a en effet fait une différence. Mais ce n’était pas parce que 25% des sénateurs ont fait front. C’est parce qu’il s’est trouvé des sénateurs, comme Pratte, qui y tenaient. Il faut savoir que l’essentiel des reculs imposés au Québec par Ottawa depuis 1982 se sont fait avec l’aval du Sénat.

On peut commander et se faire livre l’ouvrage ici.


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Laïcité: mes échanges avec Gabriel Nadeau-Dubois et André Pratte

Il est possible d’avoir des discussions éclairantes sur Twitter, si on prend trois décisions: 1) rester toujours courtois; 2) respecter le point de vue de son interlocuteur; 3) argumenter sérieusement.

C’est ce qui s’est passé cette fin de semaine dans deux conversations avec deux critiques de l’interdiction des signes religieux, unis sur ce point, le porte-parole masculin de Québec Solidaire, Gabriel Nadeau-Dubois, et le Sénateur libéral (indépendant) et conseiller de Power Corporation André Pratte. Voici le fil des échanges:

QS et le voile intégral chez les agents de l’État: dans quels cas ?

Le test de français de Philippe Couillard

Ce n’est pas nouveau. Lorsque le PLQ prend le pouvoir, on s’attend au retour du laisser-aller linguistique. Lorsqu’en 2011 l’OQLF avait annoncé pour bientôt la minorisation du français sur l’île de Montréal, Jean Charest avait rétorqué qu’il faudrait « contextualiser » ce résultat. On attend toujours la contextualisation.

Le cas Couillard est cependant plus problématique que le cas Charest. Et ce n’est pas pour rien que la première ministre sortante et que les éditorialistes de La Presse et du Devoir lui lancent en choeur un signal.

C’est qu’aucun chef libéral n’avait, avant Philippe Couillard, lancé un signal aussi fort et aussi délétère pour le français. Au second débat, il tenta de convaincre Françoise David du caractère « indispensable » de l’anglais pour chaque travailleur d’usine, pour le cas où un acheteur anglophone de passage voulait lui poser une question.

Il effaçait ainsi un demi-siècle de lutte pour le droit de vivre et travailler en français au Québec.

Puisque des gens avisés lui ont parlé par la suite, le Premier ministre désigné sait qu’il a commis une bourde. Il a même fait semblant de n’avoir pas dit ce qu’il a dit. Il prétend n’avoir fait que l’apologie du bilinguisme en général.

Reste que son problème est plus que politique. D’abord, le candidat devenu premier ministre Couillard a envoyé à tous les employeurs du Québec le signal qu’il était raisonnable — non, « indispensable » — de réclamer désormais la connaissance de l’anglais au moment de l’embauche pour tout salarié susceptible d’être épisodiquement en contact avec un acheteur anglophone.

Il doit maintenant envoyer un contre-signal fort, tant cela est contraire à la lettre et à l’esprit de la loi 101 qu’il prétend vouloir faire appliquer. André Pratte, de La Presse, lui suggère de donner des gages linguistiques en confirmant la nomination de Robert Vézina à la tête de l’OQLF. Ce serait déjà ça. Surtout, le ministre qu’il désignera pour s’occuper du dossier linguistique devra avoir pour le français une sensibilité que son chef n’a, à l’évidence, pas.

Mais ça ne suffira pas à réparer le pot cassé par M. Couillard pendant la campagne. Dans Le Devoir, Antoine Robitaille lui suggère de poser un geste plus audacieux et d’étendre l’application de la loi 101 aux entreprises privées québécoises qui sont de charte fédérale. Ce que Mme Marois l’avait mis au défi de faire pendant la campagne.

On n’attend pas M. Couillard de ce côté-là du débat linguistique. Il surprendrait et rassurerait (en partie). Et il agirait dans la continuité d’une loi 101 qu’il affirme appuyer, mais qui n’est pour l’instant pas appliquée dans l’ensemble des grandes entreprises.

J’ajoute qu’il faudra surveiller de près les tentatives de l’équipe Couillard de faire régresser le travail de mon ex-collègue Diane deCourcy sur la question de l’immigration. Les Libéraux avaient pris l’habitude de laisser entrer au Québec des immigrants dont la moitié n’avaient aucune connaissance du français au point d’entrée. Pour plusieurs, cette connaissance n’était pas suffisante pour obtenir un emploi qualifié.

Diane a resserré les critères à la fois de connaissance et de qualité du français (et de qualité de l’anglais langue seconde). Plus prudentes sur le plan linguistique, ces mesures sont à même d’assurer un plus grand succès de l’intégration de nos futurs immigrants.

