Pendant la campagne électorale de 2014, je posais 12 questions à Philippe Couillard en matière d’intégrité. Aujourd’hui que l’UPAC a procédé à la mise en accusation de la fraude systémique ayant eu cours au PLQ alors que M. Couillard en était ministre, j’ai cru bon retourner voir ces questions et constater s’il s’était passé quelque chose depuis.
Billet publié le 25 mars 2014 (et quelques ajouts de ce jour)
Phillipe Couillard a dit deux choses au sujet du passé trouble de son parti en matière éthique. Pour être poli. je dirai qu’il a été paradoxal.
Interrogé dimanche dernier à savoir s’il était « à l’aise avec l’héritage de Jean Charest » il a répondu: « je suis à l’aise avec tout l’héritage du PLQ ». Donc: c’est oui.
Mais il ne semble pas parfaitement à l’aise avec le passé car il a cru bon de dire aussi, la veille, que le PLQ, « c’est mon parti maintenant ». Ce qui peut laisser croire qu’il fait une distinction claire entre « son » parti et celui de son prédécesseur.
Toujours prêt à rendre service, je voudrais aider M. Couillard à tirer les choses au clair sur ces questions d’intégrité en lui posant des questions précises qui ne concernent que lui et son propre jugement éthique. Les voici:
1. Les méthodes de financement de Charest: Lorsque vous étiez ministre de Jean Charest, et que ce dernier vous obligeait à récolter 100 000 $ par année pour la caisse électorale du parti, une pratique inédite qui vous mettait, vous et vos collègues, en position éthique très équivoque, avez vous obtempéré ? Avez vous protesté ? Lorsque cette pratique fut rendue publique, pourquoi n’avez vous pas exprimé de réserves ? En aviez-vous ?
(Il n’a à ma connaissance jamais répondu à cette question depuis.)
2. La Clause Couillard. Lorsque vous avez démissionné du gouvernement en mai 2008, vous êtes allé travailler pour une société privée de santé avec laquelle vous aviez eu des rencontres peu avant votre démission. Vous aviez suivi les règles éthiques en vigueur à l’époque, dites-vous. Depuis, cette pratique est interdite par une nouvelle clause du code d’éthique surnommée « Clause Couillard ». Rétrospectivement, admettez-vous que vous auriez du être exemplaire et ne pas négocier votre emploi dans le secteur de la santé alors même que vous étiez ministre de la santé, même si cela était permis à l’époque ? Si vous êtes élu, comptez-vous modifier la Clause Couillard ?
(Même commentaire.)
3. Le silence sur le salaire secret. Vous avez démissionné en juin 2008, soit trois mois après que le public eut appris que votre chef, Jean Charest, recevait depuis dix ans un salaire secret du PLQ, tiré à même les généreuses donations, de 75 000 $ par an. On ne vous a jamais entendu à ce sujet. Approuviez-vous cette pratique ? Quand l’avez vous apprise ? Êtes-vous intervenu pour qu’elle cesse ? Après votre démission, pourquoi n’en avez vous jamais parlé ? Lorsque vous dites que vous êtes `à l’aise`avec tout l’héritage du PLQ, cela inclut-il le fait d’avoir caché ce salaire aux Québécois pendant 10 ans ?
(Même commentaire.)
4. Le silence sur la commission d’enquête. Au moment de votre démission en 2008, vous reprenez votre droit de parole et vous bénéficiez dans l’opinion publique d’un très grand ascendant moral. Courant 2009, de révélations en révélations, le public prend conscience d’un très grave problème de corruption au Québec. L’ADQ, puis le PQ, les éditorialistes, puis les policiers, le barreau, les ingénieurs et même les syndicats (même la FTQ construction, c’est dire!) réclament la tenue d’une commission d’enquête publique. C’est aussi le cas de quelques figures libérales, dont l’ex-député et président du PLQ, Robert Benoît, dénonçant en 2010 le fait que son parti soit devenu « une machine à ramasser de l’argent ».
Vous ? Non. Il n’existe pas de trace de prise de position publique de votre part en faveur de cette enquête. Au moment où le Québec avait besoin de leaders d’opinion, vous êtes resté muet. La plus grande question d’intégrité de l’histoire récente du Québec ne vous intéressait pas ? Pourquoi ?
