Il n’y a généralement rien de plus efficace, pour relativiser les choses, que d’en raconter les origines.
Si vous êtes de tradition catholique, vous avez appris dès le jeune âge comme vérité certaine que la mère de Jésus était vierge et que Dieu interdisait aux prêtres de se marier.
Quand, au fil de vos lectures, vous avez découvert que l’Église n’a pris la décision de déclarer Marie vierge qu’en 380, un doute vous a traversé l’esprit. Le fait que le célibat soit une décision prise en 300 mais pas vraiment appliquée jusqu’en l’an 1000 vous fait douter encore davantage de la justesse de cette décision.
Cela jette un trouble sur le caractère immuable, inviolable de ces règles. C’est le traitement que réserve la linguiste Anne-Marie Beaudoin-Bégin à la langue française dans son très instructif La langue racontée.
Le caractère sacré de telle règle ne l’est que depuis que quelqu’un (un proto-linguiste, un Roi, un révolutionnaire, une Académie) les a déclarés tels. La veille, ce n’était pas le cas. Si l’usage, à force d’à force, impose une graphie ou une règle différente, la règle ou la graphie changera, et on dira que, cella-là, est sacrée. On apprend par exemple que l’introduction du mot parapluie a suscité tout un débat. Ombrelle, disait-on, suffisait amplement.
Alors d’où vient cette insistance obsessionnelle pour l’usage juste du français jusque dans ses moindres exceptions inexplicables et cette résistance de mammouth à toute tentative de la simplifier ?
Quand les auteurs ne savaient pas ce qu’était une « faute »
Beaudoin-Bégin vulgarise à merveille l’évolution des choses et rappelle à dessein que le français est une simplification du Latin, ce qui n’enlève rien à Proust. Fut une époque où les auteurs ne savaient pas ce qu’était une « faute » car ils écrivaient leurs chefs-d’oeuvre sans pouvoir avoir recours à une grammaire ou un dictionnaire fixant une norme. Ils n’en étaient pas moins lus et compris.
L’établissement de la norme fut d’abord le fait de quelques proto-linguistes s’appuyant sur le parler d’une partie de la Cour du Roi, méprisant les termes utilisés par le bas peuple et, il va sans dire, les régionalismes.
On doit la règle de l’accord du participe passé au poète Clément Marot qui l’a importée d’Italie dont la langue, au 16e siècle, avait la cote. Vous ne connaissiez pas son nom ? Trois siècles plus tard, ses propositions sont considérées comme sacrées. « La bête noire des francophones moderne tire donc sa sources des élucubrations pédagogiques de penseurs du 19e siècle » écrit la linguiste.
Quant à l’orthographe, elle fut adoptée le 8 mai 1673 dans sa forme tarabiscotée justement pour qu’elle distingue « les gens de lettres d’avec les ignorants et les simples femmes ».
Les vrais fautifs, selon le récit convaincant de Beaudoin-Bégin, sont les révolutionnaires français de 1789. Voulant transformer une France linguistiquement diverse en une seule nation parlant la même langue, ils instaurent l’éducation nationale uniforme, de Provence jusqu’en Normandie. Le moment est au grandes réformes — ils changent toute la société, le droit, la religion, le calendrier même. Il aurait été idéal pour opérer une vaste simplification de l’orthographe et de la grammaire, dont la complexité n’était alors connue que des nobles. On allait maintenant instruire les analphabètes pour qu’ils se comprennent entre eux. Pourquoi fallait-il leur imposer plusieurs formes du son « o » (o, au, eau, eault), des f et des ph, des accents graves et circonflexes ?
« Si on l’avait fait, explique l’autrice, le français aurait perdu tout son lustre prestigieux. Savoir écrire avait été jadis un signe social distinctif. Si tout le monde apprend maintenant à écrire, il faut un autre signe de clivage social: savoir bien écrire. […] La langue et le respect des règles deviennent des méthodes d’exclusion sociale. »
Bref, la langue révolutionnaire n’est pas la langue populaire. Elle est toujours la langue qui distingue les uns des autres. Une belle occasion gâchée par la prétention et l’esprit de classe.
À quand une vraie simplification, comme en ont connu l’allemand, le chinois et l’espagnol ? (J’ai hardiment abordé cette question dans un autre texte, « Ki cour le plu vit, la panter ou lescargo« . )
Beaudoin-Bégin estime avec raison qu’il « est trop tard pour changer les règles elles-mêmes. Mais peut-être pourrait-on changer l’attitude par rapport aux règles ? »
Cela serait particulièrement bienvenu au Québec, qui vit un rapport d’amour/haine avec son principal moyen de communication.
Car le français québécois, qui porte des expressions devenues désuètes en France et d’autres créées ici, vit mal ces écarts, vus comme des verrues sur une langue optimale qui existerait quelque part ou qui aurait existé. Le livre démontre que tout cela n’est qu’une chimère, une invention de puristes. Le Français a toujours connu des variations, d’époque, de région, de classe sociale.
« Disons-le franchement, écrit-elle, le français québécois est la variation d’une langue qui n’accepte pas la variation. »
Bref, je recommande fortement La Langue racontée.
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La bande annonce de ma dernière balado:

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