Si Philippe Couillard s’avisait de démanteler ces réformes de bon sens, aucun contre-signal ne pourrait nous convaincre qu’il a vraiment à coeur l’avenir du français à Montréal et à Québec. Aucun

Le comité du Non, jour 1

10971064-300x279On peut lire dans La Presse de ce samedi deux éminents porte-paroles du nouveau Comité du Non: l’éditorialiste en chef, André Pratte (M. Harper doit dire « Non »), et l’ex chef du PLC, Stéphane Dion (L’indésirable dévolution).

Le débat n’est pas commencé, le gouvernement québécois n’a encore rien demandé, les propositions n’ont été ni étayées ni justifiées ni débattues, mais la réponse est déjà là: Non.

Un des exemples utilisés est cette idée, semble-t-il loufoque, de réclamer le rapatriement au Québec de l’Assurance-emploi. La chose semble cependant assez intéressante pour que l’actuaire en chef de l’Assurance emploi au fédéral de 1990 à 2003, Michel Bédard, y soit favorable, comme d’ailleurs l’estimé économiste Pierre Fortin. (Voir leurs textes ici.)

Il est savoureux de trouver, comme premier membre canadien du Comité du Oui, un des anciens conseillers de Stephen Harper, Tom Flanagan, qui écrivait ce qui suit dans le Globe and Mail du 27 août (ma traduction):

Après 70 ans de mauvaise gestion fédérale, le programme d’Assurance emploi (AE) est une courte-pointe folle de subventions croisées dont l’effet net est d’accroître le chômage, particulièrement dans les régions moins fortunées du pays, en rendant le chômage plus attractif qu’il ne devrait l’être. Il est difficile d’imaginer que cela se serait produit si les provinces avaient eu à gérer leurs propres programmes avec leurs propres et moindres ressources, tel que l’envisageait la constitution canadienne d’origine.

Plusieurs tentatives ratées ont démontré que le gouvernement fédéral ne sera jamais capable d’introduire des réformes majeures de l’AE. Dans ce contexte, le désir exprimé par le PQ de reprendre cette compétence est un don du ciel. Il pourrait ouvrir la porte à une transformation de l’AE en véritable assurance, avec une variable de récompense aux entreprises et salariés en faisant le moins usage, pour que le programme soit vu comme un véritable filet de sureté, pas un hamac.

Les barrières constitutionnelles à ce changement sont importantes mais pas insurmontables. L’AE est en ce moment une responsabilité fédérale exclusive, donc un transfert complet aux provinces ne pourrait s’accomplir que par une modification constitutionnelle approuvée par sept provinces représentant plus de 50% de la population — une impossibilité. Cependant, il pourrait être possible d’utiliser une procédure bilatérale (avec l’approbation du Sénat, de la Chambre des communes et de l’Assemblée nationale québécoise) pour un transfert ciblé vers le Québec.

Cela provoquera un tollé contre le fédéralisme asymétrique, mais la création de la Régie des rentes du Québec offre un précédent robuste. Quelqu’un de l’extérieur du Québec a-t-il jamais perdu de sommeil parce que le Québec avait son propre régime de pension ?

Ne refusons pas de transiger avec les séparatistes tout court. On peut s’opposer au séparatisme tout en restant ouverts aux bonnes idées que les séparatistes peuvent avoir. S’ils pensent qu’ils peuvent gérer l’AE plus efficacement, pourquoi ne pas les laisser essayer?

Ah si seulement certains membres pressés du comité québécois du Non pouvaient méditer cette dernière phrase !

La tyrannie de la minorité

100515vote-quebec_g-150x150Mon estimé collègue André Pratte, éditorialiste en chef de La Presse, nous offre ce lundi dans un édito intitulé La tyrannie de la minorité, un intéressant calcul sur les rapports entre la majorité et la minorité. Le voici:

rappelons-le puisque personne ne semble vouloir en tenir compte, les grévistes ne représentent que 35% des étudiants du niveau post-secondaire.

Dans les universités, moins d’un étudiant sur trois boycotte ses cours. Enfin, le Québec comptant un million de personnes âgées de 16 à 25 ans, les grévistes constituent moins de 20% de la jeunesse québécoise. Pourquoi cette minorité devrait-elle dicter les décisions de l’État?

J’adore. Alors, je reconduis à l’étage supérieur:

rappelons-le puisque personne ne semble vouloir en tenir compte, le gouvernement libéral ne représente que 42% des voix exprimées lors du scrutin de décembre 2008.