(Il ne s’est jamais expliqué là-dessus.)
5. L’absence de rupture. Le 17 mars 2013, vous êtes élu chef du PLQ, au premier tour de scrutin, avec 58,5 % des voix. Une victoire décisive. De plus, votre absence de l’Assemblée nationale entre 2008 et 2012 vous a évité d’être vu en train d’applaudir le ministre Tony Tomassi — maintenant accusé au criminel — ou de voter 11 fois contre la création d’une commission d’enquête, comme vos collègues.
Vous êtes donc superbement placé pour poser des gestes de rupture avec votre prédécesseur Jean Charest et ses pratiques. Au minimum, vous pourriez, pour utiliser une expression française, vous permettre un « droit d’inventaire » sur ce qui vous a précédé, applaudissant certains gestes, en rejetant d’autres. Il y a d’ailleurs un précédent. En 1977, devenu chef libéral, Claude Ryan — d’une totale intégrité — fut très dur envers son prédécesseur Robert Bourassa, dont les dernières années au pouvoir avaient été entachées de soupçons d’irrégularités. Ryan procéda à une purge sévère et établit des règles sans précédent de probité dans le PLQ.
Vous avez choisi de ne rien faire de la sorte. Vous n’avez dénoncé ni M. Tomassi, ni l’usage de Post-its pour la nomination de juges sous Charest, ni la décision de ce dernier de protéger Gilles Vaillancourt, le maire de Laval, aujourd’hui accusé de gangstérisme (protection rapportée en entrevue par votre ex-collègue ministre Thomas Mulcair).
Pourquoi avez-vous choisi de ne pas utiliser votre position de force, au lendemain de votre élection, pour marquer une rupture dans l’histoire du PLQ ? C’est sans doute la plus grande énigme de votre carrière politique.
(C’est toujours une énigme.)
6. Le silence sur la perquisition. Quatre mois après votre élection comme chef du PLQ, l’UPAC a procédé à une perquisition au quartier général de votre parti. Cela ne s’était jamais vu. De toute évidence, la perquisition devait porter sur des faits antérieurs à votre arrivée. Pourquoi avez-vous alors décidé de cacher la vérité aux Québécois sur cette affaire pendant deux longs mois ? N’aurait-il pas été plus sage de dévoiler cette vérité vous-mêmes, immédiatement, pour bien montrer qu’il y avait un avant-Couillard et un après-Couillard ? Que les salaires secrets et contrats secrets et cocktails organisés par des compagnies en secret étaient choses du passé ?
(Toujours une énigme.)
7. Le bris de la promesse de transparence. Les médias ayant eu vent de cette perquisition dont vous taisiez l’existence, vous avez pris l’engagement d’être désormais « transparent ». Promesse immédiatement brisée car vous n’avez pas révélé que l’ex-ministre et responsable du financement dans votre parti, Violette Trépanier, avait également été interrogée par l’UPAC pendant l’été 2013. Ce n’est qu’en novembre, quatre mois après les faits et deux mois après votre promesse, que l’information a été rendue publique. Pourquoi ce silence ? Et pourquoi avoir gardé Mme Trépanier en poste, alors que l’UPAC était très intéressée à ses activités, jusqu’à sa retraite en septembre 2013, soit cinq mois après être devenu chef ? Pourquoi n’avez vous pas immédiatement après votre élection procédé, par simple prudence, à un changement complet de personnel dans l’équipe de financement du parti ?
(Le mystère reste entier, comme le fait, souligné par mon collègue Pascal Bérubé, que M. Couillard ait maintenu le membership libéral de Marc-Yvan Côté, alors que le Parti libéral canadien, lui, l’avait « banni à vie ».)
8. La non-recherche des « fabulous 11« . Le 1er novembre 2013, vous apprenez par des documents de cour cités dans les médias que l’UPAC enquête sur un système de financement occulte en échange de contrats publics au PLQ visant au moins 11 personnes et impliquant « des millions de dollars ». Cela survient alors même que vous affirmez publiquement vous préparer pour une élection générale et que vous constituez votre équipe de conseillers et de candidats.