Dans la totalité de l’électorat, 58% des gens ont donc voté contre les Libéraux. Enfin, le Québec comptant 5,540,000 électeurs inscrits, et puisque l’abstention a été massive lors de l’élection, l’appui populaire du gouvernement libéral constitue moins de 24% de l’électorat québécois. Pourquoi cette minorité devrait-elle dicter les décisions de l’État?

Évidemment, je badine. Je ne remets nullement en cause la légitimité du gouvernement. Mais je ne remets pas non plus en cause la légitimité des associations. Il est bien, de temps en temps, de chiffrer la chose, comme André et moi le faisons aujourd’hui.

Dubuc vs Dubuc

Mais pour ce qui est d’établir la légitimité, je vous imposerai deux citations de mon autre estimé collègue de La Presse, Alain Dubuc. La première, de ce lundi, d’une chronique intitulée Petit rappel sur la démocratie:

Le Québec est dirigé par un gouvernement élu, à qui les électeurs confient un mandat et à qui ils délèguent des responsabilités. Ce système imparfait peut mener à des erreurs et à des abus.

Nous disposons donc de mécanismes formels pour encadrer l’exercice du pouvoir, comme les institutions parlementaires, les lois et les tribunaux. À cela s’ajoute une foule de mécanismes informels pour amener un gouvernement à ajuster le tir — mouvements d’opinion, sondages, débats publics.  Enfin, le peuple dispose d’une arme ultime à travers ses choix électoraux.

Le débat sur les droits de scolarité a été soumis à ces mécanismes. La hausse a été largement expliquée dans un budget déposé par un gouvernement élu, qui a été adopté par l’Assemblée nationale.

C’est très bien dit. Et si j’étais d’une très grande mauvaise foi, je mettrais en cause ce mécanisme démocratique en citant le même Alain Dubuc qui, le 14 décembre 1999, dans un édito intitulé La démocratie et l’Assemblée nationale, affirmait ceci:

L’Assemblée nationale, tout comme la Chambre des communes, n’est pas un creuset démocratique parfait. Notre système de scrutin majoritaire uninominal à un tour et la discipline de parti font en sorte que le parti qui forme le gouvernement jouit d’un pouvoir excessif.

Au sujet des votes pris à l’Assemblée, il écrivait doctement que cela:

revient, dans les faits, après 35 heures de débat, à permettre au gouvernement d’imposer ses vues. Ce ne sont ni les élus, encore moins le peuple québécois qui s’exprimeront, mais le cabinet du premier ministre.

Notez la date: 1999. L’alors-éditorialiste Dubuc s’échinait contre la légitimité démocratique du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard, au sujet d’un projet de loi affirmant le droit du Québec à disposer de lui-même  (transparence totale: j’en étais jusqu’en septembre conseiller, c’est pourquoi je me souviens de l’édito). Aujourd’hui, Alain Dubuc s’échine au contraire à démontrer la légitimité du gouvernement libéral. Coïncidence ?

Démocrate avant tout, je me rallie au Dubuc de 2012. Le gouvernement Charest a la légitimité pour agir. Il le fait avec un rare mélange d’autisme, d’incompétence et, on peut le penser, de calcul électoraliste. Et, en effet, la population aura l’arme ultime, le jour du scrutin.

L’image de 15 h 15: Surprenant poster péquiste

pratteBoucMagazineUne main tendue aux anglophones ?

Vous le reconnaissez ? C’est André Pratte, éditorialiste en chef à La Presse. Le photomontage est de BoucMagazine, « un magazine sans but lucratif qui est dirigé par une équipe approximative d’environ quelques personnes issues de divers milieux » et animé par l’ex-député péquiste Jean-Claude Saint-André.

 

 

 

 

La raison ? André Pratte a écrit un éditorial en ligne où il notait :

Comme ils l’ont toujours fait, les souverainistes bougent. Ils bougent de façon convaincue, intelligente et habile, ils bougent avec l’aide d’une relève impressionnante.

Pourquoi tant de fleurs ? Pour tenter de donner de l’énergie à son propre camp. Il concluait :

Et pendant ce temps, que font les Québécois qui croient au Canada ? Les politiciens disent la même chose que leurs adversaires souverainistes. Les autres, confortés par les sondages, vaquent à leurs occupations professionnelles. Ils vivent dans l’illusion que le scénario de 1995 ne peut pas se reproduire. Grave erreur.

J’avais commenté ce texte ici. Mais l’analyse du Bouc est beaucoup plus divertissante que la mienne:

…l’essentiel de son article [de Pratte] vise, d’une part, à fouetter les quelques sympathisants péquistes qui restent et, d’une autre part, à les conforter envers le plan Marois pour éviter qu’une autre force politique, moins contrôlable, moins prévisible, puisse émerger.

On trouve de tout sur Internet.