Cette nouvelle est extrêmement problématique pour vous car, en homme intègre, il vous faut absolument savoir qui sont ces 11 personnes pour vous assurer de couper tout contact avec elles et de ne pas les retrouver dans vos équipes. Malheureusement, il n’existe aucune trace publique que vous ayez lancé une enquête interne, ayez écarté des personnes, ayez retiré des cartes du PLQ à qui que ce soit, ayez érigé un cordon sanitaire éthique autour de vous. Pourquoi ?
(La question est toujours d’actualité.)
9. L’échec du code d’éthique. Il faut être de bon compte. Candidat au leadership du PLQ, vous aviez proposé que votre parti se dote d’un code d’éthique. Compte-tenu de l’intérêt porté par l’UPAC à votre formation, vous avez voulu proposer ce code au Conseil général de votre parti réuni le 10 novembre 2013. Malheureusement, des « dissensions internes » vous ont empêché de déposer le code souhaité et vous vous êtes contenté d’une déclaration générale peu contraignante.
Puisque vous aviez fait de cette question une priorité et que les policiers sont aux trousses d’au moins 11 responsables de votre parti pour, justement, grave manquements à l’éthique, comment devrait-on qualifier votre incapacité à imposer vos vues sur ce sujet crucial entre tous ?
D’autant qu’il s’agit de convaincre un parti généralement extrêmement discipliné et loyal à son chef. Ne vous souvenez-vous pas de cet autre conseil général, trois ans plus tôt en novembre 2010, où un délégué, Martin Drapeau, avait proposé un débat sur une enquête publique et où il n’avait trouvé absolument personne pour seconder sa motion — alors que 80% du public réclamait cette commission ? Tous les délégués sauf un étaient d’accord avec le chef !
Maintenant que vous êtes le chef de ce parti hyper-malléable, vous êtes incapable de trouver une simple majorité pour un code d’éthique ? Avez-vous vraiment essayé ?
(Il faut être de bon compte. Le PLQ a finalement adopté un code d’éthique en novembre 2015. Ça a été long et ardu !)
10. Le silence sur les écoutes compromettantes. Vous êtes chef depuis quelques mois lorsque la Commission Charbonneau entend, à l’automne 2013, un enregistrement selon lequel un lobbyiste aurait remis un chèque de 3000 $ à Jean Charest lorsqu’il était premier ministre. L’avocat du PLQ, donc votre avocat qui agit selon vos instructions, a fait en sorte que cette information soit cachée au public jusqu’à la fin janvier 2014. Pourquoi lui avoir donné cette instruction ? Pourquoi ne pas choisir la transparence ? Pourquoi briser encore votre promesse ?
(C’est toujours un mystère.)
11. À la défense de Jean Charest. Au moment de la divulgation de ces informations, Jean Charest clame son innocence par voie de communiqué. Vous avez le choix d’affirmer que ces affaires ne vous regardent pas et que M. Charest peut bien se défendre tout seul. Vous décidez de faire le contraire. Vous vous présentez devant les journalistes, affirmez avoir parlé à M. Charest, et clamez son innocence.
C’est très bizarre, car ce jour-là, vous saviez que deux mois plus tôt l’UPAC avait perquisitionné l’entreprise Shockbéton, liée à M. Marc Bibeau, qui est le proche ami et qui fut le proche conseiller et ramasseur de fonds pour M. Charest depuis de longues années. L’UPAC, qui a aussi visité la soeur de M. Bibeau et une autre de ses entreprises, est donc à un battement de coeur de votre prédécesseur. Le simple sens politique — la prudence élémentaire — voudrait que vous preniez vos distances. Vous choisissez au contraire de vous placer en défenseur de M. Charest. Vous êtes volontaire pour lui servir de bouclier-politique. Pourquoi ?
(Rien n’indique que l’UPAC a clos son enquête sur M. Bibeau. La réaction protectrice de M. Couillard envers Jean Charest est toujours mystérieuse.)
12. A la défense du cynisme. Vous le savez, le cynisme des électeurs envers les élites politiques est à son zénith. Il sera collectivement très difficile de rétablir durablement le lien de confiance, mais nous n’avons d’autre choix que de tout tenter pour y arriver. Un des projets présentés par le gouvernement Marois jouit d’un énorme appui dans l’opinion: il s’agit de ne pas récompenser les députés qui quittent leurs fonctions en cours de mandat, pour des simples raisons de carrière. Nous pensons que ces démissionnaires doivent quitter sans obtenir la somme forfaitaire à laquelle ils auraient eu droit s’ils avaient terminé leur mandat.
Il n’y a aucun doute que cette nouvelle règle serait un pas de plus dans le rétablissement du lien de confiance. Devenu chef du PLQ, vous vous y êtes opposé avec la dernière énergie. Vous aviez, disiez-vous, des arguments de principes. Ils auraient été plus crédibles si vous n’aviez pas dans vos rangs deux démissionnaires potentiels — Raymond Bachand et Emmanuel Dubourg — qui ont quitté leurs postes moins d’un an après avoir entamé leur mandat pour des raisons strictement carriéristes.
Voilà un cas où vous aviez. comme nouveau chef, le choix d’envoyer un signal de renouveau et de probité qui allait, de surcroît, protéger le portefeuille des Québécois. Vous avez plutôt choisi de protéger deux libéraux (un rival et un poids léger) et leurs portefeuilles. Et d’alimenter le cynisme. Pourquoi ?
(Après avoir laissé partir trois autres députés libéraux avec leurs primes — Marguerite Blais, Gilles Ouimet et Robert Dutil — il a finalement cédé à la pression à l’automne 2015 et adopté la loi interdisant les primes. Ce fut long, ardu, et coûteux !)
Conclusion
Comme vous le voyez, je me suis limité dans ces questions aux seuls faits et gestes personnels du chef actuel du PLQ. Puisqu’il s’est dit à l’aise avec l’ensemble de l’histoire du PLQ, j’aurais pu l’interroger sur la crise d’octobre, le scandale des garderies, bien d’autres choses encore. Mais il faut savoir être clément.
M. Couillard est devenu chef du PLQ il y a presque exactement un an, en mars 2013. Il est déjà remarquable qu’en 12 mois il prête flanc à 12 questions épineuses sur son propre sens de l’éthique.
Nous attendons les réponses avec impatience.
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De nouvelles questions se posent évidemment aujourd’hui, le jour de la grande rafle libérale.
Mes collègues Agnès Maltais et Pascal Bérubé ont résumé les choses ainsi:
Mme Maltais : Ces accusations démontrent un lien entre le financement du Parti libéral et les contrats du gouvernement. C’est l’UPAC elle-même qui a utilisé le mot «systémique». Ils ont trouvé un système. La police nous dit donc qu’il y avait un système libéral de financement politique en échange de contrats. Les accusations portent sur un système organisé de corruption au sein d’un gouvernement pendant des années, cinq ans. C’est très grave, c’est extrêmement important. Le premier ministre Couillard prétend que ça date d’une autre époque et que ce n’est plus le même Parti libéral. Pourtant, il a déjà déclaré qu’il était à l’aise avec le retour de Mme Normandeau en 2014, très récemment. Philippe Couillard a siégé à ses côtés pendant cinq ans à l’Assemblée nationale et au Conseil des ministres. En tant que chef du Parti libéral, Philippe Couillard, doit dès maintenant d’abord, première chose, cesser de balayer ces questions sous le tapis, deuxièmement, prendre ses responsabilités pour les gestes qui ont été commis par les de son parti.
M. Bérubé : Nous interpellons Philippe Couillard à titre de chef du parti libéral, il doit cesser le déni, cesser de banaliser une situation extrêmement grave. Il doit cesser de nier l’existence d’un système au sein de son propre parti. Il doit déclarer publiquement que le Parti libéral du Québec va collaborer pour faciliter les enquêtes toujours en cours de l’UPAC portant sur le Parti libéral et en conclusion, nous posons la question suivante : Qui est à l’origine du système qui a été démontré par l’UPAC aujourd’hui?
On attend, à nouveau, des réponses !